ACTUS LOCALESJUSTICE L’affaire Sarah Nui, ou quand les trafiquants se professionnalisent Pascal Bastianaggi 2019-10-01 01 Oct 2019 Pascal Bastianaggi ©PB Fournisseurs, grossistes, intermédiaires, revendeurs, homme de main, armes, etc… voilà sur quoi ont porté les premières auditions qui se sont succédé ce mardi au tribunal de Papeete. Quatorze prévenus étaient appelés à la barre dans ce trafic d’ice de grande ampleur entre le Mexique, les USA et Tahiti. « L’affaire Sarah Nui » s’est étalée entre 2016 et 2018. Pour l’instant, seule la partie tahitienne du dossier est évoquée, celle qui concerne les réseaux de revente sur Tahiti. L’affaire a été mise au jour suite à un accident de la route qui avait causé la mort d’un cycliste. Le conducteur de la voiture était sous l’emprise de stupéfiants, et lors de sa garde à vue il avait balancé le nom de son fournisseur d’ice. Après des écoutes et une longue enquête, le réseau a été démantelé. Les enquêteurs ont remonté la filière jusqu’au Mexique où officiaient, à la tête du trafic, deux Polynésiens, Tamatoa Alfonsi et Maitai Danielson. À eux deux ils acheminaient l’ice à l’aide de « mules », pour approvisionner leur réseau. Un réseau bien structuré et bien cloisonné où les principaux fournisseurs de l’ice en provenance des USA prenaient garde de ne pas entrer en contact avec les grossistes. Le contact pour écouler la drogue se faisait via des intermédiaires, des « apporteurs d’affaires » qui servaient de tampon entre les têtes pensantes du réseau et les grossistes qui écoulaient la marchandise, via des petits revendeurs dans les rues. Preuve de leur «professionnalisme», le dealer d’ice du conducteur incriminé dans l’accident de voiture travaillait chez un opérateur de téléphonie mobile. Il approvisionnait tout ce petit monde en cartes SIM afin de compliquer la tâche des enquêteurs, en cas d’écoutes, leur permettant de changer souvent de numéro de téléphone. Francis Tarano, pièce maîtresse du volet tahitien Une des pièces maîtresses du volet tahitien est sans conteste Francis Tarano, un grossiste. Agé de 41 ans, celui-ci n’est pas consommateur d’ice. Il l’avoue à la barre, «je faisais cela pour l’argent. (…) Je ne vais pas vous dire que je regrette d’avoir fait cela. ». « En gros, le coupe le juge Bonifassi, vous regrettez juste d’avoir fait du mal à votre famille et de vous être fait attraper. » « Oui », lui répond Tarano, sans fanfaronner, très naturellement. Francis Tarano a commencé par vendre du paka qu’il cultivait à Paea car sa femme avait arrêté de travailler. S’étant constitué un petit pécule avec le paka, il décide il y a trois ans de monter en puissance, et se lance dans l’ice. Il en achète de petites quantités dans la rue à Faa’a qu’il revend en réalisant une petite marge. Puis il fait la rencontre de Mélanie Pan Si-Iotua dite « Patrona » (la patronne). Celle-ci est une intermédiaire qui, contre 18 millions de Francs, lui apporte 200 grammes d’ice. La transaction se fait près du Radisson à Arue. Son business devient de plus en plus fructueux, à tel point que lors de la perquisition au domicile de Francis Tarano, une somme de 49 millions a été retrouvée. Au total les autorités judiciaires estiment à 117 millions la somme qu’il a tirée du trafic. D’autres intermédiaires ont aussi été en affaires avec lui, comme Jacob Tutavae, instituteur à l’école To’ata, et un certain Enzo à l’origine d’une arnaque qui a couté la bagatelle de 16 millions à Tarano et qui lui a valu d’être la cible d’une chasse à l’homme. Seize millions pour des bonbons à la menthe Le dénommé Enzo et Tutavae dit «Coach» par rapport à son autre activité dans le futsal, auraient revendu des bonbons à la menthe à Tarano à la place de métamphétamine. Découvrant l’arnaque, Terano décide d’employer les grands moyens pour récupérer son argent. C’est là que deux autres protagonistes interviennent, William Oti et Thomas Buchin. William Oti a commencé par dealer du paka puis est passé à l’ice, « plus rentable ». À la barre il avoue facilement que l’ice lui a rapporté beaucoup d’argent et dit en avoir calculé les risques. Ce qui a laissé pantois le juge Léger. « Vous avez calculé que vous risquiez entre 4 et 10 ans de prison et vous avez estimé que ça valait le coup ? » « Oui. ». Une chasse à l’homme avec des armes La matière première, il la trouve chez Tarano, qui lui fournit plus d’un kilo entre 2017 et 2018. La police a retrouvé chez William Oti 2 millions de Fcfp en liquide, des balances, 14 grammes d’ice, et des armes, fusils et armes de poing, propriété de Thomas Buchin. Celui-ci n’est qu’un second couteau. William Oti n’étant pas consommateur d’ice, c’est à Buchin qu’incombe la charge de goûter la marchandise et de faire l’intermédiaire entre Oti et les revendeurs qui écoulaient la marchandise pour lui. Autre responsabilité, celle de « gros bras ». Il a une carrure plutôt respectable et un passé de boxeur. De plus, depuis petit il pratique le tir de précision avec son père et dispose d’un arsenal d’armes. 22 long rifle, colt 45, P38, Winchester 270, etc…. Des armes qu’il s’est procurées pour certaines sous le manteau via des plaisanciers et qu’il démonte et remonte sans aucun problème. Un expert. Des armes plus une carrure de déménageur, l’homme inspire la crainte, à tel point qu’il reconnait à la barre ne pas avoir besoin de recourir à la force pour récupérer l’argent ou l’ice auprès des revendeurs qui mettaient trop de temps pour rembourser Oti. Les deux hommes ont donc été enrôlés par Tarano pour tenter de mettre la main sur Enzo, l’auteur de l’arnaque aux bonbons à la menthe. S’en suivra une chasse à l’homme, avec un certain « petit dragon » balancé dans le coffre de la voiture pour qu’il indique le domicile d’Enzo et une arme, « juste pour se protéger, pas pour tuer quelqu’un » précisera Tarano. Heureusement pour Enzo, la chasse à l’homme ne donnera rien. De la mauvaise influence des télénovelas C’est à Mélanie Pan Si-Iotua que l’on doit le nom de l’affaire « Sarah Nui ». C’est dans cet hôtel qu’elle a été arrêtée en possession de 15 grammes d’ice, du matériel de conditionnement, quatre téléphones portables et 350 000 Fcfp. Celle que l’on surnomme la « Patrona », car « elle dirige un trafic d’ice » selon un petit dealer amateur de télénovelas, a minimisé son rôle d’intermédiaire. Bien que mentionnée par tous ceux qui sont passé à la barre comme étant une « apporteuse d’affaires », et bien que l’argent et l’ice transitaient entre ses mains. Accusée d’être à la tête d’un réseau de revendeurs, dont une fille qu’elle aurait sortie de la rue pour la mettre à la revente, elle nie et affirme, « je n’ai pas de revendeur. » Pourtant, titulaire d’un bac en assistance management, elle tient des comptes. Toutes ses ventes sont méticuleusement consignées dans un petit carnet trouvé dans sa chambre d’hôtel, et lorsque les autorités judiciaires font le calcul, il en ressort que le trafic auquel elle se livrait porte sur un total de 12 millions par an. Lorsque la justice fait son historique, on s’aperçoit qu’elle a été en cheville avec Moerani Marlier, condamné en 2019 pour trafic d’ice, Franck Tumahai, Tamatoa Alfonsi et Maitai Danielson. Avec un tel passif, difficile de passer pour une néophyte dans ce domaine, bien que son casier judiciaire soit vierge. Les auditions se poursuivront demain, mercredi. 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