Hospitalisé à Tours depuis la mi-novembre, l’ancien président de la République Valéry Giscard d’Estaing est mort des suites du covid-19, a appris Europe 1. L’ancien chef de l’État de 1974 à 1981 était âgé de 94 ans. Le 14 septembre, « VGE » avait déjà été hospitalisé le 14 septembre à l’hôpital Georges Pompidou, à Paris, pour « une légère infection aux poumons ». On lui doit la légalisation de l’IVG et du divorce par consentement mutuel, et la majorité à 18 ans.
Europe 1 a appris ce mercredi soir la mort du 20e président de la République française, Valéry Giscard d’Estaing. L’ancien chef de l’État de 1974 à 1981, âgé de 94 ans, était hospitalisé dans le service de cardiologie du CHU Trousseau de Tours depuis la mi-novembre. Le 14 septembre, « VGE » avait déjà été hospitalisé à l’hôpital Georges-Pompidou, à Paris, pour « une légère infection aux poumons ».
Valéry Giscard d’Estaing s’était rendu en Polynésie en juillet 1979, deux ans après la mise en place du nouveau statut d’autonomie interne. Il avait été à Moorea et Raiatea, ainsi qu’à Papeete, Mahina et Pirae où le député-maire RPR de l’époque, Gaston Flosse, avait rassemblé plus de 2 000 personnes.
Lors du second tour de l’élection présidentielle de 1974, les Polynésiens avaient, contrairement à la métropole, donné 51,4% de leurs voix à François Mitterrand, soutenu par Francis Sanford et John Teariki. Ce ne sera pas le cas en 1981, où VGE est soutenu par les autonomistes polynésiens et remporte 76,1% des suffrages au fenua. C’est Valéry Giscard d’Estaing qui, au début de son mandat, avait décidé de la suspension des essais nucléaires français dans le Pacifique, non sans avoir fait procéder à une nouvelle série de tirs.
Animal politique, européen convaincu, essayiste, romancier, membre de l’Académie française, l’ancien président de la République est resté pendant plus de trois décennies une figure tutélaire de la vie politique française. La trajectoire politique de VGE est celle d’une ascension brillante, stoppée nette à 55 ans par sa défaite à la présidentielle de 1981. Un échec jamais vraiment digéré et qui a souvent éclipsé le reste d’une carrière politique qui fut bien plus longue après, qu’avant le mandat présidentiel.
Une jeunesse engagée
Né le 2 février 1926, Valéry Giscard d’Estaing compte dans sa généalogie une prétendue bâtarde de Louis XV, mais aussi plusieurs hommes politiques de la IIIe République dont un ministre de l’Instruction publique. À 18 ans seulement, le jeune Giscard participe à la libération de Paris puis s’engage dans l’Armée française de la Libération, où son sang-froid lui vaut de recevoir la croix de guerre. Après la fin du conflit, il intègre l’Ecole polytechnique puis l’ENA, avant d’entrer en 1952 à l’Inspection générale des Finances.
L' »argentier » du général de Gaulle
En 1956, Valéry Giscard d’Estaing est élu député du Puy-de-Dôme, terre de ses ancêtres. Il devient dès 1959, à 32 ans, secrétaire d’État aux Finances. Le général de Gaulle dira de ce brillant économiste, travailleur assidu et plus jeune membre du gouvernement, qu’il est son « meilleur argentier ». En 1962, Valéry Giscard d’Estaing obtient le ministère des Finances et des Affaires économiques. Il contribue largement à la réorganisation des finances françaises alors que les « Trente glorieuses » ouvrent une période de forte croissance économique pour le pays. Néanmoins, sa politique d’encadrement des prix pour lutter contre l’inflation lui coûte sa popularité auprès des commerçants et des industriels, et le ministre est évincé après la réélection de Charles de Gaulle, au profit de Michel Debré.
Peu à peu, Giscard prend ses distances avec la vision gaullienne, égrenant son fameux « oui mais », et affichant son libéralisme quant aux questions sociales, économiques et européennes. Il rallie la candidature de Georges Pompidou suite à la démission du président, ce qui lui permet de retrouver le portefeuille de l’Économie et des Finances. Sous son ministère, la France connaît ses derniers excédents budgétaires.
Le monopole du cœur
Après la mort de Georges Pompidou en avril 1974, Valéry Giscard d’Estaing s’impose comme le candidat de la majorité. Le soutien implicite de Jacques Chirac, via « l’appel des 43 », lui permet d’obtenir l’adhésion des gaullistes face à la candidature de l’ancien Premier ministre Jacques Chaban-Delmas. Qualifié pour le second tour de l’élection présidentielle, il affronte dans un débat télévisé son adversaire François Mitterrand. À cette occasion, Giscard se distingue par une répartie restée fameuse. Alors que le socialiste reproche à la droite de ne pas répartir justement “les fruits de l’effort national” et se revendique comme le candidat du « progrès social », Giscard rétorque : « Je trouve toujours choquant et blessant de s’arroger le monopole du cœur. Vous n’avez pas, Monsieur Mitterrand, le monopole du cœur ! Vous ne l’avez pas. »
Le 19 mai, il est élu 20e président de la République française avec 50,81% des suffrages. Le taux de participation dépasse les 87%, un record dans l’histoire du suffrage universel en France. Il est alors le plus jeune président de la Cinquième République, un titre récupéré Emmanuel Macron quarante-trois ans plus tard.
Un réformateur à l’Elysée
Le nouveau président affirme sa volonté de moderniser la société française. Légalisation de l’IVG, du divorce par consentement mutuel, abaissement de la majorité à 18 ans, démantèlement de l’ORTF et relâchement de la censure, le septennat de Giscard est celui de profondes réformes. En revanche, sur la question de la peine de mort, le président campe sur des positions conservatrices, estimant que l’opinion n’est pas favorable à une abolition. En dépit de son ”aversion profonde” pour la peine capitale, Giscard refusera sa grâce à trois condamnés.
VGE au pouvoir, c’est aussi un style, en nette rupture avec celui de ses prédécesseurs. Vœux au coin du feu en compagnie de son épouse Anne-Aymone, dîners chez les Français, allégement du protocole de l’Elysée. La photo officielle est à l’image de cette décontraction affichée, et qui flirte parfois avec le ridicule ; pour la première fois le président ne pose plus dans la bibliothèque de l’Elysée, en habit avec la panoplie complète du chef de l’Etat, mais en simple costume cravate, derrière un drapeau tricolore.
De nombreuses conquêtes
Marié depuis 1952 à Anne-Aymone Sauvage de Brantes, fille de résistant qui lui donne quatre enfants, Valéry Giscard d’Estaing se voit attribuer par la presse une réputation d’incorrigible séducteur, que lui-même se plaît à alimenter. En septembre 1974, Le Canard enchaîné affirme qu’une escapade nocturne du président s’achève au petit jour par une collision devant l’Elysée, lorsqu’une Ferrari rentre dans la camionnette du laitier. À bord du véhicule, propriété du réalisateur Roger Vadim : l’héritière Catherine Schneider, l’actrice Marlène Jobert… et VGE. Fou de rage, le laitier aurait giflé le chef de l’Etat. Dans ses mémoires, Brigitte Bardot affirme également qu’un jour de 1980, étant reçue dans le bureau du président, celui-ci s’est mis à lui caresser la cuisse, lui demandant : « Comment va votre coeur, chère Brigitte ? » En 2009, son roman La Princesse et le Président, où il imagine une idylle entre deux personnages qui semblent être Lady Di et lui-même, suscite gêne et hilarité.
Un président rattrapé par les maladresses…
Les dérapages, notamment en matière de communication, s’accumulent dès les premières semaines du septennat. À l’occasion du deuxième Conseil des ministres, le président est filmé en train de saluer l’équipe gouvernementale, mais évite de serrer la main du Premier ministre, Jacques Chirac. En vérité les deux hommes venaient de s’entretenir, mais la séquence trahit la rivalité qui les oppose. Giscard supporte mal cet ambitieux gaulliste qu’il a été contraint de nommer après le soutien décisif apporté pendant la campagne. C’est encore une histoire de poignée de main, cette fois donnée à des détenus en pleine révolte des prisons, qui lui attire les foudres de la droite.
Il devient également l’une des cibles favorites de Thierry le Luron. L’imitateur utilise la diction traînante du président, son allure élégante, pour ne pas dire aristocratique, pour en faire l’emblème emphatique d’une France des châteaux. Les habitudes de VGE ont tendance à conforter cette image : chasses présidentielles, safaris, vacances à Courchevel… Peu à peu, l’image du jeune réformateur se racornit, laissant place à celle d’un monarque républicain, un peu froid et distant.
… et les affaires
Le 10 octobre 1979 éclate le plus important scandale du quinquennat. Un article du Canard enchaînés révèle que le président, alors qu’il était encore ministre des Finances, aurait reçu en cadeau de Bokassa, ex-empereur de Centrafrique, des diamants que l’hebdomadaire estime à un million de francs. VGE tarde à réagir et oppose finalement « un démenti catégorique et méprisant », mais l’affaire comptera pour beaucoup dans la défaite de 1981.
La défaite
Candidat à sa succession, Giscard est politiquement assez affaibli. Le second choc pétrolier plombe le bilan économique de son mandat. Surtout, la droite est divisée : Jacques Chirac, qui a quitté Matignon en 1976 après de nombreux désaccords, a pris la tête du RPR et se lance dans l’aventure. Il ne franchit pas le premier tour mais réunit toutefois 18% des voix.
À nouveau, VGE se retrouve face à François Mitterrand. Pendant le débat de l’entre-deux-tour, le candidat de la gauche prend sa revanche sur le duel de 1974. Mitterrand, traité d’homme du passé par Giscard, accuse le président d’être devenu “l’homme du passif”. Le soir du 10 mai, c’est le visage du socialiste, vainqueur avec 51,76% des voix, qui apparaît sur les écrans de télévision des Français. Même s’il a indiqué qu’à titre personnel il voterait pour le candidat sortant, Jacques Chirac n’avait pas donné de consignes claires à ses militants. Dans ses mémoires, Giscard se dit persuadé que la permanence du RPR invitait à voter pour Mitterrand [2]. L’inimitié entre le président sortant et son ancien chef du gouvernement se poursuivra jusque dans les couloirs du Conseil constitutionnel, trente ans plus tard.
Un départ resté dans les mémoires
Le 19 mai, Giscard fait ses adieux en direct. Une allocution qui s’achève sur un accent mélodramatique : “Je souhaite que la Providence veille sur la France pour son bonheur, pour son bien et pour sa grandeur. Au revoir.” Le président se lève et la caméra s’attarde en un long plan fixe sur sa chaise vite. Une séquence rentrée dans les annales. “Je n’avais pas vu que le bureau que l’on m’avait installé était très loin de la porte. Je pensais qu’il y avait trois mètres, je me levais, j’ouvrais la porte et je partais… Mais pas du tout, c’était à sept ou huit mètres. Donc il a fallu que je fasse un long trajet qui depuis est devenu, malheureusement, un peu célèbre”, avait-il raconté en 2015, non sans sourire de lui-même, au micro d’Europe 1.
Giscard l’Européen
Giscard ne reste pas longtemps en marge de la vie politique. Dès 1982 il est élu conseiller général du Puy-de-Dôme, puis député en 1984. Un temps pressenti pour concourir à la présidentielle de 1988, il renonce pourtant, déclarant « [avoir] déjà servi ». Il entre en 1989 au Parlement européen où Il exprime la nécessité de réformer les institutions européennes face à l’élargissement de l’Union. Il prend la présidence de la Convention sur l’avenir de l’Europe, à l’origine du traité constitutionnel européen rejeté lors du référendum de 2005.
L’immortel
À partir de 2004, VGE renonce à briguer des mandats électoraux, et se consacre à son rôle de « Sage » au sein du Conseil constitutionnel. Entré à l’Académie française en 2003, au fauteuil de Léopold Sédar Senghor, cet amoureux de Maupassant se concentre largement à l’écriture. Ils continue dans les années 2010 à fréquenter les médias et à livrer commentaires et coups de griffe sur l’actualité politique et internationale.
L’accusation d’agression
En mai 2020, l’ancien chef de l’État avait fait l’objet d’une plainte d’agression sexuelle. La plaignante, une journaliste allemande de 37 ans, Ann-Kathrin Stracke, a affirmé que l’ancien président français lui a, à plusieurs reprises, mis la main aux fesses. Les faits remontent au 18 décembre 2018, lorsqu’Ann-Kathrin Stracke est venue interviewer Valéry Giscard d’Estaing dans son bureau, à Paris. Après leur entretien, la journaliste déclare avoir demandé une photo à l’ancien président, avec son caméraman et sa preneuse de son. Mais l’homme politique en aurait alors profité pour lui mettre une main sur les fesses, main que la journaliste aurait immédiatement repoussée.
Giscard s’est éteint mercredi au terme d’une carrière à l’exceptionnelle longévité, mais dont les quarante dernières années ont aussi porté l’amertume de la défaite de 1981. À propos de cet échec, il avait confié à France 2 en 2010 : « Quand on parle d’un deuil, peut-on dire que c’est terminé ? […] Je crois que c’est terminé. »
Avec Europe1