ACTUS LOCALESENVIRONNEMENTJUSTICE

L’ancien Royal Huahine et sa directrice condamnés pour pollution

L’Hôtel Royal Huahine a déversé entre 2016 et sa fermeture en 2021 des eaux usées non traitées dans le lagon à la suite du dysfonctionnement de sa station d’épuration. Une station qui avait fait l’objet de plusieurs rapports alertant sur sa vétusté, sans qu’aucune suite n’ait été donnée par la direction. L’hôtel a été condamné à 5 millions d’amende, sa directrice Christina Auroy à un million d’amende, pour « déversement d’une substance nuisible » dans le lagon.

Cette station d’épuration n’épurait plus grand-chose depuis 2005. Les eaux usées de l’hôtel, contenant des matières fécales à des taux bien au-delà des seuils légaux, se déversaient en toute quiétude dans le lagon. La nouvelle direction, arrivée en 2013 mais assurant n’avoir été mise au courant de ce dysfonctionnement « qu’en 2016 », n’y a pas changé grand chose.

Si plusieurs sociétés d’assainissement se sont relayées au chevet de la malade, préconisant moult changements de matériel et un redimensionnement de la station, la direction a préféré fermer les yeux et plutôt que d’investir dans une nouvelle station, effectuer quelques bricolages aussi efficaces qu’un pansement sur une jambe de bois. Summum de ce système D, l’installation d’une pompe qui « shuntait » la station d’épuration lorsque celle-ci saturait et embaumait l’air de fragrances pas très agréables pour la clientèle. Cette pompe déversait ainsi une eau non traitée dans le lagon.

« On n’avait pas d’argent pour les réparations. »

À la barre, la directrice, loin de faire profil bas malgré les éléments à charge, ne se démonte pas. Elle explique qu’elle n’a été au courant du dysfonctionnement de la station qu’en 2016. Mauvaise tactique de défense. « Comment cela ? » s’exclame le juge, « Ce n’est pas mon métier », assure tranquillement la prévenue. Le juge s’étouffe presque : « c’est de votre responsabilité, c’est à vous de vous renseigner ! » puis, ironique : « en 2016 vous étiez au courant et cela n’a pas changé grand chose. »

Ce que réfute Christina Auroy, avançant « j’ai changé de prestataire, j’ai pris Technival  et leur rapport n’était pas alarmant. (…) L’hôtel perdait de l’argent, on n’a pas été aidé pendant le covid et on avait du mal à payer les salaires. Donc on n’avait pas d’argent pour les réparations. »

« Et j’aurais dû faire quoi ? Fermer l’hôtel ? »,

Sur la pompe de relevage qui déversait directement les eaux usées dans le lagon, « c’est pas moi, c’est Technival qui l’a installé sans me tenir au courant. C’est un peu fort de café » assure-t-elle, levant les yeux au ciel. Le juge insistant sur les divers rapports remis à la directrice qui pointaient tous le problème du traitement des eaux usées, la prévenue monte un peu dans les tours, « et j’aurais dû faire quoi ? Fermer l’hôtel ? », réponse lapidaire du juge, « ce n’est pas à moi de décider, c’est votre problème, ça. »

Plus pondérée, elle argumente, « il y avait beaucoup de dépenses pour réparer et le manque de trésorerie m’a empêché de faire mon métier correctement. » Sur la réduction des visites d’inspection de la station qui passent à une par an, elle argumente, « je ne vois pas l’intérêt de ces rapports vu qu’ils me disaient tous la même chose. » « Ben oui, si vous ne faites pas les travaux » constate le juge.

Fin 2018, la station est laissée à l’abandon, plus de visites, rien. Malgré un rapport de la Direction de la Santé des ISLV, une mise en demeure qui rappelle l’interdiction de tout rejet d’eaux non traitées dans le lagon, et des analyses catastrophiques, « avec des indices fécaux non conformes », rien n’a été fait. « Si ce n’est la pompe placée à l’insu de votre plein gré » rappelle ironiquement le juge.

L’accusée met encore avant son seul argument, « ma seule erreur est d’avoir voulu sauvegarder les emplois, sinon je ne serais pas là.» « Si vous n’étiez pas capable de gérer l’hôtel, il fallait arrêter », rétorque le juge. L’assurance dont elle avait fait preuve jusque-là commence à s’effriter et c’est d’une voix nettement moins ferme où percent quelques sanglots qu’elle confie : « Je ne pouvais pas fermer l’hôtel, c’était mauvais pour l’image du groupe et j’avais de grosses pressions. » Puis à mi-voix, « l’actionnaire principal est mon père », et finalement en pleurs, « mon erreur a été de faire confiance. »

Un procureur perplexe

Pour le procureur, « alors qu’il y avait des rejets de substances nuisibles, l’arbitrage financier a été fait au détriment de la santé et de la sécurité sanitaire. (….) De multiples contrôles ont été faits et aucun n’a donné lieu à des travaux. Elle a maintenu l’hôtel en dépit de son dysfonctionnement, elle s’est satisfait du rejet direct en mer sans passer par la station d’épuration.» Quant à « la directrice qui plaide le manque de compétence, et prétend ignorer l’état des lieux, cela me laisse perplexe. »

La défense quant à elle tente de minimiser la responsabilité de sa cliente en s’appuyant sur un rapport de Technival datant de 2016, « En gros dans son rapport Technival indique qu’il n’y a pas de quoi s’affoler, que malgré les dysfonctionnements il n’y a pas de gros problèmes. Certes il y a des travaux à faire mais pas de catastrophe. » Concernant l’état des finances de l’hôtel, « Il a tout le temps perdu de l’argent. Ma cliente a fait des demandes de crédit à la banque, mais toutes ont été refusées. Il fallait 20 millions pour avoir une station d’épuration fonctionnelle. »

Pour l’avocat, sa cliente n’a pas été suffisamment alertée pour se rendre compte qu’elle faisait courir un danger à la population. Mais il conclut : « Il n’y a pas eu de vagues de gastro-entérite et au final, s’il y a eu dysfonctionnement, il n’y a pas eu d’atteinte à la santé publique. »

Après en avoir délibéré, la justice a condamné Christina Auroy à un million d’amende et l’entreprise à cinq millions.

 

Article précedent

La famille d’Eddie, tué à Moorea, conteste le non-lieu

Article suivant

Un nouveau plan pour rouvrir le Royal Huahine ?

Aucun Commentaire

Laisser un commentaire

PARTAGER

L’ancien Royal Huahine et sa directrice condamnés pour pollution