CA VEUT DIRE QUOI ? – Les djihadistes de l’EIIL se revendiquent à la tête d’un Etat chef de file des musulmans dans le monde. Mégalo ?
L’annonce est tombée dimanche, brutale. Dans un enregistrement audio diffusé sur Internet, les djihadistes sunnites de l’Etat islamique et au Levant (EIIL) ont annoncé l’établissement d’un « califat islamique », alors que l’armée irakienne a lancé samedi une importante contre-offensive face à leur avancée fulgurante. Que recouvre exactement cette revendication ? Est-elle une réalité sur le terrain ?
Une ambition au-delà des frontières. En fait, l’EIIL joue surtout sur le poids des mots. Dans l’enregistrement diffusé dimanche, l’organisation se fait désormais appeler simplement « Etat islamique », sans plus aucune référence géographique. « Ils clarifient leurs ambitions, qui ne sont pas uniquement irakiennes et syriennes », décrypte Stéphane Lacroix, professeur associé à Sciences Po et spécialiste du Moyen-Orient, contacté par Europe1. Cela explique la proclamation d’un califat, c’est à dire d’un leadership musulman au-delà des frontières. Car le calife, c’est le successeur de Mahomet, prophète de l’islam. Et le dernier califat remonte au démantèlement de l’Empire ottoman – qui correspond à l’actuelle Turquie – en 1924.
Une portée symbolique très forte. Abou Bakr Al-Baghdadi, le leader de l’EIIL (photo), serait donc le nouveau chef des croyants, et les musulmans du monde entier sont tenus de lui prêter allégeance. « Le califat a une portée symbolique très forte chez les sunnites pratiquants. Beaucoup d’entre eux considèrent que sa dissolution a marqué le début des malheurs du monde musulman », commente Stéphane Lacroix. « Les djihadistes jouent donc sur une nostalgie ».
Le « califat » revendiqué par l’EIIL s’étend de la ville d’Alep, au nord de la Syrie, à Dyiala, dans l’est de l’Irak. Un territoire qui correspond aux régions contrôlées par l’EIIL. « Sur le terrain, cette proclamation ne change rien. Ces territoires ne vont pas être gouvernés différemment « , affirme Stéphane Lacroix, qui estime que les djihadistes ont déjà quadrillé ces zones: « des gouvernorats ont été établis, et la charia s’applique. Contrairement à Al-Qaida avant eux, l’EIIL a fait un travail de construction d’une structure sur le terrain ». Cette proclamation ne ferait donc qu’acter une réalité établie, même si les combats font toujours rage en Irak pour tenter de repousser la déferlante djihadiste, tandis que la guerre civile se poursuit en Syrie.
Le califat, un « fantasme » ? Un constat nuancé par Myriam Benraad, politologue spécialiste de l’Irak à Sciences Po. « Certes, les djihadistes ont mis sous leur coupe un certain nombre de ressources financières. Mais il n’y a pas d’Etat dans le sens d’une administration ou de services à la population », assure-t-elle. « On est plus dans une surenchère : ils répondent aux observateurs occidentaux qui estiment que le califat est un fantasme ».
Surenchère djihadiste. Mais proclamer un califat, c’est aussi envoyer un signal à l’ensemble des dirigeants du monde musulman. « La théorie du califat, c’est que tous les autres musulmans doivent s’y soumettre », reprend Stéphane Lacroix. Pour lui, il est évident que les rois d’Arabie saoudite et de Jordanie, alliés des Etats-Unis, condamneront cette annonce. « Ce qu’il faut surtout regarder, c’est ce qui va se passer dans la mouvance djihadiste », poursuit-il. Car avec cette proclamation, l’EIIL franchit une nouvelle étape dans sa volonté de supplanter Al-Qaïda comme tête de proue du djihad mondial.