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Le Centre de mémoire du nucléaire à la recherche d’un nouveau souffle

Yolande Vernaudon, la déléguée du Pays au suivi des conséquences des essais nucléaires, en charge du projet de centre de mémoire, devant le terrain cédé par l’État à Papeete. ©C.R./Radio1

Le haut-commissaire a rappelé, ce weekend, que l’État était prêt à accompagner davantage ce projet de musée du Pays pour lequel il a cédé voilà plus de deux ans un terrain à Papeete. Mais avant de travailler la forme, il faut se mettre d’accord sur le fond, a répondu Moetai Brotherson pour qui un centre « à la gloire des essais » ne se fera pas sous l’actuelle majorité. Les deux responsables demandent un comité scientifique. « Une bonne nouvelle » pour la cheffe de la DSCEN Yolande Vernaudon qui dit avoir préparé beaucoup de « propositions » programmatiques, mais attend pour avancer, des « arbitrages » des pouvoirs publics.

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Qui bloque le centre de mémoire sur le nucléaire ? Les institutions semblent se renvoyer la balle et le projet de musée, lui, peine à se concrétiser. Aux manettes : le Pays, où l’idée d’un centre, sous différentes formes, est évoqué depuis plus de 15 ans. Le projet, officiellement baptisé Pu Mahara, avait connu une nette relance à partir de 2017, quand l’Élysée avait validé un soutien d’État à la conception de la forme comme du fond de l’établissement. Pendant presque deux ans, les discussions avaient été nombreuses – souvent très animées vu la sensibilité du sujet – et une ouverture était même, un temps, envisagée pour 2022 ou 2023, après bouclage du projet scientifique, culturel et éducatif,  la définition de la scénographique, le concours d’architectes et, bien sûr la construction.

Sauf que de désaccords techniques en débats politiques, de Covid en changement de majorité, la dynamique s’est « essoufflée ». Le travail s’est certes poursuivi sous la houlette de la Délégation au suivi des conséquences des essais nucléaires (DSCEN) du Pays. Visites et rencontres en métropole, rapport d’inspecteurs du patrimoine, étoffement de la bibliothèque du centre – dont la mise en ligne est en cours -, appel public à la collecte de documents… Des petits pas nécessaires, mais pas de grandes décisions ou de document définitif de programmation qui permettrait d’ouvrir la voie à une concrétisation : le centre de mémoire n’a semble-t-il pas trouvé de second souffle.

Un terrain mais pas de première pierre

Samedi dernier, à Mururoa, c’est le haut-commissaire Éric Spitz qui semblait presser le pas, en réaffirmant le soutien de l’État à ce futur « Pu Mahara ». « J’aimerais que la construction de ce centre de mémoire à Papeete et qui rayonnerait peut-être dans toute la Polynésie soit l’occasion d’un réel dialogue pour avoir un lieu qui restitue bien le passé et qui s’ouvre vers l’avenir, a expliqué le représentant de l’État devant des représentants du gouvernement, de Tarahoi et d’associations rassemblés pour une « opération transparence » sur l’atoll des essais. Le bâtiment qui l’abritera a été offert par l’État il y a plus de deux ans, c’est l’ancien bâtiment du commandement dans la marine, et c’est la Polynésie qui a désormais la compétence et la responsabilité de piloter ce projet. »

L’État a effectivement cédé au Pays, après une procédure complexe vu les troubles sur la propriété réelle du terrain, un terrain de 3 300 mètres carrés jouxtant le parc Bougainville et la Direction de la jeunesse et des sports, près du front de mer de Papeete. Un terrain qui a dû être débarrassé de la « villa Comar », en ruines, et sur lequel a tout de même été conservée l’ancien hôtel de Marine, dont la façade historique peut-être valorisée. Depuis, l’espace est entretenu par la Délégation au suivi des conséquences des essais nucléaires du Pays (DSCEN), qui avait été mise en charge du projet de centre de mémoire dès sa création en 2007. Mais aucune pierre n’y a été posée.

©CR/Radio1

Accord sur le fond avant toute construction

Interrogé sur cette sortie d’Éric Spitz en forme de lettre de relance, le président du Pays Moetai Brotherson a indiqué, toujours depuis Moruroa, que le temps de la construction n’était pas encore venu pour ce musée, qui devrait prendre la forme d’un « centre d’interprétation ». « Nous, ce qui nous parait important, c’est qu’on puisse d’abord bien définir qui est en charge du contenu muséographique. Si c’est pour faire un centre de mémoire à la gloire des essais nucléaires, vu la majorité actuelle, vu le gouvernement actuel, ça ne se fera pas. Si on peut s’entendre sur un contenu muséographique qui expose la réalité de ce qui s’est passé – sans faire un procès à charge de qui que ce soit, là on peut avancer. »

Une analyse qui ravit la cheffe de la DSCEN, Yolande Vernaudon, nommée sous la mandature d’Édouard Fritch et maintenue en poste, malgré d’insistante rumeurs d’éviction, par le nouveau gouvernement. « C’est important d’avoir les idées claires sur ce qui va être présenté, de quelle manière, avant de passer à la phase bâtimentaire, confirme-t-elle, sinon on va se retrouver avec un contenant qui ne convient pas. »

Manque « d’arbitrages »

Mais alors pourquoi les idées sur le contenu du musée n’ont-elles pas été clarifiées ces dernières années ? À l’entendre, voilà longtemps que l’avancée de ce projet, plutôt synonyme de débat que de bénéfice politique pour les autorités, n’a pas été placé en tête des priorités. Et ce, du côté du Pays comme de celui de l’État, et quelque soit la majorité ou le haut-commissaire. « Depuis 2020, on n’a pas réussi à organiser des arbitrages au niveau des pouvoirs publics, explique-t-elle. Pendant ce temps, tandis qu’on fait le nécessaire de restaurer la possibilité d’avoir ces tours de table à un niveau décisionnel, on avance, et pas seuls, pour l’élaboration de différents scénarios, différentes propositions programmatiques concernant ce centre de mémoire. »

Le président du Pays comme le représentant de l’État, eux, attendent la mise en place d’un « comité scientifique ». Et un vrai cette fois : entre 2017 et 2020, en plus du « comité de projet » très large – probablement trop – un « groupe scientifique » avait été constitué pour aider à cadrer les discussions. Cette fois, il s’agirait de donner à ce comité les moyens – et les compétences – pour réellement avancer dans une programmation muséographique. Celle-là même qui manque pour pouvoir définir les besoins du bâtiment et lancer des concours d’architectes.

Un « feu vert très clair »

Ce comité peut-être constitué rapidement, assure Yolande Vernaudon, qui voit dans l’échange entre le haut-commissaire et le président un « feu vert clair » pour avancer. « On est prêt, aussi, à formuler des propositions de composition d’un comité scientifique. Avec des gens qui ont, dans différents domaines, effectivement déjà travaillé sur le sujet, déjà produit sur le sujet, et pas uniquement des sciences académiques, reprend la déléguée. Sur les sciences académiques il y a le volet historique et il y a les volets des sciences expérimentales, ce sera transdisciplinaire, mais on ne s’arrêterait pas là : il y a aussi tout ce qui est production artistique, réflexion culturelle, protection de l’environnement… »

Enfin le déblocage du projet ? À voir. L’inscription du centre de mémoire dans la convention culture État-Pays signée il y a quelques mois, et qui ouvre la voix à un accès plus direct aux experts culturels nationaux sur le sujet, est aussi une « étape décisive ».  Mais le sujet de la mémoire des essais reste des plus politiques, et malgré les preuves de bonne volonté données face caméra côté État et Pays ces derniers temps, le sujet continuera de faire débat dans le fond. Du côté de l’État où, malgré le volontarisme affiché du haut-commissaire, on craint encore la transformation du site en objet de « recueillement » ou en outil « militant ». Du côté du Pays, aussi, où, au sein même de la majorité Tavini, les différences de sensibilité sont très marquées sur ce cœur historique du combat indépendantiste.

« Il ne s’agit pas d’avoir à tout prix des consensus pour avancer dans ce centre de mémoire, encore moins d’imposer une vérité unique, mais de permettre une expression de tous les points de vue, dans le respect des autres », indique Yolande Vernaudon. La déléguée, que certains membres de la majorité Tavini voulaient voir, l’année dernière, remplacée par une personnalité plus proche des milieux « anti-nucléaires », ne s’attendaient à ce que ce projet de centre de mémoire soit facile ou rapide à mener. « Mais une chose est certaine : si on veut aller trop vite, on risque de bloquer complètement le projet. »

 

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