Le Cesec a étudié jeudi matin le projet de texte sur la « solidarité dans le domaine de l’électricité ». Il doit, dès 2021, mettre en place un système de péréquation tarifaire au fenua. Concrètement, les grands réseaux, notamment à Tahiti Nord, financeraient une baisse de facture des réseaux moins bien lotis. L’effort de règlementation était attendu mais le Cesec n’est pas convaincu.
« Ils veulent déshabiller Paul pour habiller Jacques« . C’est en substance, le sentiment de beaucoup du conseillers économiques et sociaux, qui se sont exprimés jeudi sur les projets de loi du Pays et de délibération relatifs au « dispositif de solidarité dans le domaine de l’électricité ». Un texte évoqué depuis de longues années, très demandé dans les archipels, plusieurs fois annoncé et reporté par le Pays, et qui doit mettre en place un système de péréquation sur les tarifs de l’électricité à l’échelle de la Polynésie. Le problème est connu : plus les réseaux sont petits, éloignés, dispersés, plus les coûts de revient de l’électricité sont importants. Quand Tahiti Nord produisait pour 28 francs le kWh en 2016, Uturoa atteignait les 60 francs et certaines petites collectivités, comme Puka Puka ou Maupiti dépassaient les 100 francs le kWh.
Un mécanisme de rééquilibrage existe déjà, mais il est officieux : EDT pratique une « péréquation interne » sur ses concessions, qui, mises bout à bout, représentent 90% de la consommation. L’idée du texte est de substituer à ce système une péréquation plus encadrée, plus transparente, et plus inclusive. Si l’adhésion au dispositif est facultative, elle a de quoi attirer les responsables de la plupart des réseaux, notamment les plus petits qui se trouvent souvent en régie communale. Les gestionnaires s’engageraient à limiter les tarifs de l’électricité – dans une fourchette de 20% par rapport au prix moyen des concessions EDT – et accéderaient en échange à une « compensation de péréquation ». Ce « complément à apporter au chiffre d’affaire » doit permettre à l’exploitant « de faire face à ses coûts et dégager une marge raisonnable », détaille l’administration.
Quel surcoût pour les usagers de Tahiti ?
Une « harmonie tarifaire » qui a un coût. Le projet de loi met en place un fond ad hoc abondé par une taxe relevé par les gestionnaires sur les factures dans tout le fenua. Les sommes en jeu sont importantes. La péréquation interne d’EDT reviendrait déjà à redistribuer 2,5 milliards de francs depuis Tahiti vers les îles. Et l’extension du périmètre de cette solidarité à d’autres réseaux pourrait coûter 860 millions de francs supplémentaires. Soit environ 1,5 francs par kWh en plus sur les factures. Le Cesec estime que « les mises aux normes, les extensions, les modernisations de certains ouvrages » sur les petits réseaux « engendreront des coûts supplémentaires ». Et redoute donc que « l’intégration de nouveaux réseaux affecte davantage les tarifs actuels ».
Or comme le relèvent les conseillers, l’effort ne sera pas réservé aux foyers aisés. « Est ce que les personnes aidées sont les bonnes ? », interroge Edgar Sommers, conseiller CSTP-FO. « La solidarité ce serait d’alléger la facture des familles dans le besoin, ce n’est pas ce qui est proposé, renchérit Tepuanui Snow, un des rapporteurs du texte. Il y a des foyers riches et des foyers pauvres sur tous les réseaux ». Y compris à Tahiti Nord.
« Solidarité » ou pas, un mécanisme de péréquation tarifaire est depuis des années présenté comme un préalable à de réelles avancées en matière d’énergie à l’échelle de la Polynésie. Le Cesec s’interroge, à ce sujet, sur l’absence de mention de la transition énergétique dans le projet de texte, qui ne porte pourtant pas réellement sur ce dossier. D’autres conseillers – et c’est une critique de plus en plus fréquente des textes présentés par le gouvernement – dénoncent l’absence de certaines données importantes du projet, sur l’impact financier pour les usagers, notamment. « Il fallait créer un cadre, il est là, mais le texte présenté est trop imprécis et incomplet », relève Christophe Plée.
La CSPE nationale, « la vraie solidarité »
Le Cesec, surtout, en revient donc à son vœu de 2014, par lequel il demandait l’application de la CSPE à la Polynésie. Cette « contribution au service public de l’électricité », mécanisme de péréquation national, sera forcément avantageuse pour le fenua vu les coût de revient très bas de l’électricité en métropole. « Grâce au nucléaire », pointe Christophe Plée. Pour Tepuanui Snow, « la vraie solidarité, c’est la solidarité nationale ».
Là encore, un vieux dossier, mais qui motive plusieurs prises de paroles au sein du conseil. Pour Patrick Galenon, autre rapporteur du texte, le pays ne se bat pas suffisamment pour obtenir ce nouveau coup de pouce de l’État. Et pourtant d’autres collectivités autonomes d’outre-mer, comme Wallis-et-Futuna ou Saint-Barthélémy, y ont droit.
Cet « avis réservé », adopté par une écrasante majorité, permet finalement au Cesec de faire entendre ses doutes et ses demandes sans s’opposer frontalement à l’avancée du texte. Car on sait que l’absence de péréquation a beaucoup fait patiner les discussions sur l’énergie en Polynésie. « Le dossier était dans les cartons depuis 15 ans, j’espère qu’il ne va pas l’être pendant encore 15 ans », reconnait un conseiller.