Saisi dans l’affaire du marché de la construction de la future cité judiciaire à Vaiami, le Conseil d’État a estimé, sur la base de texte vieux de 80 ans, que les architectes métropolitains pouvaient exercer « ponctuellement » sur le territoire, et donc répondre à des appels d’offres sans mandataire local. Le monopole de la maîtrise d’œuvre, traditionnellement reconnu aux membres de l’ordre polynésien, n’est en fait appuyée sur aucune loi du Pays, pourtant compétent depuis 40 ans. Un projet est toutefois déjà dans les tuyaux.
C’est une décision qui risque de faire parler chez les architectes de Polynésie. Et qui doit interpeller les élus, comme l’espèrent les professionnels. En 2023, un appel à candidatures est lancé par un organisme d’État, l’Agence publique pour l’immobiliser de la justice, pour la construction de la future cité judiciaire de Papeete sur l’ancienne emprise de l’hôpital Vaiami. Un marché, treize candidats, et un déçu : le groupement comprenant plusieurs acteurs locaux dont Island Studio Architecture, informé en juillet 2023 qu’il ne faisait pas partie des finalistes retenus dans la procédure. Le cabinet de Nicolas Gourdon, en outre président du conseil de l’ordre des architectes de Polynésie, saisit le juge des référés et pointe que l’État n’a pas clairement limité son appel aux seules offres qui s’appuieraient sur des architectes locaux. Certains finalistes ont d’ailleurs des mandataires basés en métropole. Une entorse au « monopole » traditionnel des architectes polynésiens sur les projets menés sur le territoire.
Un texte de 1940 en l’absence de droit local
Le juge administratif de Papeete lui donne raison en décembre : seuls les architectes inscrits au tableau de l’ordre de Polynésie peuvent exercer sur le territoire. Mais l’agence d’État contre-attaque par ce recours devant le Conseil d’État. Et la juridiction parisienne a fini, ce mercredi, par contredire la décision prise en référé. Le Conseil d’État n’a en effet pu s’appuyer que sur un décret de 1947 règlementant la profession en outre-mer (et, à l’époque, en Indochine), qui précise bien que pour exercer, les architectes doivent être inscrits au tableau de l’ordre des architectes du territoire en question. Sauf qu’un autre texte national, encore plus vieux puisqu’il est daté de 1940, précise que les professionnels extérieurs peuvent « aviser » le conseil local et exercer « sous son contrôle » pour une mission ponctuelle. Une loi nationale de 1977 prévoit bien de restreindre cet accès, mais « aucun décret n’a rendu ses dispositions applicables en Polynésie »… Qui suit donc des règles vieilles de plus 80 ans, depuis longtemps modernisées en métropole.
En creux, le Conseil d’État pointe en fait l’absence de cadre légal clair au fenua, où le Pays a la compétence de réguler la profession depuis le premier statut d’autonomie. Mais en l’absence de loi du Pays, il a bien fallu trouver un droit antérieur. Pas besoin d’être inscrit au tableau de l’ordre de Polynésie, donc, s’il s’agit d’une « intervention ponctuelle ». La décision de référé étant annulée, l’agence d’État peut reprendre sa procédure d’attribution du marché là où elle l’avait laissé, sans Island Studio, et sans restriction sur le choix du groupement lauréat.
Un projet de loi du Pays qui reste à voter
Le monopole des architectes locaux vole en éclats ? Pas tout à fait, puisque les architectes extérieurs devront se déclarer et s’entendre avec le conseil de l’ordre, qui aura tôt fait de pointer des incohérences de règlementation entre la métropole et le fenua. À titre d’exemple, les architectes locaux ont l’interdiction d’exercer sous forme de SARL alors que la plupart des hexagonaux ont choisi cette forme pour leur cabinet. De nouvelles passes d’armes juridiques à prévoir.
Chez les professionnels, on pointe déjà que la solution ne peut venir que d’une clarification du droit par le Pays, qui n’a pour l’instant pas pris en main l’entièreté de sa compétence en la matière. Chance : un projet de loi avait commencé à être préparé sous la mandature d’Édouard Fritch, a été immédiatement repris par le gouvernement Brotherson, qui l’a transmis à plusieurs instances consultatives. La décision du Conseil d’État est une raison de plus de le faire aboutir rapidement.