Le rapporteur public du Conseil d’État a donné ce lundi le sens de ses conclusions sur le recours de six élus A Here ia Porinetia et Tapura contre la loi du Pays du 15 décembre 2023 portant diverses mesures fiscales. Sauf à changer ses habitudes, le Conseil d’État dont l’audience est prévue après-demain prononcera l’annulation de cette loi, qui avait été l’objet de deux passages en commission de l’Économie, au mépris du règlement intérieur de l’assemblée, et qui touchait des domaines sensibles comme l’immobilier, la défiscalisation et l’importation des véhicules électriques et hybrides.
Souvenez-vous, c’était juste avant l’adoption du budget. Lors d’un premier passage en commission de l’Économie, qui avait duré onze heures, le texte « portant diverses mesures fiscales dans le cadre de l’approbation du budget de la Polynésie française pour l’exercice 2024 » avait été amendé à plusieurs endroits , principalement à l’initiative de Nuihau Laurey, et sa nouvelle rédaction largement approuvée y compris par les membres de la majorité Tavini.
Le président de l’assemblée et le gouvernement s’étaient alors entendus, après de multiples claquements de porte en privé, pour présenter un nouveau texte, reprenant à son compte les amendements insérés par l’opposition. Une nouvelle séance de commission avait été convoquée 10 jours plus tard, pour valider – avec les seuls membres de la majorité – ce texte finalement adopté en séance le 15 décembre.
Pour rappel le texte, entre autres, révisait les exonérations fiscales pour les véhicules électriques et hybrides, allégeait les droits d’enregistrement applicables aux primo-acquisitions d’immeubles bâtis et de terrains à bâtir, modifiait la fiscalité sur les cessions d’actions ou de parts sociales des sociétés civiles immobilières, les obligations des acquéreurs en VEFA, augmentait la TVA sur les meublés de tourisme reconduisait l’exonération de charges sociales sur les primes exceptionnelles aux salariés, ainsi que les exonérations à l’importation de certains matériaux de construction, abaissait les droits d’enregistrement sur les créations de sociétés, augmentait les taxes sur le tabac. Il modifiait également les taux de la défiscalisation Pays et la destination de ces crédits d’impôt.
Au grand dam des membres de l’opposition AHIP et Tapura, qui dénonçaient alors le fait que le règlement intérieur ne prévoyait pas la possibilité de convoquer deux séances de commission sur un même texte (les amendements ultérieurs devant être présentés en séance), et qui accusaient Tony Géros de tailler un règlement sur mesure. Les deux partis d’opposition avaient donc porté l’affaire devant le Conseil d’État.
Ce matin à Paris, les conclusions du rapporteur public ont été dévoilées : elles tendent à l’annulation de la loi, prise, dit le Conseil d’État, en méconnaissance de l’article 27 du règlement intérieur de l’assemblée de la Polynésie française. L’affaire sera examinée en audience mercredi, et il serait très inhabituel que la cour ne suive pas les conclusions du rapporteur, ce qu’elle fait dans 95% des cas.
« Un désaveu complet du gouvernement »
Grande satisfaction, bien sûr, pour Nuihau Laurey : « Sur le fond, c’est vraiment un désaveu complet du gouvernement, puisque ce texte était le plus emblématique de l’exercice 2023. »
Tepuaraurii Teriitahi, co-signataire du recours, rappelle que les autonomistes « avaient appelé à la vigilance le président de l’assemblée de la Polynésie, les membres de la commission, par rapport à la procédure, et on ne nous a pas entendus, c’est ce qui nous a amenés à aller jusqu’au recours. C’était bafouer la décision des élus. » La décision du Conseil d’État signifie que toutes les recettes fiscales collectées depuis le 1er janvier, date de l’entrée en vigueur du texte, sont attaquables, dit l »élue Tapura.
« Un déséquilibre budgétaire d’environ 4 milliards »
Une décision qui n’est pas sans conséquences budgétaires, explique l’ancien ministre des Finances, puisque le budget deviendrait ainsi « insincère » et devra être l’objet d’un collectif budgétaire dès l’ouverture de la session administrative le mois prochain. « Ça signifie un déséquilibre budgétaire d’environ 4 milliards », rappelle le vice-président de AHIP.
Si les conclusions du rapporteur public portent sur la forme, il est encore possible que la décision aborde également le fond du texte. Si ce n’est pas le cas, dit Tepuaraurii Teriitahi, rien n’empêchera ceux qui se sentent lésés, en l’occurence les professionnels de l’immobilier, de faire à nouveau un recours sur le fond si le prochain texte que déposera le gouvernement reprend les mêmes dispositions.
Anthony Géros : « On va rectifier le texte et puis la majorité va voter d’une voix »
Anthony Géros a réagi à la nouvelle en marge de la présentation du colloque sur les finances publiques polynésiennes. Il « attend la mise en lecture » de la décision pour « en savoir un peu plus. Si on invalide le texte sur la base de la mauvaise application de l’article 27, je veux bien, mais je veux qu’on me dise pourquoi. » Il n’est pas inquiet sur la forme puisque le Tavini n’aura aucun mal à faire adopter le texte à nouveau : « On va rectifier le texte, et puis la majorité va voter d’une voix », dit-il. Mais si le Conseil d’État ne se prononce que sur la forme, le texte fera, il le sait, l’objet d’un nouveau recours sur le fond, probablement de la part des acteurs économiques affectés par la loi fiscale. Quant au calendrier pour ce nouveau texte, Anthony Géros rappelle qu’il n’est pas entre ses mains : « Il faut poser la question au ministre, parce que là on rend le manche au gouvernement. » |