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Coronavirus : la croisière touchée mais pas coulée ?

©Cédric Valax

Plusieurs croisiéristes mondiaux ont annoncé une reprise progressive de leur activité entre mi-juin et début juillet. Mais beaucoup de doutes planent toujours sur la capacité du secteur à rebondir après une crise sanitaire qui aura beaucoup pesé, en termes financiers et en termes d’image. Les acteurs polynésiens savent que la concurrence sera rude dans l’après-coronavirus mais veulent se montrer optimistes.

C’est cette semaine qu’aurait dû avoir lieu le salon Seatrade de Miami. Une grand-messe annuelle de la croisière à laquelle une délégation polynésienne, dont la ministre du Tourisme Nicole Bouteau, avait prévu de participer. Et le fenua pouvait débarquer confiant en Floride : avec 63 000 excursionnistes en un an (30% d’augmentation en un an) et 45 225 passagers des croisières intra-polynésiennes, comme le calcule l’ISPF, 2019 avait encore montré la vigueur du secteur dans le pays. Les chiffres mondiaux ne sont pas moins flatteurs. Malgré une résurgence des critiques sur le plan environnemental, les paquebots ont accueillis près de 30 millions de passagers sur l’année, un chiffre qui a presque doublé en 10 ans. Et puis le coronavirus est arrivé.

Si toute l’industrie du tourisme est aujourd’hui ébranlée, la croisière a été un des secteurs les plus affectés par la pandémie. Dans son activité – toutes les compagnies mondiales sont aujourd’hui à l’arrêt –, dans ses finances – même vides, les navires consomment des millions de dollars en maintenance et les cours des principales compagnies ont perdu 60 à 80% entre janvier et avril – et surtout dans sa notoriété. Les images de ces dizaines de bateaux de croisière, pour certains lourdement touchés par le Covid-19, rejetés en port en port par peur de l’épidémie, ont fait le tour du monde. Les derniers passagers des grands paquebots ont pu débarquer il y a quelques jours, après plusieurs semaines en mer. Et d’autres navires, même débarrassés de leurs clients, sont encore aux prises avec le virus. Le secteur peut-il se remettre d’une telle période noire ? Les professionnels locaux, en tout cas, veulent y croire.

« On n’enregistre aucune annulation » au fenua

Ils peuvent compter sur les réserves financières des grandes compagnies de croisière, qui font tout pour favoriser un rebond une fois la crise passée. Ainsi, plusieurs géants du secteur ont donné un coup de pouce aux commissions des voyagistes pour les encourager à louer leurs cabines. Mais surtout, la plupart des passagers dont le voyage a été annulé ont été compensés à hauteur de 125% du prix de leur billet… à condition de réserver dans les mois à venir. Résultat : « On enregistre aucune annulation », sur les croisières prévues au fenua, assure Bud Gilroy, à la tête du Tahiti Cruise Club. « Beaucoup de gens ont reporté leur croisière à 2021 », explique-t-il et la tendance serait même « haussière » pour l’année prochaine.

Reste qu’un flou pèse sur le redémarrage de l’activité. Le Pays à la chance d’accueillir des paquebots en « tête de ligne » qui pourraient rapidement réembarquer des passagers s’ils le pouvaient : l’Aranui qui n’a pas arrêté ses rotations, le Paul Gauguin, à quai à Papeete, ou le Wind Spirit, que Tahiti Tourisme « espère revoir très rapidement ». Les compagnies communiquent sur des reprises entre la mi-juin et la mi-juillet. Mais cette reprise « reste très hypothétique » et « dépend de beaucoup de facteurs » insiste Bud Gilroy. L’autorisation des vols internationaux bien sûr, la levée des barrières sanitaires dans les marchés d’origines des touristes (Amérique du Nord, Europe, Australie)… Mais aussi la volonté des populations de chaque île de Polynésie, et de leurs élus, de recommencer à accueillir de nouveaux des flots de passagers.

Bateaux plus petits, plus technologiques ?

Pour convaincre, les professionnels du secteur mettent en avant les retombées financières pour le fenua. La croisière représentait 15 milliards de francs en 2018, soit un peu moins d’un quart des dépenses touristiques dans le pays d’après l’ISPF. Mais les craintes sanitaires pourraient prendre le dessus, et il faudra montrer patte blanche. « Tout le monde s’attend à ce que l’industrie prouve qu’elle a mis en place des mesures sanitaires », note Bud Gilroy, qui dénonce une « vilainisation » de la croisière, «prise pour cible » dans cette crise mondiale. Lors des croisières intra-polynésiennes, les plus rentables pour le pays, « tous les passagers qui embarquent ont pourtant déjà pris l’avion », pointe le professionnel.

Dans le secteur, les discussions vont bon train sur les conditions de reprise de l’activité. Beaucoup d’analystes prévoient en tout cas des contrôles médicaux plus stricts à bord, de nouveaux modes de fonctionnements dans les parties communes… Et peut être un bond technologique sur les paquebots. « La pandémie va accélérer la marche de l’industrie touristique vers des normes d’hygiène plus élevées pour incorporer des systèmes de nettoyage automatisés et numériques », explique par exemple une analyste du secteur à la chaîne américaine CNBC. Des robots pour rassurer les passagers ?

« Se concentrer sur certains marchés », flairer les « opportunités »

La crise devrait aussi rebattre les cartes du marché pour les destinations. « Nous sommes convaincus que la concurrence sera très difficile », pointe Iotua Lenoir, spécialiste du secteur chez Tahiti Tourisme, qui, lui aussi, insiste sur la nécessaire concertation avec les populations et les tavana.

La Polynésie pourra-t-elle sortir son épingle du jeu dans l’après-coronavirus ? « Elle a des arguments », répond Bud Gilroy, pour qui la pandémie va favoriser les destinations « plus nature », « plus isolées ». D’autres estiment que ce sont surtout les « méga paquebots » qui risquent d’être boudés par les voyageurs. Or les navires qui fréquentent le fenua sont loin d’être les plus gros du monde. Parmi les 37 navires qui ont sillonnés nos eaux en 2019, seuls 9 transportaient plus de 2 000 passagers et un seul plus de 4 000, d’après l’ISPF.

Bons arguments ou pas, il faudra quoiqu’il arrive développer des efforts de communication et de marketing. « Cela nous amène à revoir l’ensemble des marchés sur lesquels nous sommes positionnés, reprend Iotua Lenoir, de Tahiti Tourisme. Il va falloir concentrer nos efforts sur certains marchés et être réactifs si nous avons des opportunités ».

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Journal de 12:00, le 24/04/2020

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