Mardi, le conteur hawaiien, Moses Goods, et la conteuse pascuane, Kimi Ora Hey Araki, ont raconté des légendes polynésiennes face à des détenus attentifs et intéressés. Un moment d’échange. Reportage.
Difficile de trouver une place sur les bancs de la Chapelle de la prison de Nuutania. Les détenus sont venus nombreux pour écouter les histoires de Hawaii et de l’île de Pâques. Ils sont une quarantaine. « Vous faites partie de la Polynésie, ce n’est pas parce que vous êtes en prison que vous êtes à l’écart de cela » explique devant l’assemblée Yvan Colins, directeur adjoint du SPIP, « On souhaite travailler sur l’identité polynésienne : qui on est, où on va ? … ». Pour répondre à ces questions, le Service Pénitentiaire de l’Insertion et de Probation a invité deux conteurs : Moses Goods et Kimi Ora Hey Araki. C’est la jeune Pascuane qui initie cette première après-midi d’échange avec les prisonniers, une autre suivra jeudi.
Attentifs et réactifs
Accompagnée d’une interprète, Kimi a décidé de conter l’histoire de son roi arrivant jusqu’à Rapa Nui. Une histoire importante car il s’agit de savoir d’où l’on vient et comment les ancêtres ont évolué et formé ce qu’est la Polynésie aujourd’hui. Les détenus sont attentifs, ils découvrent une autre culture, une autre histoire, une autre langue. « C’est une vrai découverte, c’est très beau. Même si parfois c’est différent, on sent que nous sommes le même peuple », confie un jeune détenu, âgé de 19 ans. Il est venu assister à cette séance par curiosité. Il ne le regrette pas. « C’est la première fois que je rencontre des Hawaiiens et Pascuans, je reviendrai jeudi ! ». Le jeune homme n’est pas le seul à être tombé sous le charme de la conteuse. Dans la salle de la chapelle, le silence s’est installé, on peut entendre les mouches voler. Les prisonniers sont envoûtés par la voix de Kimi qui entrecoupe son conte par des chants. Tour à tour danseuse, conteuse, ou peintre, la jeune Pascuane est habitée par sa culture. Alors, la partager avec des personnes enfermées entre quatre murs a été pour elle un véritable moment d’émotions. « C’est la première fois que je vis un échange avec des prisonniers. Etre aussi jeune et avoir la possibilité de partager quelque chose de si petit mais de si grand à la fois, est extraordinaire. Je suis fière. », confie la jeune femme à la fin de son intervention.
Un même langage
Les détenus sont de plus en plus nombreux à entrer dans la salle de la chapelle. Certains se tiennent sur les barreaux qui fixent la limite avec les couloirs. Après une intervention de la conteuse Léonore Canéri, venue raconter avec dynamisme et passion l’histoire du jeune Mao’hi à la recherche de sa mère, c’est au tour de Moses Goods d’entrer en scène. Le Hawaiien est connu dans son pays, mais pas seulement. Sa popularité a traversé les océans. Aujourd’hui, il se tient devant les prisonniers de Nuutania. Des prisonniers qui ont tenu à ce que ce dernier conte soit en hawaiien. Moses est monté sur la table, il est accroupi. Il se met à chanter. Sa voix grave résonne dans le hall de la petite chapelle de la prison. Il se présente et dit bonjour à son assemblée. « Je viens vous raconter l’histoire de nos ancêtres, l’histoire du dieu Kamapua », déclare t-il avant de commencer. Moses, qui conte donc en hawaiien, mime, grimace, bouge, pleure, meurt, rit… Nul besoin de comprendre la langue pour saisir le sens de l’histoire. Les détenus réagissent, et s’amusent. Ils apprécient l’histoire de ce dieu hawaiien, Kamapua. Ce dernier est connu pour aimer les femmes. Un jour, il voyage jusqu’à Kahiti, certains racontent qu’il s’agit de Tahiti. Il y rencontre la déesse du feu. Il souhaite l’embrasser. « La suite, je vous la raconterai un autre jour », lance le conteur à la fin de son intervention, sourire en coin. « Ohhhhh… » peut-on entendre dans la salle, avec une pointe de déception.
Se reconnecter avec la culture
Comme pour pallier à cette frustration, Kimi Ora Hey Araki revient sur scène avec un chant pascuan : un hommage au Moai. Les prisonniers sont enchantés, envoûtés. Applaudie et félicitée, Kimi laisse la place à Moses, qui tient à répondre. « C’est fort ! », confie un détenu. Le trentenaire est ravi : il a appris quelques mots en hawaiien. « C’est parfois comme le Paumotu », intervient un autre prisonnier. Un petit groupe s’est désormais formé, chacun a son mot à dire. Tous ont apprécié cette intervention. Tous reviendront jeudi pour le prochain échange, cette fois avec un tatoueur et un sculpteur. « Ces moments sont très importants. Il faut mélanger les détenus avec les évènements polynésiens. Beaucoup d’entre eux sont en rupture d’identité, notamment les jeunes, c’est donc fondamental de les raccrocher à leur identité polynésienne », explique Yvan Colin, très satisfait de cet échange avec le festival et la Maison de la Culture, avec qui il travaille déjà par ailleurs. Yannick Massard, directeur de la prison, est tout aussi ravi. « Grâce à ce type d’intervention, Nuutania fait partie de la cité, on est associé à la vie culturelle polynésienne ». Si les détenus sont de cette manière reconnectés à la culture, il en va de même pour les intervenants. « J’ai déjà travaillé avec des prisonniers, mais c’est la première que je me sens aussi connecté avec eux. J’ai ressenti beaucoup d’émotions. C’est incroyable ! », confie Moses, encore bouleversé par cet échange. Le mot d’ordre du festival semble avoir franchi les barreaux séparant le monde extérieur de celui de la prison de Nuutania …
Suliane Favennec