LA PLUME DANS LA PLAIE – Après Valérie Trierweiler et avant Aquilino Morelle, les ex-ministres Cécile Duflot et Delphine Batho publient des livres à charge contre le chef de l’Etat.
C’est bien connu, la vengeance est un plat qui se mange froid. Mais dans le monde politique, il se savoure de plus en plus chaud. Pour preuve, ces anciens ministres qui, peu de temps après leur départ du gouvernement, racontent dans des livres les coulisses d’un quinquennat qui n’en est même pas à sa moitié. Ainsi, Delphine Batho, éjectée de l’exécutif en juillet 2013 pour avoir critiqué le projet de budget, publie mercredi un ouvrage intitulé Insoumise (Grasset), dans lequel elle épingle violemment François Hollande.
L’ex-ministre de l’Ecologie raconte dans le détail les conversations qu’elle a eues à huis clos lorsqu’elle était au gouvernement. Y compris tous les SMS et coups de fil échangés avec François Hollande et Jean-Marc Ayrault le jour de son limogeage. Pointant l’impuissance de l’appareil d’Etat face aux lobbies, Delphine Batho va jusqu’à interpeller ainsi François Hollande, en le tutoyant, à la fin de son ouvrage. « Ton échec le plus grave, c’est d’avoir tourné le dos à tes idées », écrit-elle. Avant d’asséner avec cruauté : « au fond, tu le sais bien, il n’y aura pas de deuxième mandat pour toi ».
CONVERSATIONS À HUIS CLOS
Avant elle, Cécile Duflot avait sonné la charge. De l’intérieur, son « voyage au pays de la désillusion » publié fin août chez Fayard, écorche lui aussi sévèrement le chef de l’Etat. « A force d’avoir voulu être le président de tous, il n’a su être le président de personne », tacle-t-elle. L’écologiste raconte elle aussi par le menu les conseils des ministres, ses conversations avec François Hollande, ou encore les propos tenus en privé par ses collègues d’alors.
Ce succès en rappelle un autre, bien plus spectaculaire. Début septembre, la tornade Valérie Trierweiler a déferlé sur les librairies : Merci pour ce moment (Les Arènes). Ce portrait dévastateur d’un François Hollande dur et méprisant a confirmé que la rentrée littéraire serait sanglante pour le président. Et ce n’est pas fini. Son ancien conseiller Aquilino Morelle, congédié en avril, prépare lui aussi un livre. « Et ça peut saigner », a-t-il prévenu dans le Nouvel Observateur.
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La vengeance serait-elle à la mode en politique ? « Ce n’est pas un règlement de compte du tout. C’est de la lucidité et de la franchise », s’est défendue Cécile Duflot. Delphine Batho aussi réfute le terme. « Il n’y a pas de haine dans mon livre », a-t-elle insisté, lundi au micro d’Europe 1. « Je suis très respectueuse des personnes. Mais c’est vrai que je tire un bilan implacable d’une génération qui paraît être prisonnière d’une vision gestionnaire et qui ne porte plus l’aspiration à changer la société ».
Delphine Batho dans « Le Club de la Presse… par Europe1fr
Pour un fidèle de Nicolas Sarkozy, François Hollande récolte ce qu’il a semé : « il a composé son gouvernement en fonction de ses différentes clientèles politiques. Résultat, ces gens pensaient que tout leur était dû. Il ne faut pas s’étonner s’ils expriment leur déception ».
DES CARTONS EN LIBRAIRIE
Reste que les lecteurs semblent trouver leur compte dans ces récits des coulisses du pouvoir. Le livre de Valérie Trierweiler s’est arraché à 567.000 exemplaires, selon des chiffres arrêtés mardi soir, communiqués par l’éditeur à Europe 1. A côté de ce carton, les livres des ex-ministres boxent dans une autre catégorie. Mais Cécile Duflot a tout de même écoulé 33.000 exemplaires de son ouvrage depuis fin août.
« C’est un très bon chiffre pour ce type de livre et compte tenu de la situation du secteur », se félicite Sophie Charnavel, directrice éditoriale de Fayard, l’éditeur de Cécile Duflot. Mais pour elle, ce succès n’est pas seulement lié au déballage des petits secrets de l’exécutif : « ce n’est pas un livre de vacheries. Il entre en résonance avec un sentiment dans la société, celui de ceux qui ont cru en Hollande et ont été déçus ».
Pour autant, il sera toujours plus facile de vendre un livre nourri d’anecdotes et de critiques plutôt qu’un ouvrage sans fracas. Pour preuve, le flop du récent livre de Michel Sapin, L’Ecume et l’Océan (Flammarion), dans lequel il raconte ses deux ans au ministère du Travail, en défendant la ligne de l’exécutif. Plus de quatre mois après sa sortie, il s’était écoulé à… 312 exemplaires ! « Les livres de positionnement n’intéressent personne. Le public a un radar à langue de bois », affirme Sophie Charnavel.
« TRIERWEILER A REPOUSSÉ LES LIMITES »
« Le récit politique, ça a toujours existé », argue Sophie Charnavel. Certes, mais désormais, les « ex » n’attendent plus la fin du mandat pour en livrer les coulisses. « Il y a sans doute eu une accélération », concède la directrice éditoriale de Fayard. « Et le livre de Valérie Trierweiler a repoussé les limites de tout ce qu’on pouvait imaginer ».
Reste l’intérêt politique qu’en retirent les auteurs. « Duflot et Batho ont encore un long parcours politique devant elles. Elles veulent se positionner pour la suite, montrer qu’elles ont essayé de faire prévaloir leur point de vue », analyse un ancien ministre de Hollande. Un éditeur tempère : « la vie n’est pas forcément facile après avoir écrit un livre de ce type, il faut assumer ». Assumer d’avoir couché sur le papier des propos tenus à huis clos.