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Le Mémorial du bagne calédonien, une « histoire partagée » en images

Au Vent des Îles publie un imposant Mémorial du bagne calédonien, qui retrace, avec de nombreuses d’illustrations d’époque, 60 ans d’histoire de « la Nouvelle ». Malheur, labeur et réhabilitation des condamnés, administration d’une colonie pénitentiaire qui s’installe sur une terre déjà habitée. Pour Louis-José Barbançon, cet ouvrage, aboutissement de 5 ans de travail et 50 ans de réflexions, doit rappeler, à quelques jours du referendum, que cette histoire « entre les chaînes et la terre » est celle de tous les Calédoniens.

« Longtemps, la terre de Nouvelle-Calédonie a retenti du bruit des chaînes… » Ce temps, qui s’étire entre 1864 et la fin des années 1920, Louis-José Barbançon l’explore « depuis près de 50 ans ». Aussi, pour cet « Océanien d’origine européenne », docteur en histoire et auteur de nombreux ouvrages sur le Caillou et ses habitants, la parution du Mémorial du bagne calédonien, édité par Au Vent des îles, est un aboutissement. Deux volumes épais – plus de 1000 pages en tout – dans lesquels le texte semble s’écarter pour donner toute sa place à l’image. « À peu de chose près, l’ouvrage rassemble toutes les illustrations qu’on peut trouver sur cette époque », explique son éditeur Christian Robert. « Je n’ai pas voulu une histoire illustrée, complète l’auteur, personnalité résolument clivante, mais écoutée par tous les bords en Calédonie. La démarche, c’est de rassembler des images commentées, avec des témoignages de contemporains du bagne ». Ceux, plutôt rares, des près de 22 000 transportés condamnés aux travaux forcés, des déportés politiques ou des « relégués » pour récidives, suivis dans leur « malheur », leur labeur et leur réhabilitation. Mais aussi ceux des administrateurs, surveillants ou techniciens qui ont participé à cette « colonisation pénitentiaire ».

Spécialiste reconnu de l’histoire moderne de la Calédonie, Louis-José Barbançon est, par ses racines caldoches et ses engagements auprès des indépendantistes, une personnalité à part dans le paysage intellectuel du Caillou.

En parlant de leurs origines – métropolitaines bien sûr, mais on trouve aussi, dans les registres de matricules, des Italiens, Belges, Kabyles, ultramarins, dont 22 Polynésiens et une vingtaine de Chinois de Tahiti – et de leur métiers, mis à profit à la « Nouvelle », José-Louis Barbançon dépeint un bagne « cosmopolite » et « entrepreneur », qui a façonné le visage de la Calédonie d’aujourd’hui. De « toute » la Calédonie : l’historien rappelle que 115 Kanak ont été condamnés au même sort que les forçats. Mais il détaille aussi le rôle de la police indigène, réputée « très efficace » pour rattraper des évadés, des tribus qui ont, au contraire, ont accueilli voire des fuyards, des métissages – évidents, vu le ratio d’hommes parmi les condamnés – et plus globalement des relations entre le peuple premier de l’archipel et ces arrivants qualifiés, plus tard, de « victimes de l’histoire ».

Le bagne « n’est pas seulement l’histoire des Blancs »

« L’insularité, c’est toujours la complexité », pointe le natif de Nouméa, dont la famille, comme tant d’autres, avait choisi d’oublier le passé de bagnards de ses aïeux. « Beaucoup de choses se sont débloquées depuis », assure l’auteur de Le Pays du non-dit et de L’Archipel des forçats qui a lui-même fait beaucoup pour que les langues se délient. Aujourd’hui l’histoire du bagne est mise en valeur au Nord comme au Sud de la Grande Terre, et est désormais revendiquée par beaucoup, notamment dans le camp loyaliste. L’auteur, qui a reçu des soutiens institutionnels « de toute part » pour ce travail d’intérêt public, ne cache pas qu’il reste pourtant beaucoup à faire pour que toutes les communautés de Calédonie s’approprient cette histoire. « L’un des buts de cet ouvrage, c’est de dire aussi à la population Kanak : « le bagne ne vous est pas étranger », explique celui qui avait été conseiller lors du gouvernement de Jean-Marie Tjibaou en 1982 et 1984. En Calédonie rien ne peut être que l’histoire des blancs, car tout se passe sur une terre Kanak ». Un message, en creux, aux indépendantistes : même si le bagne « est un détail dans l’histoire Kanak », elle doit aussi être portée politiquement.

Personnalité médiatique et pas effrayée par le débat d’idées, Louis-José Barbançon n’a jamais fait mystère de son engagement. « En ce qui me concerne, les choses sont claires : depuis l’âge de 10 ans, j’ai toujours su quel était mon pays et quel était mon peuple, et ce n’est pas la France et le peuple français », explique-t-il, avouant voir ce vote sous l’angle de la « question existentielle » plutôt que sur les « questions conjoncturelles et matérielles ». Le 4 octobre, chacun, en Calédonie, fera sa propre part des choses. Mais « ce que je vais voter est lié à mon histoire, précise le spécialiste. Encore faut-il la connaître ».

 

Déjà un succès en Calédonie

Sorti il y a une dizaine de jours à Nouméa, le Mémorial du bagne calédonien a connu un succès foudroyant à Nouméa. « On a des chiffres de vente qui sont surprenants pour ce qui se fait habituellement dans le monde du livre, et on en est bien sûr très contents », explique Christian Robert, le directeur d’Au Vent des Îles. Une bonne surprise, même si l’éditeur savait que ce livre, après des années de discussions, et, pour le moment, d’échec, sur le projet de « Musée du bagne » à Nouville, « était très attendu ». Il estime aussi que la calendrier institutionnel porte ce genre de travaux. « Avec le deuxième référendum du 4 octobre, peut-être un troisième ensuite, et l’incertitude sur le futur, les gens ont peut-être besoin de se rassurer avec le passé proche, explique-t-il. Et ce monument qu’est le mémorial du bagne peut-être un phare, un repère, posé sur l’histoire commune » de la Nouvelle-Calédonie.

Le prix – 9 900 francs, peu élevé pour ce genre de beau livre, grâce aux aides des institutions calédoniennes et du Centre national du livre – n’est peut-être pas étranger à ce succès.

 

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