ACTUS LOCALESCULTURESOCIÉTÉ Le « Nakamal éphémère », le premier bar à kava du fenua Waldemar de Laage 2024-12-18 18 Déc 2024 Waldemar de Laage Longtemps cantonné à quelques cérémonies, le kava dont l’importation a été libéralisée en mai dernier, peut enfin retrouver sa place au fenua. C’est pour l’y aider que Jenny Tehani et Sylvain Todman ont lancé le « Nakamal Ephémère », un bar à kava itinérant, où le couple partage sa passion pour cette racine vecteur de lien social dans tout le Pacifique. En se déplaçant dans des lieux différents à chacun de leur rendez-vous, le couple veut faire de la « pédagogie » autour de cette plante parfois décriée à tort, et de la dimension culturelle et fédératrice de sa consommation. Issu de la racine du poivrier sauvage, le kava – ‘ava en Tahitien – occupe une place importante dans bon nombre de sociétés du Pacifique. Prépondérante dans la culture du Vanuatu, très appréciée aussi à Wallis et Futuna, Fidji, Samoa ou Tonga, cette boisson à la robe vert-marron est aussi consommée en Nouvelle-Calédonie, dans des bars appelés nakamals. Au fenua « le kava est utilisé depuis des siècles dans le cadre de coutumes religieuses, culturelles et politiques », rappelait le conseil des ministres en mai 2024, au moment d’annoncer la facilitation de l’importation des racines séchées, jusqu’alors réservée aux pharmaciens, vétérinaires ou médecins. Une boisson appréciée dans tout le Pacifique Sud Cette nouvelle réglementation a trouvé écho auprès de plusieurs Polynésiens : différents revendeurs se sont lancés depuis, et la filière se structure pas à pas. Parmi eux, un couple, Sylvain Todman, qui a acquis la citoyenneté vanuataise après y avoir passé vingt ans, et Jenny Tehani, Polynésienne. « Au Vanuatu on en consomme beaucoup et dès qu’il y a eu la possibilité de pouvoir en importer, la première des choses a été de pouvoir en consommer localement. Mais nous avons aussi des amis, des ressortissants du Vanuatu, des Wallisiens, des Futuniens, des Tongiens ou Fidjiens qui avaient envie d’en boire », raconte Sylvain, qui comme d’autres, suit de très près, ces derniers jours, l’évolution de la situation dans l’archipel mélanésien, touché par un puissant séisme et où réside toujours ses enfants. Les rendez-vous se multiplient alors dans un cadre privé et « au fur et à mesure de nos soirées, des discussions et du partage facilités par le kava, on s’est dit qu’on allait proposer des évènements ouverts à tous ». Ils ont donc lancé en octobre le « Nakamal Ephémère », un bar à kava itinérant, qui accueille et va à la rencontre du public. Le kava est fraîchement pressé et les « shells » sont servis dans des endroits aussi variés qu’une pirogue, les locaux d’une société, un restaurant ou un marché de Noël. « Le nakamal, c’est le lieu de rencontre, où on discute, il y a un important lien social », poursuit Sylvain. « C’est comme le tatouage ou la danse, c’est un pilier de la culture océanienne, c’est un tissu social au sein des nations. On peut le voir au Forum du Pacifique par exemple, notre président en a été témoin, les discussions se finissent par un partage de kava ». Le kava est généralement bu dans un demi coco, appelé « shell » Des propriétés relaxantes Le couple, qui a également une activité de livraison du breuvage à domicile, ne travaille qu’avec du « kava noble ». « Il y a des préjugés assez importants sur le kava, mais ce n’est ni une drogue ni de l’alcool. C’est un élément naturel, comme le gingembre, le curcuma, ou encore le café qui est un excitant. A l’inverse, le kava est un relaxant naturel, qu’il faut consommer de manière raisonnable », rappelle Sylvain. https://www.radio1.pf/cms/wp-content/uploads/2024/12/KAVA-1.wav Cet effet relaxant, déstressant, presque anxiolytique, a l’art de « dénouer les langue, ce qui participe à la vie sociale » précise Jenny. Mais, poursuit Sylvain, il ne provoque « pas de dépendance et pas d’hépatotoxicité », comme certaines études réalisées il y a plusieurs années en Occident l’ont suggéré, avant d’être contredites. « Il a été démontré sur les trente dernières années, avec des gros consommateurs de la région, qu’il n’y a pas hépatotoxicité, tant que l’on boit du bon kava, noble et régulé ». Le Nakamal Ephémère prône ainsi le développement d’une filière responsable pour le kava en Polynésie. « Une responsabilité pédagogique » donc. Démocratiser la consommation en respectant la tradition « Mais aussi culturelle », ajoute Jenny. « Cet aspect est vraiment important pour moi, car je fais de la danse tahitienne, j’ai déjà participé à plusieurs cérémonies du kava, mais je n’avais jamais eu l’occasion d’en boire ici », faute de quantités suffisantes dans ces rassemblements. « Il était donc important pour moi de faire découvrir aux Polynésiens que, ailleurs, le kava c’est aussi une plante sacrée. Mais surtout, qu’aujourd’hui, avec la modernité, il se boit quotidiennement dans les autres pays d’Océanie ». https://www.radio1.pf/cms/wp-content/uploads/2024/12/KAVA-2.wav L’idée est donc « de continuer à respecter ce côté sacré, en fournissant nos maîtres de cérémonies en matière première », mais aussi de dire « que ici aussi on peut bénéficier du kava dans notre quotidien » et « s’approprier » ce mode de consommation pour en faire un rendez vous de détente et de relaxation « en fin de journée, plutôt que d’aller boire de l’alcool », détaille Jenny. Reste que la transition, entre une consommation quasi ésotérique et une démocratisation auprès d’un plus large public, doit se faire pas à pas. Sylvain cite l’exemple de son pays, le Vanuatu. Quand l’archipel était encore un condominium franco-britannique nommé Nouvelles-Hébrides, « il y avait de grosses restriction à la consommation du Kava ». « Et ça a été un des premiers piliers de la réappropriation culturelle », une fois l’indépendance acquise en 1980. « Même si la consommation était extrêmement codifiée et que la culture et la tradition étaient fortes, l’idée a été de dire qu’on se le réapproprie en apportant une touche un peu contemporaine de la consommation ». Au fenua, « cette tradition » du kava consommé uniquement en cérémonies « nous impose d’y aller doucement », enchaîne-t-il. Le couple n’est donc pas encore enclin à l’idée d’implanter un nakamal permanent à vocation commerciale, comme il en existe des centaines en Nouvelle-Calédonie par exemple. « Beaucoup nous disent déjà qu’il serait bien d’avoir un lieu fixe, mais nous ne sommes pas pressés, on reste vraiment dans le partage. Faire un nakamal pour faire un nakamal ça serait tomber dans un objectif commercial qui ne nous intéresse pas outre mesure. Le faire en se disant »on ouvre la maison à tous nos amis », peut être. Mais pour l’instant, ce qui nous intéresse c’est vraiment d’aller au contact des gens et de le faire dans plein d’endroits différents ». Ces rendez-vous ont lieu une fois par mois. Le prochain est prévu en bord de mer, ce vendredi 20 décembre chez Bonneville Pizza à Papara. « On invite tout le monde à venir partager », précise Sylvain, qui profitera probablement de la soirée pour échanger avec les convives sur les meilleures façons de venir en aide au Vanuatu dans l’après-séisme. Cliquez pour partager sur Facebook(ouvre dans une nouvelle fenêtre)Cliquez pour partager sur Twitter(ouvre dans une nouvelle fenêtre)Cliquez pour partager sur LinkedIn(ouvre dans une nouvelle fenêtre)Cliquer pour imprimer(ouvre dans une nouvelle fenêtre)