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Le Pays fait redécoller la défisc’ pour « favoriser la concurrence » dans l’aérien

Poenui et Poeiti - Air Moana

©Air Moana

Au détour de la réforme fiscale adoptée hier à l’assemblée, le Pays a rouvert le champ de la défiscalisation à tous les avions, y compris les ATR et les gros porteurs. Une décision qui a soulevé des interrogations dans l’opposition, où l’on note qu’Air Moana cherche justement à acquérir de nouveaux appareils et qu’une autre société veut se placer sur le marché du fret aérien régional.

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C’est une légère retouche du code des investissements qui pourrait peser plusieurs milliards dans les années à venir. Hier, à l’occasion du débat fiscal dont on a surtout retenu la suppression de la TVA sociale au 1er octobre, le gouvernement a aussi demandé aux élus de Tarahoi d’étendre la défiscalisation locale aux achats d’aéronefs par les compagnies polynésiennes. Et de tous types d’aéronefs. Depuis décembre 2022, en effet, cette possibilité était limitée aux avions « de moins de 5,7 tonnes, destinés à une exploitation commerciale et à des évacuations sanitaires interîles d’urgence ».

Les ATR d’Air Moana et un « avion cargo » pour le Pacifique

Une règle qui laissait la porte de la « défisc' » ouverte aux Twin Otter et à certains Beechcraft, utilisés par exemple par Air Archipels, mais qui la fermait notamment aux ATR 42 ou 72, qui assurent l’essentiel de la desserte interîles au fenua. La nouvelle mouture est beaucoup plus large : sont « défiscalisables » tous les aéronefs neufs ou les plans de rénovation d’avion, qu’ils soient destinés au transport de fret ou de passagers, pour le domestique ou l’international. Y compris les « gros porteurs », pointe l’opposition Tapura, relevant qu’un « projet international d’avion cargo pour le Pacifique », présenté par des investisseurs locaux et qui serait destiné à des échanges de produits agricoles avec les pays voisins, a été porté à la connaissance de la commission de contrôle budgétaire et financier. Mais les élus autonomistes ont surtout fait le lien entre cette modification et les ambitions d’élargissement de sa flotte par Air Moana. La nouvelle rivale d’Air Tahiti veut, pour avancer vers une rentabilité de plus en plus pressante, acquérir rapidement trois ATR, que la nouvelle mouture du code des investissements permettra de défiscaliser. Interrogé sur la question, le ministre des Finances Tevaiti Pomare a d’ailleurs lui-même lié cette modification à la volonté du gouvernement de « favoriser la concurrence ». « Il faut permettre à cette concurrence d’exister, a précisé le ministre. Et on veut donner les moyens aux entreprises de favoriser cette concurrence, qui va redonner du pouvoir d’achat aux Polynésiens ».

8 milliards de dépenses ?

« Favoriser la concurrence », donc, mais à quel prix ? C’est toute la question posée par Édouard Fritch qui dit être « favorable » à l’ouverture du ciel, mais sans que cela ne passe « obligatoirement par des subventions aux nouveaux entrants ». L’ancien président a fait ses calculs : à 1,3 milliard de francs de défiscalisation par nouvel avion – seulement un milliard d’après Tevaiti Pomare –  ce serait « 5,2 milliards » de manque à gagner fiscal pour le Pays, et seulement « pour ce qui est des projets dont nous avons connaissance aujourd’hui ». Le leader autonomistes compte parmi ces projets les trois ATR d’Air Moana ainsi qu’un autre avion qui serait en commande du côté d’Air Tahiti.

La compagnie historique, toujours largement leader du marché du transport interinsulaire, a en fait signé non pas pour un mais pour deux nouveaux avions, des ATR 42- 600 Stol qu’elle sera une des premières compagnies mondiales à recevoir, entre 2026 et 2027. S’ajoute donc la fameuse activité de fret aérien régional, qui n’a fait l’objet d’aucune demande de licence d’exploitation pour le moment. « Cet avion, qui serait de type Airbus A320, capterait à lui seul plus de 2,5 milliards de francs si vous maintenez l’assiette défiscalisable à 50% », précise Édouard Fritch. De quoi faire monter ses « estimations » de coût de cette élargissement à 8 milliards de francs. « Est ce que vous pouvez nous garantir que le budget du Pays a les moyens de porter la proposition fiscale que vous nous soumettez aujourd’hui ? » a ainsi interrogé le chef de file du groupe Tapura.

Aucune défisc’ sans appel à manifestation d’interêt

Il faut tout de même noter que le gouvernement Fritch avait lui-même accordé une défiscalisation à un ATR l’année dernière : le 72-600 qui avait été commandé par Air Tahiti et qui est entré en opération à la fin du mois de juin. D’après son directeur général, c’était la première fois que la compagnie historique, qui en est à son 35e appareil acheté chez le constructeur franco-italien, faisait appel à la défisc locale. Vu l’évolution de la règlementation en fin d’année dernière, elle n’avait pas envisagé de faire une demande pour ses 42-600 Stol, et la modification est donc plutôt bien accueillie. « Ce qui nous importe c’est que tout le monde soit logé à la même enseigne, pointe Manate Vivish. Au Pays de définir ce qu’il veut en termes de développement et de soutien au secteur, nous, on s’adaptera ». Les dirigeants d’Air Moana, eux, ne commentent pour l’instant pas cette modification du code des investissements qui leur est très favorable.

Durant le débat à l’assemblée, mercredi, Moetai Brotherson a tout de même voulu écarter l’idée que ce nouveau périmètre de la défiscalisation puisse être adressé à un acteur plutôt qu’un autre. « Vous n’ignorez pas que ces défiscalisations ne se font plus au fil de l’eau, mais sur appel à manifestation d’intérêt, a fait remarquer le président à Édouard Fritch, qui a lui même mis en place ce système d’AMI. Ne voyez aucune malice dans cette modification, c’est seulement le rétablissement de la possibilité pour les ATR d’être éligibles ». Reste à savoir quels appels seront lancés dans les mois à venir.

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