Les élus de Tarahoi étudient en commission ce lundi une nouvelle subvention d’équilibre à 3,2 milliards de francs pour ATN, dont les comptes sont plombés par une concurrence exacerbée. Pour la compagnie au tiare comme pour le reste du secteur, la réponse du Pays aux demandes de nouvelles fréquences d’Air France et Delta est donc capitale. Interrogé sur le sujet, Moetai Brotherson explique que l’analyse, en cours, tient compte du marché – saturé en sièges – et des risques de congestion à Tahiti-Faa’a qui prévoit des travaux de plusieurs mois. Et pourtant, dire « non » à ces nouvelles fréquences n’est pas la seule option.
C’est la ligne la plus remarquée dans le quatrième collectif budgétaire 2024, transmis par le gouvernement à l’assemblée, et qui commence à être étudié en commission de l’Économie et des Finances ce lundi. Comme l’a relevé Tahiti Infos, aux côtés de la rallonge à 400 millions de francs pour l’OPT et de 20 millions à l’ICPF, figure dans ce collectif une subvention d’équilibre à 3,2 milliards de francs pour Air Tahiti Nui.
Pas une surprise, vu les difficultés financières que connait la compagnie depuis la crise Covid. Le Pays avait déjà dû intervenir en soutien de sa Sem en 2021, à hauteur de 8 milliards de francs, mais l’explosion de la concurrence sur les tronçons Tahiti – États-Unis – Paris n’avait pas permis à la compagnie, pourtant toujours leader de la desserte internationale du fenua, de retrouver la voie de la rentabilité. Alors qu’une recapitalisation est évoquée depuis déjà de longs mois, c’est pour l’instant par voie de subvention que l’actionnaire public, majoritaire à près de 85%, a choisi d’intervenir pour tenir à flot l’entreprise au près de 700 collaborateurs.
Pays « régulateur » avant d’être actionnaire
Mais dans le secteur aérien international, ce sont d’autres textes qui retiennent l’attention ces dernières semaines : les demandes de hausse de fréquences formulées par Air France et Delta Airlines. Les deux compagnies, alliées et même en joint-venture sur la desserte du fenua, semblent vouloir poursuivre leur stratégie de montée en puissance sur la ligne, pourtant déjà largement saturée en sièges. De quoi inquiéter ses concurrents. Et, en l’absence de réponse du gouvernement, de quoi les priver de visibilité sur la saison à venir. Notamment Air Tahiti Nui, très dépendante de ses lignes vers les États-Unis et prête à défendre sa place sur le marché, dont la direction a expliqué début octobre à ses salariés ne plus pouvoir avancer « sereinement » dans la préparation du budget 2025. Une inquiétude relayée, quelques jours plus tard, par le président de la CPME Christophe Plée, qui avait interpellé le gouvernement, au micro de Radio 1, sur son silence sur le dossier. « Si on met en danger Air Tahiti Nui, qui est ce qui va venir payer la note ? » interrogeait alors le représentant patronal.
Un silence assumé, à ce stade, par Moetai Brotherson. Interrogé sur le sujet à son retour de Paris en fin de semaine dernière, le président du Pays s’étonne d’abord de voir le patronat monter au créneau aujourd’hui. « Quand l’ouverture sans analyse du ciel polynésien s’est effectuée sous nos prédécesseurs, on ne les a pas tellement entendus, note-t-il. Je rappelle que le Tavini, lui, avait tiré la sonnette d’alarme. Comme souvent, on nous a dit: vous n’y connaissez rien ». Les interpellations de Christophe Plée et d’autres « prêchent un convaincu », assure-t-il, tout en assumant le fait de « prendre le temps de la réflexion ». Les demandes sont instruites par la Direction de l’aviation civile, en coopération étroite avec les services de l’État. Et le Pays, qui est « régulateur » plutôt qu’actionnaire d’ATN dans cette tâche, doit prendre en compte à la fois la situation « de chaque opérateur », « le contexte du marché » ainsi que « les capacités de la plateforme aéroportuaire ».
« Plus tard », plutôt que « oui » ou « non » ?
Concernant le marché, l’analyse du président ne diffère pas de celle des dirigeants d’Air Tahiti Nui ou du président de la CPME. « Quand on regarde la situation avant l’ouverture du ciel polynésien par nos prédécesseurs, on voit qu’on est passé de 80 000 offres de sièges autres qu’ATN à plus de 400 000 aujourd’hui, reprend Moetai Brotherson. Il faut peut de prendre le temps de digérer cette augmentation spectaculaire qui n’a pas été finalement suivie d’une augmentation du réceptif. On a le Westin Bora Bora qui a ouvert, mais on a d’autres hôtels qui vont rentrer en période de rénovation et l’offre de clés, elle, n’a donc pas bougé ». Ce qui veut dire que plus de fréquences ne permettra a priori pas de ramener plus de touristes, qui ne trouveront pas à se loger. Du côté de la plateforme, « On a des travaux de transition qui sont prévus avant le renouvellement de la concession à Tahiti-Faa’a, rappelle le président. Parmi ces travaux, certains se font sur le tarmac et ils sont prévus pile dans la prochaine saison estivale de Iata (entre avril et octobre, ndr) ». Les compagnies internationales devraient déjà, pendant cette période, et sur la base des fréquences actuelles, réorganiser leur desserte pour pouvoir s’adapter aux contraintes de l’aéroport.
Autant de constats qui semblent aller dans le sens d’un refus des demandes de nouvelles fréquences. Mais Moetai Brotherson ne veut ni de « précipitation » ni de porte entièrement close dans ce dossier. « Notre volonté, ce n’est pas forcément de dire non, c’est de dire : prenons le temps de réfléchir. Ce n’est peut-être pas cette saison-là qui est la plus pertinente pour demander des fréquences supplémentaires, explique-t-il. Encore une fois, nous, on est des petits gars méthodiques. On se base sur les textes, la Convention de 98. On a lu, relu et encore lu les termes et les articles de cette convention. Il y a des possibilités de surseoir à une demande ou de proposer éventuellement de la reformuler un peu plus tard. Ces possibilités sont bien cadrées. C’est tout l’objet des réflexions qu’on a en ce moment avec la DAC ». La réponse pourrait encore attendre « quelques semaines », expliquait ainsi, il y a quelques jours, le président du Pays.
Des « pistes » stratégiques sur la table, en attendant des choix
En attendant, ATN est invitée – et a déjà commencé – à étudier « différents scenarii » pour préparer son budget 2025. L’heure est quoiqu’il arrive aux décisions pour la compagnie du Pays, où le nouveau PDG Philippe Marie – en poste depuis juillet – a déjà fait connaitre, en interne et aux administrateurs, sa feuille de route pour la compagnie. D’après Moetai Brotherson, elle met surtout l’accent sur la nécessité de trouver des moyens de retour à l’équilibre avec une « mission fondamentale inchangée » mais dans un contexte « hautement concurrentiel » qui risque de durer.
C’est sur la base de cette feuille de route que le nouveau PDG a mis sur la table, lors du dernier Conseil d’administration début septembre, des « pistes » en matière « d’ajustement de lignes, de dispositifs commerciaux, de partenariats ». Des pistes qui doivent être reprécisées et affinées lors d’un nouveau CA prévu dans les jours à venir, avec cette fois des orientations « vers telle ou telle option », comme l’explique le président.
Pas d’annonce, donc, pour l’instant, mais beaucoup d’attentes, à la fois dans et en dehors de la compagnie au tiare. Du côté des syndicats on se dit « vigilant » face aux annonces qui pourraient être faites du côté du gouvernement ou de la direction. Une ambiance qui devrait peser sur les débats à l’assemblée concernant ATN.