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Le Pays temporise sur les « fermes solaires »

La centrale Mahana O'hiupe, qui s'appuie sur plusieurs investisseurs locaux dont le groupe Siu, et qui est en cours de construction à Taravao. ©MOH

Le gouvernement a décidé de retirer le deuxième appel à projets pour des grandes centrales photovoltaïques, qui avait été lancé en octobre. Un report demandé par les professionnels des énergies renouvelables qui jugeaient le format choisi pour cette nouvelle vague de fermes « inadapté ». Ils suggèrent aux autorités de placer les batteries directement sur le réseau plutôt que dans les centrales, pour faire baisser le coût de l’énergie produite et permettre un développement du solaire sur toitures. 

Le Pays l’avait annoncé dès 2021, lors du lancement du premier appel à projets photovoltaïques : ces 30MWc de centrales n’étaient qu’une « première tranche ». La seconde suivrait rapidement. Et c’était d’ailleurs toujours le plan du gouvernement de Moetai Brotherson et de son ministre en charge des Énergies, Tevaiti Pomare. Alors que les quatre premières grandes fermes solaires de Tahiti, entreront en service dans quelques mois (voire encadré), des nouveaux projets privés devaient être validés rapidement pour aller de l’avant dans les objectifs de décarbonation du mix électrique. Un nouvel appel à candidature a donc été diffusé début octobre, prévoyant une date limite de dépôt des dossier le 19 février, et une annonce des lauréats avant la fin du premier semestre 2024. Mais à mi-chemin de cette procédure, le gouvernement a demandé à sa direction de l’énergie de tout stopper : la « tranche 2 » sera finalement pour plus tard.

Moins cher sans batterie

Pas une surprise pour les professionnels, et même un soulagement pour beaucoup d’entre eux. Dès les premiers jours de la nouvelle mandature, le groupement Synergie s’était reformé et avait pris rendez-vous avec le gouvernement pour faire valoir sa position : les règles du jeu doivent évoluer. Au premier appel à candidatures, le syndicat du renouvelable reprochait des contraintes techniques trop importantes sur les exploitants, et notamment l’obligation de se doter d’importantes capacités de stockage d’électricité. Des batteries qui tout de même un intérêt : éviter que la production très variables de ces fermes solaires, en fonction des heures de la journée, mais aussi de façon plus instantanée, suivant la couverture nuageuse, ne vienne perturber le système électrique de Tahiti.

Mais les règles fixées, qui obligeaient notamment les exploitants à annoncer en avance la production de la journée, sous peine de lourdes pénalités ne permettait pas, toujours d’après les professionnels,  « d’optimiser la production solaire ». Pour Synergie, appuyé par le Tep sur ce sujet, il serait plus efficace de placer des batteries directement sur le réseau, plutôt que dans les centrales, afin d’alléger les installations… Et surtout les coûts, qui pourraient être « bien plus bas » que les 19 francs par kWh de la « tranche 1 » en se passant de batteries. « Pour nous, reprendre le même cahier des charges, c’était un peu du gaspillage d’argent public, ou en tout cas ça n’était pas cohérent avec la volonté du Pays d’avoir un coût de l’électricité qui soit minimum pour la collectivité » explique Jimmy Wong, président de Synergie… qui avait été, comme plusieurs de ses confrères, déçu par l’appel à candidature lancé en octobre, quasi-identique à celui de 2021.

Des panneaux solaires sur le toit du collège de Punaauia.

Libérer le solaire sur toitures

Demi-tour, donc du côté de l’exécutif, qui a finalement accepté de « temporiser » sur cette procédure, et donc de retarder les annonces de nouvelles centrales qui verdissent pourtant facilement un bilan politique. L’appel à candidatures doit encore être retiré officiellement par la direction de l’Énergie, restera ensuite à mettre sur pied un nouveau calendrier, et surtout retravailler le cahier des charges qui reste à l’entière discrétion des autorités. Mais certains professionnels en attendent beaucoup et insistent sur un point : la « centralisation » des batteries économisera aussi du foncier. Certes, comme le voulait l’administration, deux des quatre centrales en construction à Tahiti mêlent production d’électricité et développement agricole, et d’autres îles, aux Raromatai notamment, ont dans les tuyaux des projets « d’Agrinergie » et de serres photovoltaïques. Mais le fait est que les terrains adaptés aux grandes fermes solaires ne sont pas légion à Tahiti, peuvent être destinés à d’autres usages, et représentent quoiqu’il arrive un « poids énorme » dans l’équation financière des promoteurs.

Or, des projets sans batteries, ou avec des batteries réduites conçues pour « lisser » la production plutôt que de la stocker, peuvent s’intégrer plus facilement sur les toits des hangars et docks de la zone urbaine. « Les grands consommateurs d’électricité – comme les supermarchés ou les industries – sont pour beaucoup déjà équipés, mais il reste énormément de sites, des docks de stockage par exemple, qui ont des grandes toitures et n’ont pas de panneaux dessus, rappelle Jimmy Wong, qui est aussi le directeur de Sunzil. Et ces toits se trouvent souvent tout près des grands centres de consommation de l’électricité ».

Le syndicat dit se tenir disponible, auprès des services du pays pour aider à retravailler cet appel d’offres qui devrait être relancé dans le courant de l’année 2024. Son président interpelle au passage sur un autre frein à l’équipement des toitures en photovoltaïque : les forfaits « fixe » d’abonnement haute tension, payés à EDT et obligatoires pour être raccordé au réseau. Ce mécanisme découragerait financièrement les « petits consommateurs » – comme les propriétaires de dock – de se doter de grandes installations solaires, vu le tarif de rachat de l’électricité. Les professionnels en sont persuadés : il y a encore beaucoup à faire pour « libérer » l’énergie solaire au fenua.

Quatre projets de centrale bien avancés

Malgré ce report de la « tranche 2 », des centrales photovoltaïques vont bien entrer en service à Tahiti : les quatre projets lauréats de l’appel à candidatures initial lancé en 2021. Des projets validés en mars 2022, et qui doivent commencer à produire dès cette année, et pour 25 ans, l’équivalent de 6% de l’électricité totale de la Polynésie. Les chantiers ont bien avancé à la presqu’île et dans ses environs. À commencer par le projet de Mahana O’Hiupe, et ses 8 MWc lancé par le groupe Siu à Taravao. La moitié des 25 000 panneaux – perchés entre 2,5 et 4 mètres de haut pour laisser les troupeaux de bovins de la famille Raoulx paitre sous et entre les rangées – sont déjà installés (voir photo en haut d’article). Et les promoteurs du projets ont signé fin novembre une convention avec la Tep qui assurera le raccordement au réseau de transport. Objectif : une mise en opération « possible » en juillet prochain, mais qui pourrait être reportée au mois d’août pour ne pas bouleverser le réseau avant les Jeux olympiques.

Même calendrier, ou presque, du côté d’Engie Renouvelables Polynésie, dont deux projets ont été retenus. 3 MWc pour Fare Gowe, 6 autres pour Fare Meri, situé en face du lycée de Taravao. Là aussi les tables à panneaux sont en cours de montage, et la société sœur d’EDT attend en début d’année la livraison de son poste de transformation et ses batteries, avant de lancer des premiers essais au mois de mai. Enfin, le groupe Moux a lui aussi bien avancé dans son projet Manasolar, le plus gros de cette première vague avec ses 10,8 MWc. Situé à Mataeia, il s’étend sur 10 hectares et prévoit lui aussi d’allier production électrique et agriculture, en l’occurrence maraichage bio et élevage. Tous ces acteurs veulent bien sûr candidater pour de nouveaux projets dans la tranche 2, mais d’autres pourraient s’inviter dans la compétition. En 2021, 17 candidatures avaient été déposées lors du premier appel.