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Le Pays veut « mieux connaitre les grands fonds »… avant que d’autres ne lancent leur exploitation

Moetai Brotherson a brandi durant le séminaire un nodule polymétallique offert par le premier ministre des îles Cook.

Le gouvernement organisait ce mercredi un séminaire sur les grands fonds marins. Des espaces qui couvrent la quasi-totalité de nos eaux mais qui sont « moins bien connus que la Lune ». Pour Moetai Brotherson, il est urgent d’en savoir plus, notamment sur les écosystèmes profonds et sur les centaines de monts sous-marins de la ZEE. Car certains voisins, dont les îles Cook, accélèrent le pas sur les ressources minières profondes sans que l’on ne connaisse l’impact d’une exploitation. Si l’activité s’avérait porteuse économiquement, un moratoire deviendrait « plus dur à défendre » estime le président.

Lire aussi : Exploitation des fonds marins : moratoire voté à Paris, grand écart du Tavini

« On connait mieux la surface de la Lune que le plancher de l’océan ». La réflexion est revenue plusieurs fois, ce mercredi, dans le salon d’honneur de la présidence. C’est là qu’étaient conviés scientifiques, spécialistes de l’environnement et gestionnaires de la zone économique exclusive pour un colloque d’une journée sur les « Grands fonds marins ». Objectif affiché : « s’accorder sur la stratégie à suivre pour l’acquisition de connaissances » sur ces zones de grandes profondeurs, qui couvrent 99% des eaux polynésiennes. Museum national d’histoire naturelle, Ifremer, Office français de la biodiversité… Tous les intervenants partagent les mêmes constats. D’une part ces connaissances sont, au mieux, « très parcellaires », au pire « datées, imprécises » ou « inexistantes ». D’autre part, les enjeux internationaux liés à ces zones se font de plus en plus pressants.

« Est ce que les thons vont rester chez nous si on exploite les fonds marins »

En toile de fond du séminaire, l’exploration, lancée par plusieurs pays voisins, des richesses minières du plancher océanique. Et notamment les fameux nodules polymétalliques, qui alimentent des fantasmes depuis longtemps, mais que la hausse mondiale de la demande en métaux – tirée notamment par la transition écologique – rendent de plus en plus intéressants. « Il faut être prudent parce qu’aujourd’hui, on ne connaît absolument rien, finalement, de ces écosystèmes des grands fonds, de ce qui peut être l’impact d’une exploitation minière sur la faune, la flore, explique Moetai Brotherson. On a aujourd’hui une ZEE dans laquelle on fait une pêche responsable à la palangre. Est-ce que les thons vont rester chez nous si on exploite les fonds marins? C’est une question à laquelle personne n’a de réponse. Et qu’est-ce qui peut se passer pour nous les humains? Parce qu’il faut pas oublier qu’on est interconnectés avec l’océan ».

Le président, durant les premiers échanges de la séance, a brandi un de ces nodules polymétalliques, qui lui a été offert par le Premier ministre des îles Cook. L’archipel voisin du fenua, comme d’ailleurs Nauru et d’autres pays de la zone, semblent vouloir  accélérer le pas sur leur volonté d’exploration du potentiel minier des profondeurs. Moetai Brotherson, lui, maintient sa position favorable à un moratoire internationale, aussi défendu par Emmanuel Macron, et qui devrait être au centre de plusieurs échanges diplomatiques dans les mois à venir. L’ex-député s’était même assuré, fin 2022, que l’interdiction de l’exploitation minière des grandes profondeurs s’appliquait bien aux eaux polynésiennes.

Un moratoire pourrait devenir « politiquement plus dur à défendre »

Mais le président sait qu’il doit faire face, dans son propre camp, à des positions beaucoup plus ambivalentes sur la question. Le Tavini agite depuis longtemps les potentiels « milliards » à tirer des grands fonds – 75 000 milliards US$ comme on pouvait le lire sur une banderole plusieurs fois affichée par le parti dans ses meetings – pour asseoir la viabilité de son projet indépendantiste. Les bleu ciel, Tony Géros en tête, avaient d’ailleurs refusé de voter, en décembre 2022,  une « déclaration solennelle » déposée par le gouvernement Fritch sur la table de l’assemblée, et demandant elle aussi un moratoire sur l’exploitation des grands fonds.

Aussi le discours de Moetai Brotherson est des plus nuancées. « Je pense que le débat qui est posé aujourd’hui il est dans un contexte où il n’y a pas d’exploitation dans la zone Pacifique. Il y en a eu en Papouasie – Nouvelle-Guinée mais ça a été stoppé. C’est vrai que demain si jamais il y a une exploitation dans un des pays et que cette exploitation ramène de la richesse, augmente le PIB par habitant de ces pays, politiquement, les arguments en faveur d’une non exploitation vont être plus dur à défendre ».

L’heure est donc à l’acquisition de connaissances, et donc d’arguments. Et quand on parle de planchers océaniques dépassant les 4000 mètres de fond, et de monts « culminants » 1000 mètres en dessous de la surface, cette acquisition est très onéreuse. « C’est un domaine dans lequel il faut favoriser les coopérations internationales et c‘est un peu l’idée de ce colloque, reprend Moetai Brotherson. De faire participer tous les organismes au monde qui sont capables de récolter de la donnée parce que tout seul on n’y arrivera pas ».

500 monts et autant de questions

Le colloque a notamment été l’occasion pour l’Office français de la Biodiversité et le Museum national d’histoire naturelle de Paris de livrer les conclusions d’une étude centrée sur les monts sous-marins. La ZEE Polynésienne en compterait plus de 500 dont une centaine, au moins, culminent à plus de 1500 mètres du plancher océanique. Mais les caractéristiques de ces reliefs, et les écosystèmes qu’ils accueillent sont très mal connus. Quelques études, souvent anciennes, existent sur la faune et la flore « benthique » – fixé au fond -, d’autres, tout aussi anciennes, ont été réalisé sur l’intérêt de ces monts pour les animaux pélagiques, comme les thons. Les données sont encore plus éparses sur l’encroûtement métallique d’une partie de ces zones.  Aucun doute pour les spécialistes : ces études doivent être complétées, sur la base de données déjà récoltées mais pas encore analysées – notamment par le Museum d’histoire naturelle – mais aussi par de nouvelles missions océanographiques. Et qu’importe si les premières informations semblent indiquer que les monts sous-marins polynésiens sont moins riches et « productifs », du point de vue de la biodiversité, que des structures comparables en Nouvelle-Calédonie ou en Papouasie. Elles peuvent tout de même être très fragiles, pleines d’espèces encore non identifiées, et importantes pour d’autres milieux océaniques. Reste à savoir comment explorer ces reliefs profonds dispersés sur 5 millions de kilomètres carrés. « Ces zones sont très mal connues, et c’est le plus gros risque qui pèsent sur elle », glisse un scientifique.

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