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Le plan de gestion de la grande « aire marine gérée » : plus de questions que de réponses

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Publié en toute discrétion pendant le confinement, le plan de gestion de l’Aire marine gérée polynésienne, Tainui Atea, qui couvre la totalité de la ZEE, est déjà dans le collimateur des associations environnementales.

Le 3 avril 2018, un arrêté du conseil des ministres classait l’ensemble de la zone économique exclusive polynésienne et ses 5 millions de km2 en « aire marine gérée » (AMG) dont Edouard Fritch avait annoncé la création en septembre 2016 lors du sommet de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) à Hawaii. Le Pays se donnait alors deux ans pour établir son plan de gestion, et c’est donc le 6 avril 2020 que celui-ci a été publié au Journal officiel.

Le concept d’« aire marine gérée » diffère de celui d’ « aire marine protégée », explique Raimana Doucet, chef de projet à la direction de l’Environnement : « L’aire marine protégée véhicule l’idée de l’exclusion de l’homme, comme par exemple celle de Scilly-Bellinghausen où personne n’a le droit d’aller ou de pêcher. L’AMG est une zone protégée, mais qui a quand même des objectifs de gestion bien précis. » Le document publié par le Pays le précise en préambule, « une approche de la nature sans l’Homme n’est pas concevable dans la culture polynésienne. L’enjeu est de trouver un équilibre durable entre le développement d’une économie bleue et une protection forte de l’environnement marin. »

La différence sémantique entre zone « protégée » et zone « gérée » semble donc relever d’un débat politique, dans lequel on ne souhaite ni effaroucher les populations avec la perspective d’interdictions qui pourraient être contestées, ni se priver de d’éventuels débouchés économiques. Ce qui fait dire à certains défenseurs de l’environnement, en raccourci, qu’il ne s’agit là que d’un schéma de la pêche.

4 grands axes, la problématique des pêches omniprésente

De fait, le plan de gestion est divisé en 4 grands axes (cf. l’arrêté CM ci-dessous) dont le premier est « Une pêche durable minimisant l’impact environnemental ». Le deuxième, « la réduction des menaces sur la mégafaune marine », est aussi abordé sous l’angle de la cohabitation avec les pêcheurs. Le troisième, « Un océan riche, sûr, sain et connecté écologiquement », concerne « surtout des enjeux géopolitiques, de portée régionale (…) et internationale » avec notamment la question de la surveillance et de la lutte contre la pêche illégale. Enfin, le quatrième axe, « Un océan de partage et de responsabilité éco-citoyenne » traite aussi de la relation entre les autorités et les usagers polynésiens de l’océan qui en tirent leurs ressources.

Est-ce que la pêche polynésienne sera « durable » ? Pas si sûr, disent les associations qui s’alarment de futures « campagnes exploratoires » pour identifier de nouvelles zones de pêche, certes au profit d’armements locaux, mais qui ciblent notamment le thon obèse, espèce menacée.

Un « plan » établi en urgence pour le One Planet Summit… qui n’a pas eu lieu

À la lecture, ce plan de gestion est surtout – le Pays en convient – une liste de mesures réglementaires antérieures à la création de l’AMG, comme la protection des squales et des cétacés. Il compte 30 « mesures » déjà prises, et 12 qui restent à prendre d’ici à 2025.

En réalité, le Pays a voulu non seulement respecter le timing établi lors de l’annonce de l’AMG, mais surtout être prêt pour la venue d’Emmanuel Macron et la tenue du « One Planet Summit » qui était prévu à Papeete en avril dernier. Le Président de la République aurait ainsi pu, aux côtés d’Édouard Fritch, faire des annonces qui n’auraient pas manqué d’impressionner le public extérieur et les instances internationales (notamment l’ONU dont l’objectif 14 de développement durable concerne les océans), à défaut de convaincre les spécialistes locaux. Et peut-être apporter des réponses sur le financement de nombreuses mesures, comme les campagnes exploratoires de pêche, les programmes d’observateurs embarqués, ou le renforcement de la lutte contre le braconnage.

Autre caractéristique, le plan de gestion est fait pour trois ans, alors qu’en la matière les plans de gestion se définissent habituellement sur 10 ou 15 ans. « Parce qu’on pense qu’il devra être réactualisé, pour ne pas figer ce plan de gestion, dit Raimana Doucet. Ça nous laisse de temps de mener certains des programmes qui sont déjà amorcés, en fait. »

Raimana Doucet, chef de projet à la Diren ©CP/Radio1

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Les associations environnementales tenues à l’écart… pour l’instant ?

Les associations de protection de l’environnement, après les premières annonces en 2016, avaient donné un avis favorable à cette création. Cela fait, elles n’ont plus été sollicitées. Le conseil de gestion est, selon le rapport transmis pour avis à l’assemblée de la Polynésie, « purement administratif » et uniquement constitué des ministres en charge de la mer, de l’environnement et des transports maritimes, des directeurs de divers services, de 2 représentants de l’assemblée et 2 représentants de l’État, en l’occurrence le secrétaire général du Haut-commissariat et le commandant supérieur des forces armées en Polynésie. Le conseil de gestion peut toutefois « faire appel à tout service, organisme ou personnalité jugés utiles pour aider à la prise de décision ».

La Fédération des associations de protection de l’environnement, la  FAPE, avait sollicité le gouvernement à plusieurs reprises par courrier, puis dans un communiqué, pour proposer de contribuer à la définition de l’Aire marine gérée et de faire partie de son conseil de gestion, comme c’est le cas aux Îles Cook ou à Rapa Nui. Il n’en a rien été, et les objectifs de protection ne sautent pas aux yeux. Frère Maxime Chan, impliqué dans la protection de l’océan et les projets d’aires marines protégées, le regrette : « ce document stratégique, crucial pour l’avenir de notre océan et qui concerne tous les Polynésiens, a été réalisé sans consultation de la société civile. C’est regrettable, la population pourrait travailler en partenariat avec le Pays sur des actions concrètes de protection des ressources marines. »

« Je pense que le manque de temps a joué aussi, » dit Raimana Doucet de la Diren. Mais il est bien prévu « d’officialiser une instance de consultation de la société civile », assure-t-il.

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Le Plan de Gestion de l’AMG au JOPF