Paris (AFP) – « Une vie » de Stéphane Brizé, délicate adaptation de la nouvelle de Maupassant portée par la grâce de Judith Chemla, a remporté mercredi le 74e prix Louis-Delluc, l’un des plus prestigieux du cinéma français.
Après « La Loi du marché », film social cinglant sur la brutalité du monde du travail, Stéphane Brizé signe un film d’époque qui restitue la Normandie boueuse de Maupassant et la brutalité d’un destin féminin au XIXe siècle.
« Ce n’est pas la première fois qu’+Une vie+ est adaptée à l’écran mais Stéphane Brizé livre une version nouvelle, passionnante, dans une réalisation inhabituelle, très moderne, avec des accélérations de l’histoire, des ellipses énormes et une photographie magnifique », a expliqué à l’AFP Gilles Jacob, président du prix Louis-Delluc, considéré comme le « Goncourt du 7e art ».
« Une vie » ne figurait pas parmi les films nommés, mais le jury peut retenir d’autres oeuvres pour ses délibérations, a-t-il expliqué. « Elle » de Paul Verhoeven, « La Mort de Louis XIV » d’Albert Serra, « Rester vertical » d’Alain Guiraudie et « Le Fils de Joseph » d’Eugène Green ont obtenu des voix.
En 2015, le prix Louis-Delluc avait récompensé « Fatima » de Philippe Faucon.
« Ce prix est comme une main dans le dos qui m’aide à avancer par vent de face », a dit à l’AFP Stéphane Brizé.
« Un prix aussi prestigieux aide à accompagner des réalisateurs qui ne partent pas avec l’idée de départ de plaire aux gens, mais d’apporter un point de vue. Les producteurs ont besoin que ce genre de projets soient mis en lumière par des prix comme celui-ci », a-t-il ajouté.
– Descente aux enfers –
Dans « Une vie », le réalisateur dirige l’actrice Judith Chemla qui incarne magnifiquement l’héroïne Jeanne. Celle-ci tombe amoureuse de Julien (Swann Arlaud), un jeune vicomte. Elle ira de déconvenues en trahisons dans ce mariage avec un être brutal, à mille lieues de ses rêves de jeune fille.
Visage menu mangé par de grands yeux bleus, la comédienne irradie de sa présence un film servi par une belle distribution (les parents sont joués par Yolande Moreau et Jean-Pierre Darroussin).
« Une vie » lui donne son premier grand rôle à 31 ans. Judith Chemla joue son personnage de bout en bout: fraîche et naïve dans la première partie du film, elle apparaît ensuite amère et vieillie, tandis que l’ambiance printanière du début fait place à des tons sépia sous une pluie battante, accompagnant sa descente aux enfers.
La caméra prend son temps autour de son héroïne, laissant l’atmosphère et le cadre faire écho à son état d’esprit.
Le film, au format carré inhabituel, rassemble en accéléré certains passages du roman, transportant ainsi le spectateur de la rencontre entre Jeanne et Julien à leur mariage et à sa faillite.
« Le format plus petit confine Jeanne, comme dans une boîte, il est difficile d’en sortir », selon le réalisateur de « Mademoiselle Chambon » et « Quelques heures de printemps ».
Stéphane Brizé travaille sur un nouveau projet : une histoire contemporaine et politique, intitulée « En Guerre », avec un tournage programmé pour le second semestre 2017. « Ce qui se passe aujourd’hui est tragique. Je me sens une responsabilité à y tremper ma plume », a-t-il indiqué à l’AFP.
Le prix Louis-Delluc du premier film a été décerné à « Gorge coeur ventre », une fiction de Maud Alpi qui met en scène un jeune homme en marge de la société, ayant pour seul compagnon un chien, qui travaille dans un abattoir.
© AFP FRANCOIS GUILLOT
French director Stephane Brize poses after receiving the Louis-Delluc Prize for the film « Une Vie » (A Woman’s Life), on December 14, 2016 at the Fouquet’s in Paris.