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Les aires marines protégées, une « police d’assurance » pour la pêche

Boris Worm et Laurenne Schiller ont donné cette semaine à l’UPF une conférence sur leurs travaux sur les aires marines protégées et leur effet bénéfique de « débordement », et sur l’impact des DCP dérivants.

Boris Worm est professeur au département de biologie de l’Université Dalhousie, en Nouvelle-Écosse (Canada). Laurenne Schiller est également chercheuse dans la même institution. Soutenus par le projet Pew Bertarelli Ocean Legacy, ils ont donné cette semaine une conférence à l’Université de la Polynésie française sur l’impact global des aires marines protégées.

Ils ont ainsi collationné un grand nombre d’études, dégageant une vue générale de l’état actuel de nos océans et des pêcheries autour du monde. « Le message, c’est que pour avoir une production alimentaire durable, il faut à la fois des aires marines protégées et des pêcheries bien gérées, les deux fonctionnent ensemble. Il y a de plus en plus d’études dans le Pacifique, aux Galapagos et à Hawaii, par exemple, qui le montrent » , dit Boris Worm.

Leurs recherches montrent par exemple que la grande réserve marine des Galápagos a eu un effet positif sur les stocks de thonidés disponibles pour les pêcheries thonières locales, malgré les tendances de diminution de la biomasse de ces espèces commerciales au niveau régional, plaidant en faveur de l’établissement de grandes AMPs en tant qu’outils de gestion des pêches et de conservation de la biodiversité.

Ces résultats sont confirmés par une étude parue dans la revue Science en 2022, qui a démontré l’évidence de l’effet de débordement autour de Papahanoumokuakea, la plus grande AMP au monde à Hawaii, avec une augmentation de l’abondance en thonidés et des captures par unité d’effort des palangriers hawaiiens, de 54% pour les thons à nageoires jaunes et de 12% pour les thons obèses – espèces également ciblées en Polynésie française – qui ont pu se reconstituer dans l’AMP et déborder à l’extérieur pour le bénéfice des pêcheurs locaux.

Une étude mondiale sur l’impact des DCP

« Notre prochain projet sera de vérifier si les bonnes actions sont conduites aux bons endroits, dit Laurenne Schiller, qui explique qu’ils ont déjà établi des contacts avec 60 aires marines protégées dans plus de 30 pays. Il y a encore des choses dont on ne mesure pas complètement l’impact, comme les dispositifs de concentration de poissons (DCP) qui sont utilisés par les grands armements de pêche, et qui favorisent les prises non-ciblées, par exemple de tortues ou de requins. »

« Non seulement des DCP se perdent, mais ils s’échouent sur des plages ou des récifs. On pense aussi qu’ils dérivent à travers des aires protégées ou des eaux territoriales, et qu’ils entraînent les poissons avec eux, donc on s’inquiète que le poisson soit drainé de ces zones. »  La Polynésie française est un lieu de recherche particulièrement intéressant, dit Boris Worm, « parce qu’elle est située entre deux zones de gestion des pêches, le Pacifique occidental et le Pacifique oriental, où ces dispositifs sont utilisés, et exploitent la tendance naturelle des thons à se rassembler pour se protéger. Le problème c’est qu’ils attirent un grand nombre de juvéniles, par exemple de thon big eye qui a une haute valeur commerciale. Ça veut dire qu’on pêche les petits avant qu’ils aient le temps de se reproduire. C’est un problème qui concerne l’ensemble du Pacifique. »

Les deux chercheurs s’intéressent au modèle polynésien, dit Laurenne Schiller, parce que la compréhension et la pratique du rahui sont encore vivaces au fenua. « J’ai l’impression que les gens comprennent bien et soutiennent la démarche. C’est quelque chose sur quoi construire et peut-être devenir un cas exemplaire dans le Pacifique d’une nation qui a une production alimentaire durable, mais aussi de grandes zones protégées qui agissent comme une police d’assurance. »