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Les batteries au lithium, un problème qui s’embrase

Alertes dans les camions-poubelle, départs de feu à Paihoro… Les batteries au lithium, qui se multiplient dans les objets du quotidien, ont été à l’origine de plusieurs incendies dans la chaine de traitement des déchets polynésiens ces derniers mois. Si leur récupération et leur retraitement s’organisent dans certaines filières, beaucoup de questions restent en suspens. Notamment quand ces batteries sont endommagées et donc instables… et non exportables.

Septembre 2020. En pleine nuit, un agent de sécurité du centre d’enfouissement technique de Paihoro aperçoit une lueur rouge, dans une pile d’encombrants. Il faudra 48 heures, plusieurs dizaines de soldats du feu, un hélicoptère et des engins de chantier pour maîtriser l’incendie. Si l’enquête de gendarmerie n’a pas formellement identifié la cause du sinistre, chez Fenua ma, qui gère le CET, une piste est privilégiée : celle d’une batterie au lithium, probablement issue d’un petit appareil électronique portatif, qui aurait embrasé des déchets plastiques tout proches. Ce scénario, le syndicat mixte ne le connait que trop bien. Alors que les fusées de détresse maritimes est longtemps restée la principale source de danger dans les centres de traitements des déchets, les batteries au lithium sont à l’origine de plus en plus d’incidents, plus ou moins graves, des bennes communales à Paihoro en passant par Motu Uta. Il faut dire qu’en quelques années, elles ont pris une place énorme dans notre quotidien : en plus des voitures hybrides ou électriques, les vini ou les tablettes, on les retrouve dans les brosses à dents rechargeables, les jouets, certains outils, dans les très populaires vélos électriques et jusqu’aux clés de voiture et autres gadgets connectés. « Dès que vous avez un objet rechargeable et qui s’utilise sans fil, il y a une batterie » précise le directeur général de Fenua Ma, Benoit Layrle. Et dès qu’il y a une batterie à lithium, il peut y avoir danger.

Benne en feu vidée en urgence sur la route

Car le lithium est loin d’être un déchet inerte. En cas de choc, de dégradation, en cas de réaction avec de l’eau, de gonflement ou de déformation, ce genre de batterie, qui se présente sous toutes formes, y compris sous forme de pile cylindrique, devient même un produit dangereux. « Quand la batterie est passée en mode instable, elle peut prendre feu à tout moment, confirme Benoit Layrle. Et c’est ce qui arrive quand les gens nous mettent ça dans des poubelles. L’appareil peut même se déclencher dans une benne à ordures ménagères : nous avons eu l’année dernière un ou deux incidents, notamment une commune qui a dû vider sa benne en urgence sur la route pour que le camion ne prenne pas feu ».

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Et ce genre d’incident peut bien sûr arriver plus tard dans la chaîne de traitement. Les petits appareils à batterie lithium, peu identifiables, se retrouvent dans les centres de tri ou d’enfouissement. Dégradés lors du transport, perforés par une machine, ou écrasés par un bulldozer, « ils s’enflamment, parfois immédiatement ou deux, trois, quatre heures plus tard ». « Ça peut provoquer une flamme qui peut faire facilement 80 centimètres de haut et qui dure 40  à 60 secondes », reprend le responsable. Suffisant pour mettre le feu à des déchets plastiques, papiers ou cartons proches, et donc propager un incendie. Le problème n’est pas propre à la Polynésie. En octobre dernier, la fédération des entreprises de recyclage Fédérec s’inquiétait très officiellement d’une « augmentation considérable du nombre d’incendies » dans les installations au niveau national. Là encore, les « piles et batteries au lithium » sont pointées du doigt. « Il ne se passe plus un jour sans notification d’un incendie, et partout en Europe les recycleurs font le même constat », témoignait ainsi auprès des Échos un des porte-paroles du secteur qui dans une lettre au Premier ministre a dénoncé la mise sur le marché de ces « bombes incendiaires » et demandé une formation spécifique des pompiers.

En 2020, il avait fallu étouffer le feu sous 20 000 mètres cubes de terre pour contrôler l’incendie. Un autre départ de feu, plus rapidement maitrisé a eu lieu un an plus tard au CET. ©Fenua Ma

Des points de collecte, et des bacs à utiliser avec prudence

Seule solution, en métropole comme au fenua, la vigilance des usagers. « Si on parle d’appareils électroniques, le bricolage, l’audiovisuel, les vini, les petits appareils du quotidien, vous pouvez les ramener dans les points de récupération des déchets électroniques », précise Benoit Layrle. Le site de Fenua ma recense, pour Tahiti et Moorea, tous ces points de collecte, généralement situés dans les services techniques des mairies (horaires et numéro sur le site de Fenua Ma). D’autres laissent ces batteries lithium, souvent les plus volumineuses, dans les points de récupération des batteries de démarrage, situés, entre autres, dans les stations services. « C’est un moindre mal, précise le responsable. Mais quand ils font ça, il faut faire attention à ne pas déposer n’importe comment ces batteries qui peuvent elles aussi être dans un état instable. Ce n’est pas le but de mettre le feu à ces installations ». Les batteries lithium, si elle ne sont « pas en cristal », doivent tout de même être manipulées avec prudence, et surtout pas « balancées » dans les bacs.

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Mais récupérer ne veut pas dire tout régler. Le retraitement des batteries lithium est possible mais relativement complexe. Et seules certaines filières se sont organisées en Polynésie pour envoyer les batteries usagées vers des sites spécialisés en Asie. La société Technival travaille par exemple avec les concessionnaires automobiles pour récupérer et exporter les batteries non-endommagées. D’autres secteurs n’ont pas fait ce travail : les vélos électriques, qui pullulent au fenua depuis quelques temps, comportent d’importantes batteries au lithium, et aucun système de retraitement n’est pour l’instant mis en place.

Impossible à transporter

Autre problème, et pas des moindres, les sociétés de transport maritime ne peuvent pas prendre le risque de transporter du matériel instable. « Quand une batterie est endommagée, elle reste définitivement sur l’île », pointe Fenua ma. « On ne peut même pas les transporter d’île en île », précise un responsable chez Technival. Et même dans le doute sur leur état – parce qu’ils sont restés, un temps dans le « tout-venant » des déchets, beaucoup de batteries lithium-ion issues d’objets électroniques sont condamnées à être stockées. La Direction de l’environnement mène une réflexion, encore inaboutie, sur le sujet : il s’agit de « trouver une solution au double problème du transport de cette matière considérée comme dangereuse et de son traitement extrêmement compliqué », précise-t-on du côté du gouvernement. Parmi ces « solutions » : la mise en « sarcophage » de ces batteries localement. Coulées dans du sable ou du béton, privées d’air pour empêcher une combustion, les batteries lithium perdent leur dangerosité. Difficile, aujourd’hui, de prévoir les quantités de déchets à gérer. « C’est un gisement qu’on ne commence qu’à connaitre, explique un professionnel. La certitude c’est qu’il va prendre de l’ampleur ».