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Les « obstacles au consentement à l’Indo-Pacifique » selon Jean-Marc Regnault

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Jean-Marc Regnault publie dans la Revue Défense nationale un article sur le manque d’adhésion à la notion d’Indo-Pacifique dans les territoires français d’Océanie. Il conclut que le prisme colonial reste pour les leaders politiques de la région la grille de lecture d’un monde dont ils auraient du mal à mesurer les changements. Mais il convient aussi que la posture pro-chinoise participe d’un calcul politique, tandis que l’État français ne parvient pas à « parler de l’Indo-Pacifique avec des mots océaniens. »

Jean-Marc Regnault s’interroge sur la portée du discours d’Emmanuel Macron, qui lors de ses déplacements dans les collectivités françaises du Pacifique, a voulu présenter son concept d’Indo-Pacifique comme une garantie contres des avancées chinoises jugées antidémocratiques. A-t-il largement convaincu ? « Rien n’est moins sûr », répond l’historien.

« Complaisance » envers la Chine des milieux indépendantistes

Le discours selon lequel la France et sa stratégie de défense dans la zone constituerait une protection contre les ambitions impérialistes chinoises n’a suscité qu’une « attention modérée » parmi les responsables politiques et la population, dont les choix électoraux se sont portés, en Polynésie comme en Nouvelle-Calédonie, sur des acteurs plutôt « complaisants » envers Beijing, qui affirment que leurs intérêts à eux ne sont pas les mêmes que ceux des pays occidentaux. « Notre vrai problème à nous, ce n’est pas les Chinois, c’est la puissance occupante qu’est la France, qui nous colonise, nous inféode, nous occupe et qui veut perpétuer son système de pillage », avait ainsi déclaré le président de l’Union calédonienne Daniel Goa, qui voyait dans l’intensification de la présence et des investissements militaires français dans la région « une forme du nouvel impérialisme colonial ».

En Polynésie, Jean-Marc Regnault rappelle la récente tentative d’organisation par la mairie de Faa’a d’une conférence commune avec le consulat de Chine sur le thème « Développement commun, réduction de la pauvreté, amélioration du bien-être du peuple, durabilité » – conférence finalement annulée lorsque les universitaires annoncés (dont J-M Regnault) avaient révélé ne pas être au courant et n’avoir aucun intention de s’y associer.

« Une vision utopiste » de l’ONU

Les indépendantistes, qui entretiennent année après année devant la 4e Commission de l’ONU le lien entre colonialisme et essais nucléaires et avancent des arguments peu étayés scientifiquement, dit Jean-Marc Regnault, ne prennent pas « la mesure de la paralysie dans laquelle se trouvent les instances de l’ONU ». Et alors qu’ils sont de nouveau parvenus au pouvoir – et que des poids-lourds locaux régissent l’économie, pourrait-on ajouter – « la survivance d’un système colonial devient plus difficile à faire valoir. »

L’historien ne mâche pas ses mots dans sa conclusion : en Nouvelle-Calédonie, les Kanak « mettent sur le compte du colonialisme » les divergences entre leurs différents courants. Et ici, « les Polynésiens qui ont beaucoup bénéficié de la rente nucléaire, maintenant (eux ou leurs descendants) comptent sur une nouvelle manne ‘de la patrie reconnaissante‘. Ils estiment du reste y avoir droit en vertu du ‘Cargo Cult’, un état d’esprit caractéristique de l’Océanie. Si la manne ne venait pas de la France, alors les regards pourraient se tourner vers la Chine. (…) Quant à l’État, aujourd’hui comme souvent dans le passé, une méconnaissance des cultures ultramarines ne le conduit pas spontanément à parler de l’Indo-Pacifique avec des mots océaniens. »

« Il y a quand même un aveuglement »

L’hypothèse que les leaders océaniens de tous bords utilisent les « ambitions hégémoniques de la Chine » comme un chiffon rouge à agiter devant la France et devant leurs électeurs, n’est pas clairement formulée dans l’article de Jean-Marc Regnault. Contacté par Radio1, il ne l’écarte pas mais il estime « qu’il y a quand même un aveuglement » des politiques océaniens qui par exemple n’apportent « aucun soutien aux minorités victimes du pouvoir chinois » en ignorant le durcissement du « soft power » de Beijing depuis 2017, ou qui, critiqués pour leur rapprochement avec l’Azerbaïdjan, disent clairement n’avoir rien à faire de la politique intérieure de Bakou. Et qui, ce faisant, s’aventurent sur un terrain moralement contestable, mais aussi politiquement périlleux.

L’article de Jean-Marc Régnault est à retrouver ici.