Près de 400 sites, 700 volontaires et 18 000 heures de vidéo analysées… Une ambitieuse étude menée depuis cinq ans fait un état des lieux des populations de requins de récif dans le monde entier. Le constat est alarmant : l’urbanisation et la surpêche font planer un risque de disparition de ces espèces dans de nombreuses zones. Pas en Polynésie Française, pris en exemple pour la vitalité de ses requins de récifs. Le point avec Éric Clua, chercheur au Criobe de Moorea.
« Global FinPrint » : c’est le nom de l’initiative lancée voilà cinq ans par deux scientifiques américains. L’idée : mettre en place une méthodologie unique et pratique pour recenser les requins de récifs tout autour de la planète. Si les menaces sur les squales sont établies depuis longtemps, c’est souvent sur les espèces pélagiques que se concentre l’attention. Cette fois, donc, focus sur les espèces côtières et notamment celles qui fréquentent les récifs coralliens. Pointes noires, mao tapete, requins gris… Pour les repérer, des caméras compactes ont été immergées entre 15 et 20 mètres de fond face à de petites cages remplies d’appâts. L’opération, effectuée pendant 90 minutes, est répétée plusieurs fois dans la journée, dans la semaine, reproduite de récifs en récifs et de d’îles en îles. Au total, c’est 58 pays et 371 sites qui ont été explorés. 700 bénévoles et scientifiques ont ainsi participé à récolter et analyser les 18 000 heures de vidéo.
« Rien qu’ici on a travaillé sur une trentaine d’îles, et on a capitalisé environ 4 500 heures de vidéos », explique Éric Clua, vétérinaire et directeur de recherche au Criobe (Centre de Recherches Insulaires et Observatoire de l’Environnement, une unité du CNRS, qui dispose d’un site à Moorea). C’est lui qui a encadré la partie polynésienne de l’étude, entre 2016 et 2017. Deux ans de travail pour faire du fenua, le pays le plus pourvoyeur de données au sein de Global FinPrint.
Les résultats, publiée hier dans la revue Nature, n’ont eux rien d’enthousiasmants. Dans près de 80% des zones étudiées, les requins, par leur nombre ou leur diversité, sont jugés en déclin. Pire : aucun requin n’a pas pu être observé dans près de 20% des sites. « Les requins de récif étaient presque totalement absents des récifs dans plusieurs pays, et cette raréfaction est fortement lié aux contexte socio-économiques », expliquent les auteurs de l’étude.
Destruction des récifs, ou des habitats de juvéniles, comme les mangroves, urbanisation et rejets humains, pêche importante, du requin lui-même ou en tant que prise accessoire, absence ou mauvaise gestion des milieux côtiers… Les facteurs de ce déclin sont divers, mais « l’ennemi c’est l’homme, c’est aussi simple que ça », résume Éric Clua. Le chercheur rappelle que les requins, qui se reproduisent très lentement, sont, malgré leur place au sommet de la chaîne alimentaire, des espèces très fragiles.
Bonne santé des requins de récif au fenua
L’étude met en revanche en avant la bonne santé des requins de récif au fenua. La Polynésie, « c’est juste cette magnifique utopie, surtout si vous aimez les requins de récif » s’extasie même Aaron MacNeil, un des responsables de Global FinPrint, auprès du magazine Science. D’autres territoires français, notamment aux Antilles, font beaucoup moins bien, relève Éric Clua.
L’étude pourrait même alimenter la promotion de la destination Polynésie, qui réfléchit d’ailleurs à la manière d’attirer plus de plongeurs. Comme le montre ce graphique, les densités de requins de récifs observées au fenua sont beaucoup plus importantes que dans d’autres destinations populaires pour leurs fonds marins.
Pourquoi de si bons résultats ? Certaines caractéristiques de la Polynésie joue en faveur des mao : faible densité de population, éloignement des îles, non dépendance des requins aux mangrove pour la reproduction… Mais pour Éric Clua, c’est surtout la place à part que tient le requin dans la culture polynésienne et une volonté publique de le préserver qui a joué. La mise en place d’un sanctuaire des requins dans les eaux du fenua, à partir de 2006, « on peut dire que c’était visionnaire » estime le vétérinaire.
Tout n’est pourtant pas rose pour les requins polynésiens. La dizaine d’espèces de récif souffre toujours des prises involontaires, massives, dans les parcs à poissons aux Tuamotu. Ou de la détérioration de certains habitats dans les îles de la Société. Surtout, « on voit bien qu’il y a de la pêche illicite dans les eaux polynésiennes », pointe le vétérinaire. Il rappelle que les cales du navire chinois Shen Gang Shun, échoué à Arutua était rempli d’ailerons et de morceaux de requins, même si rien ne prouve aujourd’hui qu’ils ont été pêchés dans nos eaux territoriales.
L’étude, qui fournit une argumentation solide à des mesures de protection du requin à l’échelle planétaire, prend soin de rappeler les enjeux de cette préservation. Les requins, dont beaucoup de gens connaissent déjà le rôle de « nettoyeurs » des récifs, sont aussi des « sélectionneurs » auprès des autres poissons. « Ça peut paraître contre-intuitif, mais plus ils sont présents, plus ils chassent et plus il y a de poissons », résume Éric Clua.