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Les rori polynésiens demandent leur visa pour l’export

©Tahiti Marine Group/FB

Pourquoi Moetai Brotherson voulait-il parler rori avec la ministre de la Transition écologique ?  Parce que pour qu’une véritable filière se développe, la Polynésie, à l’avant-garde des travaux sur les holothuries, de leur élevage et de leur valorisation, a besoin de libérer ses concombres de mer des contraintes de la Convention de Washington qui protège les espèces menacées, et qu’elle ne peut pas le faire sans l’appui de l’État. Et c’est urgent, parce qu’une entreprise métropolitaine a déposé un recours contre les ambitions exportatrices de Tahiti Marine Group.

Depuis 2019, la convention de Washington ou CITES, sur le « commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction », prohibe le commerce de trois espèces d’holothuries, dont deux présentes en Polynésie française. L’exportation des produits qui en sont dérivés peut être autorisée, au terme d’un long processus qui passe nécessairement par l’État- c’est une des raisons pour lesquelles Moetai Brothersn voulait rencontrer la ministre de la Transition écologique, Agnès Pannier-Runacher, lors de son déplacement à Paris.

Un dossier que le directeur adjoint des Ressources marines connaît bien : lorsque Auguste Buluc de Tahiti Marine Group avait lancé son écloserie de rori à la presqu’île, Moana Maamaatuaiahutapu était directeur de la recherche et du développement en aquaculture à la DRM. À l’époque, le rori intéressait pour ses propriétés détritivores et filtrantes, qui pourraient être mises à contribution dans les élevages de crevettes et de poissons. Malgré l’interdiction d’export, Auguste Buluc a poursuivi ses recherches. Il maîtrise aujourd’hui la reproduction et le cycle de vie de l’holothuria fuscogilva et l’holothuria whitmaei, et ce sont les propriétés antiinflammatoires et antioxydantes des sécrétions du rori qui l’ont convaincu de lancer, avec ses deux filles, la marque de produits de soin et de compléments alimentaires Anave, après avoir déposé sous le nom de « sea healer » – guérisseur de la mer – le principe actif de nos rori à mamelles blanches ou noires. Les sœurs Buluc ont récemment présenté leur ligne à Singapour, Hong Kong et Séoul, suscitant beaucoup d’intérêt.

Taivini Teai, ministre de l’Agriculture et des Ressources marines, avec Auguste Buluc. ©Tahiti Marine Group/FB

Un concurrent en métropole

Alors pourquoi ce parcours administratif, certes un peu long mais qui suivait son cours, est-il devenu urgent ? Parce qu’une entreprise du Sud de la France, qui veut développer « l’holothuriculture » en métropole pour dépolluer les élevages de coquillages, mais aussi développer des molécules bioactives – grâce d’ailleurs à un ancien de la DRM – a déposé un recours pour dire que la Polynésie ne disposait pas des éléments lui permettant de se lancer dans cette activité à l’export.

Car pour sortir les rori de l’interdiction, « il faut être capable de montrer que l’activité est non préjudiciable aux stocks locaux », explique Moana Maamaatuaiahutapu, et il manque une pièce du puzzle : la validation des études locales par le Haut-commissariat et sa délégation à la recherche ne pose pas de souci particulier, mais la convention de Washington exige aussi l’avis d’une autorité scientifique. Le Pays demande, depuis plus de trois ans, que soit désigné le Muséum d’histoire naturelle à Paris, plutôt que des organismes de recherche actifs au fenua, qui parfois mènent leurs propres travaux ou collaborent avec des privés, comme c’est le cas de l’Ifremer avec ce concurrent potentiel, ou de l’IRD avec un éleveur de « bêche de mer » en Nouvelle-Calédonie : « il y a un risque qu’ils soient juge et partie. »

C’est seulement lorsque cette autorité scientifique rendra son avis que les rori et leurs produits dérivés pourront être déclarés exportables au sens de la convention internationale. De son côté, le Pays a déjà mis en place, « par anticipation », une évaluation des stocks, des normes, des quotas et un système de traçabilité.

Le Pays espère donc qu’a minima, le gouvernement central s’assure de la collaboration du Muséum d’histoire naturelle, et que l’État puisse être convaincu de demander la sortie des deux espèces polynésiennes de la CITES, dont la prochaine réunion plénière se tient cette année.

Moana Maamaatuaiahutapu, directeur adjoint de la Direction des ressources marines. ©CP/Radio1

 

 

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