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L’État veut ressusciter l’Établissement public d’incendie et de secours

Presque vingt ans après la création, par ordonnance, de cet « Epis » jamais concrétisé, l’État a relancé les discussions avec les communes et le Pays pour lui donner enfin vie. L’idée est dans un premier temps de mutualiser le traitement des appels au 18 à l’échelle des îles du Vent ou de la Société. Et il est plus que temps : la prise en charge des alertes reste « aléatoire » dans beaucoup de casernes municipales, le manque de coordination des services de secours est problématique… Et le CTA du Taaone, sorte d’embryon de cet établissement, qui ne couvre que Arue, Pirae, Hitia’a et Punaauia, menaçait jusqu’à récemment d’imploser. Deux nouvelles communes devraient l’intégrer cette année en attendant la redéfinition de son statut.

L’heure était à l’optimisme, vendredi dernier, dans les étages du Taaone. Pour l’État, le Pays ou la mairie d’Arue, tous représentés, la démonstration du nouveau système de géolocalisation des appels de détresse, qui équipe désormais la plateforme du 15 (Samu), du 16 (urgences maritimes, JRCC) et du 18 (pompiers), en tout cas pour les quatre communes adhérentes du CTA, n’est pas seulement un outil pour « faire gagner de précieuses minutes » aux secouristes. C’est aussi, comme le pointe un des pompiers – opérateurs en poste ce jour-là, le témoin que « les choses sont en train de bouger ». « Les planètes s’alignent », estime même le ministre de la Santé Cédric Mercadal, qui voit enfin se profiler, à moyen terme, le « centre d’appel commun dont on parle depuis des années ».

Au moins 19 années, en tout cas. En février 2006, une ordonnance signée à Paris venait actualiser le droit applicable en Polynésie en matière de sécurité civile, secteur à la croisée des compétences. Le maire est responsable des secours sur sa commune, l’État doit en assurer la cohérence à l’échelle territoriale et prend la main en cas de force majeure, et le Pays, au titre de ses divers prérogatives (urbanisme, environnement, aménagement, santé…) en est un acteur incontournable. Le texte posait alors les bases des plans Orsec, des plans communaux de sauvegarde, définissait le rôle des associations de sécurité civile… Mais créait aussi une nouvelle structure dédiée : l’Établissement public d’incendie et de secours en Polynésie française. Un « Epis » qui devait rassembler les communes, d’éventuelles intercommunalités compétentes, voire le Pays, pour conseiller, informer, réaliser des études en matière de sécurité civile à l’échelle de tout le fenua. Mais aussi mettre en place et animer un ou plusieurs Centre de traitement des alertes, voire gérer des véhicules et casernes « complémentaires aux moyens des communes ». Tout un programme, qui n’a jamais existé autre part que sur le papier.

Les communes du CTA ne peuvent plus « porter le bébé »

Les explications à l’absence de décrets d’application de cette ordonnance de 2006 divergent, comme les opinions sur cet Epis dans cette époque politiquement trouble. Mais le fait que les communes continuent aujourd’hui de gérer, chacune de leur côtés, les appels au 18, et l’intervention de leurs pompiers. Le CTA est, dans ce paysage, une exception, à la forme plutôt singulière. Issu d’un accord signée en 2014 par Pirae, Arue et Mahina, le centre était entré en opération quatre ans plus tard, sans la commune de Damas Teuira, qui avait quitté le navire dans le dernier bord en expliquant ne pas s’y « retrouver financièrement ». Qu’importe : Pirae et Arue, qui partagent déjà depuis longtemps leur service d’incendie et de secours avancent seuls, soutenus par le Pays qui leur fait une place au sein de la plateforme du Samu au Taaone, et l’État qui appelle les autres communes à renforcer leurs rangs. Punaauia et Hitia’a o te ra sauteront le pas en 2019, dans l’espoir de créer un mouvement. Ils ne seront pas suivis : aux calculs budgétaires s’ajoutent les intrigues politiques et les doutes quant au montage juridique de ce centre, qui, légalement, reste aujourd’hui encore un service administratif de la mairie d’Arue, qui gère les appels de détresse de 62 000 habitants de Tahiti.

Sauf que sans adhésion supplémentaire, le CTA a dû mal à survivre. À la mi-2023, les deux communes expliquent au Haut-commissaire qu’elles n’en peuvent plus de « porter le bébé » financièrement, malgré les contributions de Hitia’a et Punaauia à un budget qui a dépassé les 50 millions de francs annuels. Certains notent en outre quelques défaillances dans le service rendu par le centre, pendant qu’une partie de la dizaine de pompiers professionnels de la structure dénoncent, devant les tribunaux, leurs conditions de travail et leur manque de moyens. Aucun doute : si les choses n’évoluent pas chacun « reprendrait ses billes », comme le déclarait alors le tavana de Punaauia Simplicio Lissant.

Nouvelle directrice, nouvel élan

C’est ce risque d’implosion qui a fait réagir le Haut-commissariat, qui se dote au même moment d’une nouvelle Directrice de la Protection Civile en Polynésie, Cécile Macarez. Une colonelle de sapeurs-pompiers bien au fait de l’intérêt des mutualisations de moyens et de service en matière d’incendies et de secours, et bien décidée à en convaincre tous les acteurs polynésiens. Pour les remettre autour de la table, Éric Spitz créé dans la foulée un « Comité polynésien de sécurité civile ». « Bien sûr on parle de sécurité civile en général, mais clairement, le Centre de traitement des alertes a été au cœur des premiers échanges », explique la directrice de cabinet du Haussaire Émilia Havez.

Et il ne s’agit pas seulement de sauver le CTA actuel. Dans beaucoup de communes, les réponses au 18, renvoyés vers des Vini, et confiés à des agents qui ont d’autres tâches importantes, sont jugés au mieux « aléatoire ». Et le manque de coordination des secours entre ou au sein des municipalités lors de grands évènements climatiques (ou dans le futur, d’évènements sportifs…) d’ampleur laisse craindre le pire pour l’avenir. La mise sur pied d’un Centre de traitement des alertes territorial, ou au moins, dans un premier temps, à l’échelle des îles du Vent ou de la Société, est donc une priorité. Et il ne peut vivre sous l’aile d’une seule commune : l’Epis est de nouveau à l’ordre du jour.

Depuis 18 mois, donc, les travaux sont lancés pour ressusciter cet établissement mort-né en 2006. Des travaux qui ne vont pas assez vite, au goût de certains. Il faut dire que le Haussariat veut éviter de créer, à marche forcée, de nouvelles oppositions sur le dossier. Sa direction de la protection civile a mis en place un groupe de travail pour réfléchir à la « plateforme de demain » en matière de santé et de secours, a proposé aux tavana, lors du dernier congrès des maires, la visite d’un centre mutualisé d’incendie et de secours à Corbeil-Essonne, et a mobilisé des directions et agences nationales pour ausculter les options sur la table, et traduire les discussions en projet de décret.

Deux communes de plus dans l’année, un décret en préparation

Certains rapports ont été rendus, d’autres sont en attente : l’AFD doit notamment évaluer, d’ici la mi-mars, les coûts de création d’un centre de traitement des alertes territorial qui serait la première mission de l’Épis. Quant au CTA actuel, il s’agit de le faire « tenir » jusqu’à ce que ces moyens puissent être transférés. L’État a accordé une subvention de fonctionnement à la structure pour renouveler certains logiciels, assurer de la formation. Et le Pays a accepté de participer à l’effort.

Le système de géolocalisation en fonction depuis le 1er janvier est ainsi un des résultats visibles de cette coopération, qui devrait aussi aboutir à un premier élargissement dès cette année. « Oui, nous sommes quatre aujourd’hui, cette année, mais deux autres communes intégreront, confirme la tavana d’Arue Teura Iriti, qui ne révèle pas à ce stade quelles municipalités sont en voie de signer. Et d’ici la fin de l’année, on aura un nouveau statut juridique pour cette structure, qui sera portée, je l’espère et je suis très confiante, par les communes de la Polynésie française, le Pays et l’État, qui vont nous soutenir ».

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Le soutien du Pays et de l’État, acquis, mais à préciser

Si l’élue autonomiste appuie sur cette idée de soutien, c’est qu’elle est indispensable pour continuer à avancer. « Personne n’est opposé à l’idée de cet établissement, d’une meilleure coordination entre les secours, mais il faut que les communes s’y retrouvent financièrement, glisse un adjoint de la mairie de Papeete. Et pour ça, il faut que l’État et le Pays, qui sont aussi dans leurs compétences, fassent leur part, comme c’est le cas en métropole, où l’État et les départements participent à ces missions avec les communes ».

Les engagements sont là, les chiffres pas encore. Cédric Mercadal assure que le Pays participera « pour le bien être de tous les Polynésiens », qui méritent que les secours « aillent plus vite, au plus près, avec les moyens les mieux coordonnés ». Le ministre de la Santé ajoute que les réflexions sont déjà lancées sur l’accueil physique du futur centre 15, et même du centre 15-18 puisqu’il s’agira bien de rassembler les deux plateformes, côte à côte au Taaone, comme c’est le cas actuellement du CTA. « On commence à trouver un petit peu de place, on réfléchit à rétablir et libérer d’autres espaces au CHPF. Il y a des capacités à pouvoir mettre tous les éléments au même endroit, avec une capacité d’action qui doit être à côté des urgences, détaille le ministre qui s’est lui aussi rendu en visite à Corbeil-Essonne. N‘oublions pas qu’on a un seul service d’urgence et de réanimation en Polynésie, et que quand c’est vraiment vital, on doit être juste à côté ».

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Pas de calendrier sur la table, là encore pour ne froisser personne. Mais de l’État au Pays en passant par les mairies, on promet des « bonnes nouvelles dans l’année ». D’autres se montrent plus pragmatiques : la mise en place du CTA, à trois, puis deux communes a pris quatre ans. Celle de l’Etablissement public d’incendie et de secours n’est plus à quelques années près.