ACTUS LOCALESJUSTICE L’ice comme thérapie de couple Pascal Bastianaggi 2020-08-13 13 Août 2020 Pascal Bastianaggi ©PB Un couple et leur cousine ont été condamnés à trois mois de prison avec sursis pour avoir importé et consommé durant huit mois, 14 grammes d’ice. Une histoire qui démontre bien le piège que représente cette drogue et la mécanique de l’addiction. Ce sont trois accusés qui tranchent avec le lot habituel de consommateurs d’ice qui ont comparu ce jeudi au tribunal de Papeete. Ce qu’on leur reproche, c’est d’avoir importé par voie postale 14 grammes d’ice, entre janvier et août 2020, pour leur consommation personnelle. Ce ne sont pas des trafiquants, ni des dealers, juste trois personnes qui ont eu, un jour, le tort de croire que leurs problèmes allaient se dissoudre dans l’ice. Problème de communication et libido en berne Le couple, d’une quarantaine d’années tous deux et 25 ans de vie commune, avait deux gros problèmes. Un manque de communication et une libido en sommeil. Ils ont découvert l’ice par le biais de connaissances et cela a été une illumination. Enfin, ils communiquaient et côté bagatelle, c’était comme une renaissance. Tout allait pour le mieux, ils étaient comme deux adolescents qui apprenaient à se découvrir. Ayant une fille de 17 ans, ils ne prenaient pas de drogue devant elle. Dès qu’elle partait de la maison, ils s’enfermaient, consommaient et s’aimaient. L’ice pour remonter la pente Leur cousine, 47 ans, a aussi connu des difficultés. Mariée à un homme qui l’a quittée, la laissant seule avec une fille en bas âge, elle a touché le fond. À son travail, elle pleurait continuellement. Une collègue, remarquant son état, l’invite chez elle et lui fait goûter à l’ice. Là aussi, révélation et consommation assidue. Mais un jour, sa petite fille arrive dans sa chambre, car elle avait faim. Cela faisait plus d’une journée qu’elle était livrée à elle-même car sa mère dormait. Et le déclic s’est fait, la ramenant à la réalité. Se rendant compte qu’elle négligeait son enfant, elle décide de se soigner et va consulter le docteur Brugiroux, elle entame une thérapie et s’en sort. Quelque temps plus tard, son mari regagne le domicile conjugal. Tout semble alors aller pour le mieux, mais nouvelle déconvenue, il la quitte de nouveau. Elle replonge. Ils achetaient de l’ice via le darknet L’ice, ils se la faisaient envoyer par la poste après l’avoir commandée via le darknet et payée avec de la cryptomonnaie. Une fois par mois ils commandaient un ou deux grammes d’ice. Leur cousine n’a que participé financièrement à la dernière commande, celle de trop. Car les douaniers ont intercepté le courrier et mis en place une souricière pour attraper la destinataire de l’envoi qui était la cousine. Mais c’est le couple qui s’est présenté à l’agence de l’OPT et qui a été arrêté. Durant leur audition à la gendarmerie, le couple se protégeait mutuellement, comme d’ailleurs à la barre, où ils se couvaient tous deux du regard, entre deux larmes. Comme leur cousine qui n’a cessé de pleurer durant toute l’audience. « Pour 20 000 Fcfp t’as un truc qui dure cinq minutes, alors qu’ailleurs t’en as pour une semaine. » « Pourquoi ne pas acheter l’ice à Tahiti ? » demande le juge. « Pour ne pas se faire connaître et les prix sont chers ici. Pour 20 000 Fcfp t’as un truc qui dure cinq minutes, alors qu’ailleurs pour le même prix t’en as pour une semaine. » Devant leur système d’approvisionnement relativement élaboré, le juge s’étonne. « D’où vous vient cette idée ? » « En voyant des reportages et en regardant des vidéos. Pour quelqu’un qui cherche, c’est assez facile. » L’homme avoue qu’avant, il était « dans l’alcool et je faisais beaucoup de conneries. Avec l’ice, j’arrive à me contrôler et la conversation est plus facile, avec ma femme on partageait plus de choses. » Toutefois, il reconnaît que « c’est une drogue très addictive et que, excusez mon langage, ça en devient chiant.» À leur casier judiciaire peu de condamnations. Aucune pour la femme, une pour la cousine concernant une conduite en état d’ivresse, et huit pour l’homme, violences et conduite en état d’ivresse. Aucune pour stupéfiants. Un fléau aux conséquences sanitaires importantes « Ce produit n’est pas positif comme pourraient le faire croire les déclarations des accusés (…) c’est un fléau aux conséquences sanitaires importantes », martèle la procureure qui poursuit, « s’ils n’ont fait de mal à personne, ils ont importé de plus en plus d’ice, d’un gramme au début, ils finissent par un envoi de quatre grammes (…) heureusement qu’ils ont été interpellés à temps, sinon quelle aurait été leur consommation ? » Elle requiert pour l’homme 18 mois de prison dont 12 avec sursis assorti d’un mandat de dépôt. Pour sa femme, 12 mois dont six avec sursis et pour la cousine, 8 mois avec sursis. Et une amende douanière solidaire d’un montant de 379 000 Fcfp. « Pour une fois, on est face à des personnes qui s’expriment. » Pour la défense, « on est devant un dossier singulier où pour une fois, on est face à des personnes qui s’expriment, qui expliquent ce qui les a poussés à consommer et sur les conséquences. C’est à noter en leur faveur. Ils sont là et prêts à assumer. Ils consommaient chez eux, ne tentaient personne. » S’agissant de la femme, « elle a été victime de viols incestueux et elle ne pouvait avoir de rapports sexuels normaux, c’était très difficile. Je vous laisse apprécier le quantum de la peine.» Quant à l’homme, « c’est la première fois qu’il s’adonne aux stupéfiants, je demande à son encontre un sursis, sans mandat de dépôt. » Sur la cousine, « elle a été grandement éprouvée par cette expérience. » Après en avoir délibéré, le juge les a condamnés à trois mois de prison avec sursis avec obligation de soins et une amende douanière de 90 000 Fcfp. À la lecture du délibéré, les trois fondent en larmes et remercient d’une seule voix le juge. 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