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Licencier sans justifier, une bonne idée ?

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IDEE CHOC – Pierre Gattaz, le président du Medef, propose que les employeurs n’aient plus à avancer des motifs aux licenciements de ses salariés.

Ne posez pas de questions, vous êtes licencié. Selon Pierre Gattaz, les employeurs devraient pouvoir se séparer de leurs salariés sans justification. Dans une interview donnée à L’Opinion vendredi, le président du Medef n’y va pas par quatre chemins : « il faut sortir de la convention 158 de l’organisation internationale du travail qui nous oblige à justifier les motifs de licenciements ».

La convention 158 oblige en effet l’employeur à justifier le licenciement pour un motif « valable ». En droit français, cela signifie qu’il doit avancer une « cause réelle et sérieuse ».

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• LES CONTRE : c’est un « retour au Moyen-âge »

La sortie de Pierre Gattaz a hérissé plus d’un poil. Selon Jean-Emmanuel Ray, professeur de droit du travail à Paris-Sorbonne, c’est une remise en cause d’un principe fondamental. « Il m’apparaît comme inapproprié de ne pas donner à un collaborateur la raison de son licenciement. Lors d’un entretien préalable, il doit énoncer le motif du licenciement qu’on discute et après, il doit notifier ce motif par lettre recommandée envoyée au domicile du salarié. Et c’est sur la base de cette lettre que l’employé pourra saisir le tribunal des prud’hommes », détaille l’expert.

« La proposition de Pierre Gattaz est une provocation », assène également Eric Heyer, économiste à l’OFCE, contacté par Europe1. « Mieux vaut avoir un code du travail clair, sinon cela risque d’augmenter la judiciarisation des licenciements, avec les accusations de discriminations, poursuit-il encore. Le poids, le genre, la couleur de peau… Les salariés, ceux qui pourront se permettre d’avoir un avocat, trouveront toujours un motif d’aller en justice ».

En France, en effet, un salarié peut saisir le conseil prud’homal s’il estime qu’il ne mérite pas d’être licencié. Et c’est alors au juge de décider en dernier ressort si le licenciement fait suite à une « cause réelle et sérieuse ». Il s’agit d’un moyen d’éviter les décisions arbitraires des dirigeants, mais aussi de protéger l’emploi, de manière à rendre plus difficile les licenciements.

La proposition de Pierre Gattaz « est une sortie scandaleuse », tacle encore Véronique Descacq, numéro 2 de la CFDT. « Il nous explique que les règles internationales qui protègent des milliards de salariés dans le monde doivent disparaître », renchérit-elle. « Supprimer ce droit élémentaire, c’est revenir à une époque où les salariés étaient taillables et corvéables à merci, au Moyen-Âge probablement », déplore-t-elle.

• LES POUR : il faut laisser « la discrétion à l’employeur ». Pourtant, il ne faut pas remonter au Moyen-âge pour trouver pareille réglementation. Aux États-Unis, une majorité d’états a adopté le principe, qui porte même un nom : « l’employment-at-will », c’est-à-dire la possibilité pour l’employeur (et le salarié d’ailleurs) de rompre le contrat sans justification, hors discrimination de genre ou raciale. Le think-tank ultralibéral français Génération libre défend d’ailleurs le principe depuis des années. « La surprotection des travailleurs entraîne la surexclusion des chômeurs », martèle le think-tank sur son site.

Comment pourrait-on transposer « l’employment-at-will » en France ? Très simplement. Il suffirait de supprimer toutes les définitions du licenciement économique dans le code du travail et de les remplacer par cette phrase : ‘Un licenciement économique est un licenciement qui n’est pas pour motif personnel’. Ainsi, on laisserait une discrétion totale à l’employeur pour décider de ce qui est nécessaire à son entreprise. Et le juge cesserait de se transformer en arbitre des décisions managériales », détaille Génération libre.

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Que disent les chiffres ? Le problème, c’est qu’en la matière les gouvernements naviguent à vue. On peut trouver des arguments pour et contre dans chaque pays. L’Espagne (24%), le Portugal (14%), ou la Slovaquie (13%), par exemple, ont ratifié la convention 158 mais ont aussi un chômage élevé. L’Allemagne (5%), les États-Unis (6%), le Royaume-Uni (6%) et le Danemark (6,7%) ne l’ont pas ratifié, et le chômage y est relativement faible.

A l’inverse, l’Italie (12,3%) et l’Irlande (11,4%), qui ne l’ont pas ratifié non plus, ont un chômage plus élevé qu’en France (10,5%). La Suède et la Finlande, quant à eux, ont un chômage modéré (autour de 8%), tout en ayant signé la convention. En clair, les deux ne sont pas directement liés.

Le compromis : de la flexibilité, mais pas que… « Si vous flexibilisez le droit du travail, il faut l’accompagner d’autres mesures de sécurité, sinon vous favorisez le chômage de masse », décrypte Eric Heyer, de l’OFCE. « Vous avez deux écoles. Les pays scandinaves, d’une part, assurent une meilleure prise en charge du chômage, avec davantage de formations par exemple. Ce qui permet de flexibiliser le marché du travail en rendant le licenciement moins douloureux », poursuit l’économiste. Le chômage « cesserait d’être vécu comme un drame pour devenir une étape naturelle de la vie professionnelle », avance également Génération libre.

« Les pays anglo-saxons, d’autre part, offrent un marché du travail dynamique grâce à une politique expansionniste. Si on veut faire comme les Etats-Unis, autant regarder ce qu’ils font dans la globalité : la banque fédérale mène une politique expansionniste, la dette atteint des montants faramineux. Ils ne sont pas soumis aux objectifs de réduction de déficit à 3%, eux », conclut Eric Heyer.

Source : Europe1