Valverde (Espagne) (AFP) – El Hierro, petite île de l’Atlantique au large de l’Afrique, dans l’archipel des Canaries, se bat depuis deux ans pour devenir autosuffisante en électricité « verte » produite grâce au vent et à l’eau, un défi qui intéresse des chercheurs du monde entier.
Réserve de la biosphère de l’Unesco, El Hierro est le plus petit îlot de l’archipel espagnol, un territoire volcanique de 269 km2 aux falaises écorchées où alternent pinèdes et champs d’ananas. On y fait aussi du vin et l’endroit est un paradis pour les randonneurs et les amateurs de plongée sous-marine en raison d’un climat subtropical et d’une faune très riche.
Mais si la date du 15 février est à marquer d’une pierre blanche pour cet île isolée, difficilement accessible avec sa piste d’aéroport coincée entre mer et montagne, c’est parce que sa centrale hydro-éolienne a produit pendant plus de 24 heures toute l’électricité nécessaire aux 7.000 habitants, une première.
Depuis son inauguration en juin 2014, la centrale de Gorona del Viento a évité le rejet d’environ 9.000 tonnes de CO2 dans l’atmosphère. Elle associe cinq éoliennes plantées sur une colline, d’une capacité totale de 11,5 MW, et deux bassins de rétention d’eau séparés par 650 mètres de dénivelé, avec des turbines hydrauliques d’une puissance de 11,32 MW.
Quand le vent tombe, l’eau est relâchée du bassin supérieur vers le bassin inférieur et les turbines prennent le relais. La centrale assure aussi le fonctionnement des usines de dessalement d’eau de mer, vitales sur une île.
Cette combinaison unique de l’éolien et de l’hydraulique « est très prometteuse » car elle offre une solution au problème de l’intermittence des énergies renouvelables, commente Joëlle Noailly, de l’Institut de hautes études internationales et du développement de Genève.
D’autres îles européennes comme Samso au Danemark ou Eigg en Ecosse tentent elles aussi le pari d’une énergie 100% renouvelable, mais leurs installations ne combinent pas l’éolien et l’hydraulique.
Et tandis que Samso a pu être approvisionnée en électricité depuis le continent par un câble sous-marin, l’île d’El Hierro, beaucoup plus éloignée en mer, rêve depuis trente ans de s’affranchir de sa dépendance au diesel, apporté par bateau depuis l’île Tenerife à près de 300 km de là, après un long voyage dans l’Atlantique.
« Avoir une souveraineté énergétique absolue (…) dans un territoire isolé est essentiel », commente Tomas Padron, ex-président du « cabildo » – l’autorité insulaire – et père du projet.
– Convaincre –
Lors de la mise en service de Gorona del Viento, l’ambition était de couvrir 100% de la demande d’électricité en quelques mois. Plus long à réaliser que prévu. Aujourd’hui, « la moyenne est d’environ 50% » et la centrale sort de la phase de rodage, admet son PDG Juan Pedro Sanchez.
Une belle performance en seulement deux ans, juge-t-on à Bruxelles: l’expérience est positive et prometteuse, estime Ioannis Kougias, scientifique du Centre de recherche de la Commission européenne, alors que l’objectif européen est de parvenir à avoir 20% d’énergies propres d’ici 2020 dans l’UE.
Des difficultés restent à surmonter à El Hierro. Il faut convaincre REE, le gestionnaire du réseau électrique qu’il peut fonctionner avec 100% d’énergie verte sur de longues périodes, alors que sa priorité est « qu’il n’y ait pas de panne », relève le PDG Juan Pedro Sanchez.
« Il faudrait aussi augmenter la capacité des réservoirs d’eau » pour pouvoir produire de l’électricité « verte » sans interruption toute l’année, dit-il. Or les installations ont coûté 80 millions d’euros et la construction d’un nouveau bassin n’est pas prévue pour l’instant.
– ‘Modèle viable’ –
Le projet n’en suscite pas moins un énorme intérêt, surtout dans les îles. Leurs 600 millions d’habitants dans le monde, selon l’ONU, sont directement menacés par le réchauffement climatique, en partie provoqué par l’utilisation des énergies fossiles.
Des représentants des Seychelles, d’Indonésie, du Japon ou encore d’Aruba aux Caraïbes ont déjà visité El Hierro.
Mais pas seulement. Venu de San Francisco aux Etats-Unis, Xavier Verdaguer fait partie d’une groupe d’une dizaine de jeunes entrepreneurs très attentifs aux explications du guide. Ils prennent en photos des tuyaux, des turbines, des réservoirs d’eau à flanc de colline… « On voit comment fonctionne un projet novateur », s’enthousiasme ce quadragénaire.
Pour Emanuele Taibi, de l’Agence internationale pour les énergies renouvelables, « le modèle est viable et peut être copié » à condition d’avoir du vent et une colline ou une falaise pour le dénivelé.
La Gorona a déjà permis d’économiser 2.850 tonnes de fioul, selon l’entreprise d’électricité Endesa, co-actionnaire de la centrale avec l’autorité insulaire. Soit 1,2 million d’euros qui serviront à financer d’autres projets sur l’île, assure la présidente du cabildo Belén Allende.
Les retombées financières pour la population sont pour l’instant peu visibles. « La facture d’électricité est restée la même », déplore Claudia Barrera, une secrétaire au chômage de 32 ans, pendant son petit-déjeuner dans une cafétéria du bourg de Valverde.
– Attirer scientifiques et touristes –
El Hierro, peu visitée, veut profiter de son image d’île cultivant l’énergie « 100% renouvelable » pour attirer scientifiques et touristes. Depuis le début des travaux de la centrale en 2009, plus de mille personnes par an ont visité l’installation.
Ce sont autant de gens qui « mangent, louent une voiture, un appartement ou une chambre (…), tout cela génère de la richesse », bienvenue quand le taux de chômage sur l’archipel avoisine les 27%, se réjouit Amos Lutzardo, président du centre d’initiatives et de tourisme.
A long terme, le cabildo rêve d’une île « propre », grâce à un parc automobile tout électrique d’ici 2020, de l’agriculture biologique, son usine de biodiesel déjà ouverte et une gestion plus intelligente de la consommation d’électricité.
La Gorona, c’est « la colonne vertébrale de notre modèle de viabilité », assure la présidente de l’autorité insulaire.
© AFP DESIREE MARTINLes éoliennes de la centrale hydro-éolienne Gorona del Viento, sur k’île espagnole d’El Hierro aux Canaries, le 14 mars 2016