Alors qu’une large réforme du statut des collectivités d’outre-mer, dont celui de la Polynésie, était un temps évoquée à Paris, le chef de l’État a expliqué depuis Nouméa que seule la Nouvelle-Calédonie serait concernée. Moetai Brotherson espérait pourtant profiter de la « fenêtre de réforme constitutionnelle » pour faire évoluer le statut du Pays, notamment sur l’élection du président au suffrage universel direct, sur les relations internationales ou sur la notion de citoyenneté polynésienne.
« Il y aura de toute façon une réforme constitutionnelle ». C’est ce qu’a répété Emmanuel Macron depuis la Nouvelle-Calédonie où il est en visite avec cinq de ses ministres depuis lundi. La déclaration n’est pas en soit une surprise : voilà maintenant 35 ans que le Caillou est régi par des statuts issus d’accords par essence temporaires. Le dernier en date, l’Accord de Nouméa, signé entre loyalistes et indépendantistes en 1998, devait s’éteindre à l’issue d’un maximum de trois référendums d’autodétermination, qui se sont tenus en 2018, 2020 et 2021. Un cycle qui n’a pas débouché sur le consensus espéré dans les urnes – le « non » à l’indépendance l’a emporté par 56,7%, 53,3% puis 96,5% -, ni sur l’apaisement du débat politique, le FLNKS ayant appelé au boycott de la dernière consultation, jugée précipitée après la sortie de la crise Covid.
« Un cadre constitutionnel propre » pour le Caillou
« Il faudra de toute façon un changement de la Constitution et ce changement se tiendra », a tout de même martelé le chef de l’État à l’occasion d’un entretien avec les chaînes Caledonia, Nouvelle-Calédonie la 1ère et la radio RRB. Alors que les partis pro-Kanaky sont très critiques à l’égard de sa méthode – et même de sa venue, plusieurs responsables de l’UC ayant déclaré il y a quelques jours qu’il n’était « pas le bienvenu » dans le pays – Emmanuel Macron ne peut à ce stade en dire plus sur le « contenu » de la future réforme, suspendue à un « consensus » pour l’instant très lointain. Mais le président de la République a apporté une précision importante à cette révision constitutionnelle : « elle portera sur la Nouvelle-Calédonie, et je l’assume comme telle et après avoir parlé avec la présidente de l’Assemblée nationale et le président du Sénat, je sais aussi qu’ils partagent cette volonté que ce sujet puisse avoir son cadre constitutionnel propre ».
Un détail qui n’est pas anodin quand on sait que le calendrier et les conditions de la révision du statut calédonien sont scrutés, depuis plusieurs années, par tout l’outre-mer français. Élus locaux, parlementaires, ministres en visites… Beaucoup ont déjà évoqué la possibilité de profiter du lourd processus de réforme constitutionnelle pour moderniser de façon plus large le statut des collectivités ultramarines.
Citoyenneté, relations internationales, élection ou nucléaire…
Davantage d’autonomie pour la Guyane, les Antilles ou la Réunion, plus de proximité à la France, au contraire pour Mayotte… À chacun ses demandes, mais les collectivités cherchent à obtenir, de façon générale, une révision des articles 73 et 74 de la Constitution pour permettre de « refonder la relation avec l’État » et envisager des statuts « sur-mesure » pour chacune d’entre elles. C’était le sens de l’appel de Fort-de-France, signé en mai 2022 par des dirigeants de l’outre-mer. Un appel qui n’avait pas été signé par Édouard Fritch, et pourtant la Polynésie, elle aussi, envisage depuis longtemps de monter dans ce train constitutionnel. L’ancien président Tapura n’en a jamais fait une priorité, mais a tout de même évoqué, auprès d’une mission sénatoriale notamment que des évolutions statutaires étaient souhaitables sur les questions de solidarité ou sur les relations régionales. À quelques mois des territoriales, fin 2022, Édouard Fritch demandait plus clairement devant les sénateurs des évolutions constitutionnelles concernant le « périmètre de la loi organique » – ce qui permettrait au Pays de se réorganiser plus facilement en interne -, concernant la valeur législatives des loi du Pays, ou encore concernant la reconnaissance du fait nucléaire « et de ses différents impacts » qu’il voulait voir inscrit directement dans la Constitution. Les maires des Marquises avaient profité de la même tribune pour porter leur projet de communauté d’archipel, qui demanderait lui aussi une révision constitutionnelle. Des auditions qui n’avaient pas abouti à des projets de textes, mais le Sénat était claire tout au long de l’année dernière : toutes les collectivités ultramarines devaient « se préparer » à du changement.
Un changement aussi porté par Moetai Brotherson, qui avait déjà fait des déclarations sur le sujet en tant que député et président à la délégation Outre-mer de l’Assemblée nationale. L’élu indépendantiste avait ensuite soutenu, dans son programme de campagne, plusieurs pistes de réformes constitutionnelles, dont l’élection du président du Pays au suffrage universel direct ou la création d’une citoyenneté polynésienne, porteuse de droit en matière d’emploi ou de foncier. Des demandes rappelées début juin par le président fraichement installé, lors d’un passage à Paris et même à l’Élysée. « Autour de la fenêtre de révision constitutionnelle qui va s’ouvrir pour la Nouvelle-Calédonie, l’ensemble des Outre-mer et la Corse veulent revisiter leur relation à l’État, rappelait-il, après sa rencontre avec Emmanuel Macron. L’élu indépendantiste avait aussi insisté sur l’idée d’obtenir « plus de latitude et de champs d’action dans notre bassin régional, de manière à ce qu’on puisse tisser des liens et établir des accords directement, au moins sur le plan commercial et économique ». « Sur ces sujets-là, on n’est pas opposés », précisait alors le président du Pays.
Rendez-vous au Vanuatu et en PNG
Pas opposé, mais visiblement pas en phase : même si le chef de l’État n’a pas exclu une autre réforme qui concernerait le reste de l’outre-mer, c’est bien la Nouvelle-Calédonie qui est prioritaire. Un sujet que Moetai Brotherson devrait pouvoir évoquer directement avec Emmanuel Macron : le président du Pays s’est envolé pour le Vanuatu où il a été invité à participer à la visite du président français le jeudi 27 juillet (ce mercredi à l’heure de Tahiti). Il s’agit surtout de parler de stratégie et de coopération régionale, mais l’élu Tavini pourrait aussi être tenté d’en savoir plus sur la position de la France à l’ONU sur le dossier polynésien, sujet pressant puisque la prochaine session du comité de décolonisation est prévue pour octobre. Paris serait partagé sur le sujet, et les dernières déclarations d’Emmanuel Macron vont plutôt dans le sens d’une mise en garde des mouvements indépendantistes.
« Il y a des déstabilisations qui se font, par la voie de l’information, par des contacts qui sont pris par des puissances tierces. Moi, je dis simplement, regardez ce qu’il se passe ailleurs. Et quand des gens vous font des cadeaux mirifiques en vous expliquant qu’ils vous respectent et qu’ils aiment la culture d’indépendance que vous prônez et que ce sont des puissances impériales qui ont plutôt une action de prédation et qui ont mis d’autres gouvernements à genou à quelques encablures, il faut être bien naïf, a précisé le président de la République, cité par notre partenaire Outremers 360°. L’inscription dans la France et dans la République, c’est un gage de stabilité, c’est un gage de respect, et c’est éviter d’être trop petit, dans un monde bousculé par de trop grandes puissances ». Outremers 360° relève aussi qu’Emmanuel Macron a annoncé aux médias calédoniens que Moetai Brotherson, comme son homologue calédonien Louis Mapou, devait l’accompagner en Papouasie – Nouvelle-Guinée. Mais cette deuxième visite, programmée pour le lendemain, ne fait pour l’instant pas partie du programme officiel du président du Pays.