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« Manipulateur » contre « maso » : un couple à la barre

L’affaire jugée jeudi met en scène un couple, qui a une relation que l’on peut qualifier de « toxique ». Une affaire de violences conjugales apparemment simple, mais qui au fil de l’audition s’est révélée un peu plus complexe. Le délibéré sera rendu le 12 novembre, en quelque sorte une première pour une audience en juge unique.

Au tribunal ce jeudi, il y avait une affaire qui à elle seule résume la complexité de certaines affaires de violences conjugales, et de la difficulté pour la justice à faire la part des choses. Celle-ci se doit parfois, à son corps défendant, d’endosser le costume de conseiller conjugal pour connaitre l’origine des dissensions au sein du couple et de ramener les protagonistes à la raison.

Séparés depuis un an, Manuel et Teura, parents d’un enfant en bas âge, bien que séparés ont des relations épisodiques quelques peu mouvementées, que l’on peut qualifier de toxiques. Il faut dire que les deux protagonistes ont tous deux des personnalités particulières. Manuel est qualifié de « manipulateur schizophrène » par sa compagne qui reconnait qu’elle-même doit être « un peu maso », tandis que Teura est qualifiée « d’alcoolique hystérique » par son ex-compagnon.

Elle veut descendre de la voiture en marche

Manuel comparait ce jeudi pour avoir frappé Teura à deux reprises. La première en décembre 2019 et la seconde en janvier 2020. À la barre, il relate l’épisode de violence du mois de décembre. « Elle a débarqué chez moi à minuit, ivre, et a commencé à crier et cela dure jusqu’à 5 heures du matin, moment où je la ramène chez elle en voiture. Sur la route des plaines elle voulait acheter de l’alcool, je lui dis non et elle tente de sauter en marche alors que je roulais à 70 km/h. Je ralentis, me mets sur le bas-côté et lui dis de descendre si elle voulait. Elle ne veut plus et je reprends la route quant elle se met à tout casser dans la voiture. Je lui donne des coups de coude tout en conduisant et je la ramène. » Des coups de coude qui ont occasionné deux côtes fêlées à Teura et 8 jours d’ITT.

Il lui jette un seau d’eau froide pour la calmer

Concernant l’altercation du mois de janvier, Manuel explique : « Il était une heure du matin, je dormais et d’un coup j’entends la télé dans le salon. C’était elle, ivre, et elle avait amené des bouteilles. Elle commence à m’insulter et à cette heure-là, je n’avais pas envie de discuter. J’appelle les gendarmes et en les attendant, j’essaie de la calmer. Mais elle était agressive verbalement et physiquement. Elle voulait que je l’amène voir notre enfant qui était chez ma mère, mais il était deux heures du matin. » Des coups sont échangés et Manuel la menace d’une batte de base-ball. Il finit par la mettre dehors en lui jetant un seau d’eau froide sur la tête. « C’est la seule façon que j’ai pour la calmer. » Teura s’en tirera avec 10 jours d’ITT.

« Moi aussi je suis peut-être maso »

Le juge regrette l’absence de la victime car s’il désapprouve les coups, il estime toutefois que l’attitude de la jeune femme pose question. C’est alors que l’avocat de la jeune femme indique qu’elle a décidé de se présenter au tribunal. La porte de la salle s’ouvre et fait place à une jeune femme visiblement perturbée. Elle est en pleurs, agitée, au bord de la crise de nerfs et semble surprise quand le juge l’appelle à la barre.

Interrogée sur les faits les plus anciens elle dit ne pas avoir envie de parler. Idem pour la deuxième affaire. « Pas envie de parler non plus.»

Le juge la questionne alors sur sa présence au domicile de son ex-concubin. « C’est un peu chez moi quand même, on a eu un bébé », lance-t-elle quelque peu énervée et sur la défensive. Remarquant que le magistrat la scrute du regard, elle hausse le ton : « Je ne suis pas une folle hystérique. Je ne débarque pas à n’importe quelle heure » « Racontez-nous ce qu’il s’est passé alors », lui demande-t-il, conciliant. « C’est tellement évident que je n’ai pas envie de parler » réplique-t-elle. « Et l’incident dans la voiture ? » « Je sais plus. Il n’y a rien à expliquer, il est peut-être schizophrène. » « C’est lui qui va pas bien ? » Petit moment de flottement, « moi aussi je suis peut-être maso » suppose-t-elle en pleurs. Le juge, pédagogue : « Il risque la prison, c’est grave. Et si tu ne parles pas… » « Je n’ai pas envie de l’enfoncer » dit-elle reprenant du poil de la bête.

« Oh, on n’est pas sur un plateau TV ici »

S’ensuit un échange entre le couple où le ton monte, provoquant l’intervention du juge : « oh, on n’est pas sur un plateau TV ici. » Redescendant un peu dans les tours la jeune femme explique que si elle s’est introduite tardivement au domicile de son ex c’était pour voir son bébé qui était chez sa belle-mère, dans la maison voisine. « On ne va chercher un bébé n’importe quand. On n’est pas chez Carrefour. Il y a des horaires de visites » assène le juge un peu excédé.

En ayant fini avec la jeune femme, il interroge Manuel sur les raisons de leur séparation.  « Je l’ai aimée mais j’ai commencé à ne plus la supporter à la mort de mon père en 2018. J’ai essayé de me séparer d’elle mais elle ne l’entendait pas comme cela. » À son casier une vieille condamnation pour usage de stupéfiants, du paka.

« Qu’elle ne soit pas facile à vivre et agressive,  je veux bien le croire »

Pour la partie civile, ce dossier « est particulièrement sensible. Leur séparation est du genre je t’aime moi non plus. De l’amour vache. D’après ma cliente et j’ai tendance à la croire, c’est un manipulateur. Il lui dit qu’il l’aime. » Voyant toutefois que sa cliente a une personnalité « borderline » il reconnaît « qu’elle ne soit pas facile à vivre et agressive,  je veux bien le croire. Mais lui il l’a battue. Elle veut juste qu’il n’y ait plus de violence car ils sont amenés à se voir. Il faut qu’il comprenne que quel que soit le comportement de ma cliente il n’a pas à la taper. »

Le procureur semble partagé au moment de prendre la parole, « plus c’est trouble et plus il faut garder la main sur le fil d’Ariane. Notre rôle c’est de savoir à quel moment les limites sont franchies et de déterminer si une infraction a été commise. Je m’en tiendrais donc aux faits. »

Il poursuit : « Sur les violences il n’y a aucun doute. Il reconnaît lui-même qu’il n’aurait pas dû la frapper. Monsieur est coupable mais par rapport à la peine, il faut connaître un peu le fond de l’histoire. Les deux ont du mal à communiquer et si vous rajoutez à cela l’alcool, ça complique les relations. »

Quatre mois de prison avec sursis requis

S’il n’excuse pas les dernières violences, il reconnaît à demi-mot comprendre les coups de coude dans la voiture, « la situation était difficile. Je ne vais pas demander de la prison ferme car il n’est pas sous le coup de la récidive et qu’il n’a jamais été condamné pour violences. » Il requiert 4 mois de prison avec sursis.

Pour la défense de Manuel, son avocate estime que certaines choses n’ont pas été dites « notamment sur la personnalité de madame qui débarque à n’importe quelle heure, fortement alcoolisée. Certes cela n’excuse pas les coups qui ont été administrés mais quand même. Même sa mère et son avocat reconnaissent qu’elle a une personnalité particulière. » Quant à la peine requise, elle remercie le procureur « qui a agi avec mansuétude. »

Manuel prend la parole en dernier. « Je lui présente mes excuses pour la violence. C’est sûr que je n’avais pas à faire cela. » Alors que généralement le délibéré tombe dans la foulée concernant les affaires traitées en juge unique, cette fois le juge a décidé de s’accorder le temps de la réflexion pour rendre sa décision. Le délibéré sera rendu le 12 novembre. Signe que cette affaire n’est pas aussi simple qu’elle n’en avait l’air au départ.

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