Plus de 2 000 personnes se sont rassemblées à Tarahoi ce samedi matin à l’appel du Tavini, de l’Église protestante ma’ohi et des associations 193 et Moruroa e tatou pour protester contre l’attitude de l’État français sur les conséquences des essais nucléaires. Une semaine avant l’arrivée à Tahiti d’Emmanuel Macron, une visite dont ils n’attendent rien, les militants ont inlassablement répété leurs arguments et collecté plus de 260 plaintes individuelle à transmettre à la Cour pénale internationale.
« Le négationnisme est un crime », pouvait-on lire sur l’une des banderoles des marcheurs qui ont rejoint le centre-ville ce samedi matin. Pour les organisateurs de la manifestation, en ce jour anniversaire de l’essai atmosphérique Centaure réputé avoir exposé 110 000 Polynésiens aux rayonnements ionisants, la réaction de l’État à la parution de l’enquête Toxique n’est qu’une nouvelle mise en scène d’une pièce déjà jouée. Plusieurs victimes des essais et de nombreux militants et soutiens de la cause anti-nucléaire ont pris la parole, y compris par vidéo comme le président de la Conférence des Églises du Pacifique, le révérend James Baghwan.
Heinui Le Caill, secrétaire général adjoint du Tavini, a fait un brutal état des lieux : « Notre héritage aujourd’hui, ce sont 193 bombes atomiques et 368 retombées radioactives sur toutes nos îles. Ce sont 600 nouveaux cas de cancers par an et 300 décès de cancer par an. Ce sont 9 000 personnes en moyenne atteintes de maladies radio-induites, sans compter les troubles mentaux, les fausses couches, les enfants handicapés… et 63 victimes reconnues et indemnisées. » Il a ensuite rappelé que « grâce au sacrifice des Polynésiens, la France est le 2e producteur mondial d’électricité nucléaire, fait 2 400 milliards d’économie chaque année en importations de gaz et de charbon grâce au recours à l’énergie nucléaire, selon Areva. Sa filière nucléaire gagne 5 520 milliards XPF de chiffre d’affaires par an. » Enfin il a fait le lien avec l’affaire Radio Tefana, dont il préside le conseil d’administration et qui a été condamnée en première instance à une amende de 100 millions de Fcfp : « ce n’est pas à nous qu’on veut faire peur au final mais à vous ! Mais vous aussi, vous avez une arme. Elle ne tuera personne, celle-là, et vous permettra d’agir le moment venu : c’est votre prochain bulletin de vote. »
Autre « arme » dégainée par les organisateurs, les plaintes individuelles pour crime contre l’humanité qui seront transmises à la Cour pénale internationale dans l’espoir que son procureur assigne les présidents de la République encore vivants. À 14h30 plus de 260 plaintes avaient été signées, et le collectif table sur 500 plaintes au total.
« Commencez par demander pardon », lance Moetai Brotherson à Emmanuel Macron
Le député Moetai Brotherson, lui, s’est directement adressé à Emmanuel Macron, l’accusant de venir en Polynésie orchestrer une opération de communication : « Les conclusions de la table ronde de haut niveau nous démontrent déjà que vous ne venez pas dans un esprit sincère (…). Si vous venez faire de la com’, c’est pas la peine de venir. »
« Commencez par demander pardon, a lancé le député. Ce pardon, vous le devez aux Algériens, vous le devez à tous les Français qui sont venus ici croyant réaliser la grandeur de la France, et à qui vous avez menti, et vous le devez aux Polynésiens. Alors si vous venez sans intention de demander pardon, restez à l’Élysée. »
Vacances au soleil et récolte de souvenirs pittoresques, Moetai Brotherson n’a pas hésité à manier les clichés, et s’en explique : « Parce que ce qu’on nous a offert jusqu’à présent, malheureusement, ce ne sont que des clichés. Ce sont des faux-semblants, des mascarades, une mise en scène de table ronde qui n’en était pas une (…), la délégation Reko Tika aurait aussi bien pu ne pas aller à Paris, les conclusions étaient écrites avant même qu’ils partent. Le message fondamental que je voudrais adresser au Président de la République, c’est de ne pas perdre son temps, de ne pas perdre l’argent des contribuables français. S’il vient en Polynésie, il faut qu’il rencontre l’âme des Polynésiens et il faut qu’il leur parle les yeux dans les yeux et sincèrement. »
Même sentiment exprimé par Oscar Temaru : « Respectez-nous dans notre pays, bon sang ! »
Le mot de la fin est revenu à Père Auguste, qui lui non plus n’attend pas grand chose de la visite présidentielle et de l’État : « Ils ne demanderont jamais pardon, parce qu’ils pensent que tout est monnayable, parce que nous ne sommes pas un peuple pour eux. »