Rabat (AFP) – Aux affaires depuis 2011, les islamistes étaient en passe de remporter les élections législatives de vendredi au Maroc, et d’être ainsi reconduits pour un second mandat de cinq ans à la tête du gouvernement.
Au terme d’une journée de vote sans incident majeur, mais marquée par une forte abstention et des accusations de fraudes, le Parti justice et développement (PJD) a obtenu 99 sièges, selon des résultats provisoires annoncés dans la nuit.
Son principal rival et ennemi intime, le Parti authenticité et modernité (PAM, formation libérale fondé en 2008 par un proche conseiller du roi Mohammed VI et dirigé par Ilyas El Omari), qui se présentait comme un rempart « moderniste » contre « l’islamisation rampante », emporte 80 députés.
L’Istiqlal, le parti historique de la lutte pour l’indépendance, arrive en troisième position avec 31 sièges, juste devant le Rassemblement national des indépendants (RNI), qui obtient 30 sièges.
Le taux de participation s’est élevé à 43%, soit plus de 6 millions de votants (sur une population de 34 millions) selon les chiffres donnés dans la nuit par le ministre de l’Intérieur, Mohammed Hassad, après le dépouillement de 90% des bulletins.
Le PJD dispose donc d’une confortable avance sur le PAM, et était ainsi sur le point de réussir son pari d’un deuxième mandat à la tête du gouvernement de coalition pour « continuer la réforme », comme il n’a cessé de le clamer pendant toute la campagne.
En 2011, le PJD avait remporté une victoire historique, quelques mois après une révision constitutionnelle menée par Mohammed VI pour calmer le « mouvement du 20 février », la version marocaine du Printemps arabe.
Parfois comparé aux Frères musulmans égyptiens (une comparaison qu’il récuse), le PJD est aujourd’hui la seule formation islamiste encore à la tête d’un gouvernement dans le monde arabe.
Au terme de cette journée de vote, il conforte sa position dominante sur l’échiquier politique marocain, où le roi, chef de l’Etat et « commandeur des croyants », reste néanmoins le seul décideur sur les questions stratégiques (l’international, la sécurité et l’économie).
– Bipolarisation –
Cinq ans au pouvoir n’ont donc pas émoussé la popularité du PJD. Avec un bilan en demi-teinte, ce parti organisé comme à la caserne, accusé par ses détracteurs de dissimuler un agenda islamiste dur, s’est bien gardé jusqu’à présent de légiférer sur les moeurs, et a cantonné son action à la sphère économique et sociale, sur un mode plutôt libéral et dans un contexte difficile.
Vendredi soir, le Premier ministre et secrétaire général du PJD, Abdelilah Benkirane, venu rencontrer les militants au siège de son parti à Rabat, a salué « un jour de joie et d’allégresse pour les Marocains ».
« Malgré les manigances de certains, le peuple a voté en masse pour le parti. (…) Nos résultats sont excellents », s’est-t-il félicité.
En fin d’après-midi, le PJD avait demandé « l’intervention urgente » du ministère de l’Intérieur pour faire cesser les « abus » par des fonctionnaires de ce même ministère qui ont selon lui entaché le scrutin et visaient à favoriser le PAM.
Le ministre Hassad a rejeté ses critiques et salué le « bon déroulement » de ce scrutin « transparent », qui s’est tenu conformément aux « directives de neutralité » du roi Mohammed VI.
Ces critiques sont le dernier épisode d’un long bras de fer qui a alimenté la polémique ces dernières semaines, le PJD accusant l’Intérieur, puissant ministère régalien avec un technocrate à sa tête, de partialité et d’agissements en sous-main en faveur du PAM – tout en se gardant bien de prendre de front le palais royal.
De son côté, le PAM a indiqué avoir « soumis une cinquantaine de plaintes » sur des irrégularités, beaucoup visant le PJD. Il s’est dit cependant « très satisfait du résultat » du vote.
Ces législatives consacrent la bipolarisation politique du pays -selon l’expression locale-, au détriment des autres partis.
Selon la Constitution, le roi nomme le Premier ministre au sein du parti arrivé en tête des élections. Ce qui signifie logiquement que le Premier ministre Benkirane devrait être reconduit à son poste.
PAM et PJD ont d’ores et déjà exclu toute alliance commune dans un futur gouvernement. Le PJD devra donc nouer plusieurs alliances pour former le prochain gouvernement. C’est déjà le cas pour sa majorité sortante, qui compte des communistes, des libéraux et des conservateurs.
© AFP FADEL SENNA
Le Premier ministre marocain, et secrétaire général du parti islamiste PJD, Abdelilah Benkirane (C), parle lors d’une conférence de presse après l’annonce des premiers résultats