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Matari’i i ni’a contre Black Friday : le nouveau jour férié fait débat au Cesec


Le Cesec étudiait ce matin le projet d’intégration, dès 2025, des célébrations de la saison de l’abondance dans la liste des jours fériés, en remplacement du 29 juin. Si l’idée d’une officialisation de cette fête traditionnelle fait l’unanimité, sa date, fixéE au « dernier vendredi » de novembre, plutôt que le 20 novembre, fait débat. La « date flottante » tombe en plein Black Friday, et elle est jugée contre-nature par les associations culturelles. Certains syndicats sont même opposés à l’idée même d’un changement de jour férié qui va obliger à renégocier une dizaine de conventions collectives, quand le patronat demande une année de « transition » pour s’adapter.

Pas d’accueil festif au Cesec pour le projet de loi sur Matarii i ni’a. Un texte annoncé depuis avril dernier et un vote du Conseil des ministres pour faire de la célébration traditionnelle du lever des Pléiades un jour férié en lieu et place du 29 juin. Sur le principe, le Conseil consultatif se dit tout à fait favorable au projet de « consacrer » ce passage à la saison de l’abondance « en tant qu’évènement culturel majeur pour la Polynésie ».

Il y a bien quelques débats sur la suppression de la fête de l’Autonomie – une « décision purement politique » pour de nombreux conseillers et qui appelle « davantage de consultations » pour le Cesec – mais c’est avant tout le choix de la date qui coince. Alors que le conseil des ministres avait parlé, dans la lignée des travaux préparatoires menés par Éliane Tevahitua auprès d’experts maoris, de fixer cette célébration au 20 novembre, le projet de loi veut inscrire dans la liste des jours fériés du Code du Travail le « dernier vendredi du mois de novembre ». Ce qui correspondait au 29 novembre en 2024, et qui tombera sur le 28 novembre en 2025, première année d’application officielle d’après le projet de texte.

« Ce n’est pas nous qui décidons, c’est le ciel, c’est la nature »

Et le moins qu’on puisse dire, c’est que cette solution, mise sur la table par le ministère du Travail de Vannina Crolas, et qui permet d’assurer aux salariés un weekend de trois jours chaque année, et de prévoir des évènements de plus grande ampleur, ne convient pas à tout le monde. Il y a ceux, côté patronal, qui mettent en avant les « difficultés logistiques et administratives » liées aux « dates flottantes », dans la gestion des ressources humaines notamment. Un férié systématique le vendredi aurait des conséquences « en termes d’absentéisme le samedi dans les secteurs actifs ce jour-là ». Et le dernier vendredi du mois de novembre tombe mal : « l’opération commerciale internationale du Black Friday » y est déjà ancrée, et constitue même, depuis quelques temps, un des pics d’activité annuelle dans les boutiques polynésiennes. Certains conseillers se sont étonnés que les discussions sur « un moment aussi important culturellement que Matari’i i ni’a » soit mis dans la balance face à ces soldes made in USA. Les représentants patronaux répondent qu’il serait justement dommage de priver tous les salariés du commerce de ce jour férié important parce qu’il tombe systématiquement « sur un jour où il faut absolument travailler ».

Les rapporteurs de l’avis mettent surtout en avant l’opposition l’opposition du monde culturel à la date retenue. « Ça n’a pas de sens, c’est illogique (…). C’est comme si on demandait à repousser le 1er de l’An, mais dans le calendrier ma’ohi », insiste Yves Doudoute, figure de Haururu, qui a aidé à remettre au goût du jour les cérémonies traditionnelles dans la vallée de Papenoo. Le responsable associatif n’est pas membre du Cesec, mais il a été consulté par sa commission – à défaut de l’avoir été par le gouvernement – et il avait fait le déplacement ce lundi pour s’assurer que les débats prennent bien en compte cette « critique importante » du texte. Ce qui a été le cas. Traditionnellement, « c’est autour du 20 novembre qu’il y avait ce changement de période : Matari’i i ni’a, c’est un marqueur de temps, et on ne peut pas changer un marqueur de temps. Ce n’est pas nous qui décidons, c’est le ciel, c’est la nature, reprend Yves Doudoute, qui n’insiste pas pour que le jour soit « férié et chômé », mais qui tient à ce qu’il soit célébré et qu’on lui donne officiellement « tout le sens qui est le sien ». On n’a pas compris que le temps et l’espace est fondamental. Si on ne maitrise pas ça, il y a beaucoup de choses qu’on ne maîtrise pas dans la société. C’est peut-être un de nos problèmes ».

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« Nous mettre nous en porte-à-faux, nous opposer syndicats et patronat, je ne suis pas d’accord »

L’autre problème est beaucoup plus pratique. Comme cela avait été relevé début novembre en « bipartite », le remplacement d’un jour férié par un autre dans la liste du Code du travail risque de créer des inégalités de traitement entre les secteurs. Et pour une raison simple : hormis le 1er mai, « férié et chômé » pour tout le monde, ce sont les conventions collectives de branche qui fixent la liste des jours fériés qui font effectivement l’objet d’un traitement particulier pour les salariés de chaque secteur. Or le gouvernement le précise lui-même dans son rapport : seules certaines conventions appliqueront le changement de jours fériés de plein droit puisqu’elles font référence au Code du Travail.

C’est le cas dans les assurances, la banque, le gardiennage, l’industrie, ou de l’enseignement privé. Beaucoup d’autres secteurs nécessitent une modification des conventions, soit pour éviter un jour chômé supplémentaire (hôtellerie et restauration ne prévoient pas le 29 juin, le nettoyage, manutention portuaire, et les hydrocarbures le prévoient mais intègrent automatiquement les nouveaux ajours du Code du travail), soit parce que les textes sociaux prévoient une liste indépendante du Code du travail (commerce, communication, aérien local). Des « disparités » très problématiques, autant pour le patronat que pour les syndicats de salariés. « Changer une convention collective, c’est a minima six mois, il faut prendre des juristes, c’est un gros travail, note Christophe Plée, de la CPME. Le Cesec prévoit une transition pour l’année 2025 pour une application plus sur l’année 2026″. 

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Les représentants des syndicats vont même plus loin, en demandant pour certains – c’est le cas notamment de Lucie Tiffenat – d’abandonner l’idée d’un jour « férié et chômé », et ainsi de ne pas obliger les partenaires sociaux à renégocier les conventions. « Nous mettre nous en porte-à-faux, nous opposer syndicats et patronat, je ne suis pas d’accord, lance la cheffe de file d’Otahi. On a déjà beaucoup de sujets de conflit à l’heure actuelle, on ne va pas en rajouter un autre ».

Le Cesec a donc – chose plutôt rare, et plutôt acrobatique du point de vue statutaire – organisé deux votes sur le projet de rapport. Le premier, unanime, pour soutenir la démarche de célébration officielle de Matari’i i ni’a lancée par le gouvernement. Le second, pour lequel 14 conseillers, principalement chez les représentants des salariés, ont choisi de s’abstenir, pour s’exprimer en défaveur de l’instauration d’un jour férié le dernier vendredi du mois de novembre. Difficile de dire que les préconisations du conseil soient limpides en l’état, mais l’exécutif est quoiqu’il arrive invité à revoir un texte qui fera probablement encore débat à Tarahoi.