INTERNATIONALSOCIÉTÉ Médecin étranger : « un jour, on m’a demandé de faire des photocopies » Laurent Bitouzet 2014-09-15 15 Sep 2014 Laurent Bitouzet © MAXPPP © MAXPPP TÉMOIGNAGE- Le rôle clef, mais non reconnu, joué par les médecins étrangers dans les hôpitaux publics français est au cœur du film Hippocrate. Redha Souilamas a été l’un d’eux. © EUROPE1 « La France est en plein délire ». Le jugement de Redha Souilamas, Professeur à l’Hôpital Erasme de l’Université Libre de Bruxelles (ULB), sur la condition des médecins étrangers dans notre système de santé est implacable. Après une carrière semée d’embûches en France, à cause – il en est convaincu – de son origine algérienne, la reconnaissance est venue de l’étranger : aujourd’hui, l’éminent chirurgien s’apprête à quitter la Belgique pour les Etats-Unis. Cette histoire faite d’excellence en chirurgie et mais aussi de vexations et d’injustices, Redha Souilamas l’a raconté dans un livre, La Couleur du bistouri. Elle fait écho à celle du personnage d’Abdel, le médecin d’origine algérienne du film Hippocrate sorti début septembre.Ces « médecins à diplôme étranger », formés à la médecine dans leur pays d’origine, font tourner l’hôpital public… qui ne le leur rend pas. C’est en tout cas l’expérience de Redha Souilamas. A LIRE AUSSI >> Médecins étrangers, la béquille de la France L’expérience, les connaissances… mais pas le salaire. Titulaire d’un doctorat en médecine de la Faculté d’Alger, Redha Souilamas a connu, à l’instar du médecin étranger d’Hippocrate, le statut de « FFI », c’est-à-dire de « Faisant Fonction d’Interne ». Une « astuce » qui permet aux diplômés étrangers qui ont terminé leurs études dans leur pays d’origine d’accéder à l’internat en France. « On a l’expérience, on a les connaissances et former les internes fait implicitement partie du boulot », explique t-il. Le problème ? L’absence de reconnaissance par l’institution : les FFI sont moins bien payés que les internes, moins même que les aides-soignantes. L’origine étrangère de Redha Souilamas suscite les préjugés de certains collègues. « J’étais déjà praticien hospitalier lorsqu’un subalterne m’a demandé d’aller lui faire des photocopies », raconte-t-il encore soufflé des années après. A LIRE AUSSI >> Hippocrate : qu’en pensent les internes en médecine ? « Vous devriez vous estimer heureux ». Devenu chirurgien thoracique, Redha Souilamas devient rapidement un spécialiste de la greffe pulmonaire. Mais dans les yeux des autres, il sent qu’il a toujours un « bracelet électronique », comme il dit. « Ceux que j’ai formé sont devenus professeurs, il y a dix ans », dit t-il. Lui, n’a jamais accédé à ce graal, cette « carotte universitaire ». Avec ses nombreuses publications scientifiques et la première mondiale qu’il réalise en 2003 en réalisant une couveuse à organes, Redha Souilamas a pourtant la stature pour enseigner et faire de la recherche. Mais il se heurte à un plafond de verre : « vous devriez vous estimer heureux », lui répète-t-on régulièrement dans les jurys. Et puis, il y a ce doyen qui lui lance « nous vous devons une nomination de professeur » avant de laisser entendre que « ce sera compliqué » du fait de son patronyme algérien. « C’est comme pour un mariage, il faut que les deux parties soient d’accord », ose même l’universitaire. « Attention, personne ne m’a traité de ‘sale arabe’ mais tout le temps, à tous les niveaux, il y a un système d’exclusion », analyse Redha Souilamas qui parle de « réseaux » et de « racisme social ». Lui qui n’a jamais été nommé professeur ou chef de service en France, accédera à ce rang en quittant l’Hexagone. Nommé Professeur à l’Hôpital Erasme de l’Université Libre de Bruxelles (ULB), la direction de l’établissement n’en revient pas que l’Hôpital Georges Pompidou laissiez partir ce chirurgien bardé de diplômes et qui dispose d’une expertise rare en transplantation pulmonaire. « Que ma fille ne vive pas cela ». L’amertume, la colère, le sentiment d’injustice, Redha Souilamas assure que tout cela est derrière lui. Ecœuré, il a pourtant envisagé il y a quelques années de renoncer à la nationalité française. S’il n’est pas allé jusque là, c’est pour sa famille. Alors qu’il s’apprête à partir travailler aux Etats-Unis, il fait mine de s’interroger : « soit la France a raison, et je suis un imposteur et les Belges et les Américains sont bêtes, soit on a un problème en France ». Et celui qui a « beaucoup donné » à l’hôpital public de s’interroger sur cette société française qui accepte mieux les footballeurs et les comiques d’origine maghrébine que les grands scientifiques. A 58 ans, Redha Souilamas a tout de même un espoir : « J’ai une fille qui étudie la médecine à Paris. J’espère qu’elle ne vivra pas ce que j’ai vécu ». Source : Europe1 Cliquez pour partager sur Facebook(ouvre dans une nouvelle fenêtre)Cliquez pour partager sur Twitter(ouvre dans une nouvelle fenêtre)Cliquez pour partager sur LinkedIn(ouvre dans une nouvelle fenêtre)Cliquer pour imprimer(ouvre dans une nouvelle fenêtre)