Lors de sa visite à Moruroa, samedi, Moetai Brotherson s’est ému de l’escalade verbale actuelle autour de l’invasion russe de l’Ukraine. Le président espère que les dirigeants mondiaux seront « plus sages » que certains de leurs prédécesseurs sur l’utilisation de l’arme atomique. Et que des soldats français, dont des Polynésiens, ne seront pas « envoyés comme chair à canon en Ukraine ».
À Moruroa, il n’a pas été seulement question des essais, ce weekend. Dans son discours prononcé à l’occasion de la cérémonie d’hommage aux travailleurs du CEP, le contre-amiral Geoffroy d’Andigné a estimé que la dissuasion nucléaire française, acquise, justement, grâce aux expérimentations de Moruroa et Fangataufa, avait offert « à la France et aux Polynésiens 70 ans de paix ». Elle continuerait même aujourd’hui, au travers du « statut même de puissance nucléaire » de la France, d’aider à « défendre au quotidien les intérêts des Polynésiens et des Français ». Cette dissuasion, a ajouté le commandant supérieur des forces armées du Pacifique, a d’autant plus de sens dans le contexte actuel de « risque et prolifération » du côté de la Corée du Nord, et surtout de hausse des tensions autour de l’Ukraine.
« La dissuasion nucléaire, ça fonctionne jusqu’à un certain point »
« L’existence d’une dissuasion nucléaire, ça fonctionne jusqu’à un certain point », a répondu, plus tard dans la journée, Moetai Brotherson. Lors de la cérémonie, devant un des imposants bunkers de Moruroa, le président polynésien avait lui aussi fait le constat de ces hausses de tensions internationales. Mais sans considérer que la puissance nucléaire de la France ou d’une autre nation la protège complètement. « On a vu des pays dotés de l’arme nucléaire se faire envahir par des troupes à pied » précise-t-il, notant que les conflits modernes se faisaient « sans lignes de front » et « avec des organisations non-étatiques, qui ne respectent aucun droit », comme le groupe russe Wagner. Mais c’est surtout l’agitation permanente de la menace nucléaire dans ce dossier qui inquiète le chef du gouvernement polynésien.
Dès les premiers jours de l’invasion par la Russie de son voisin ukrainien, début 2022, le président Vladimir Poutine avait promis, aux pays qui « tenteraient d’interférer », « des conséquences qu’ils n’ont encore jamais connues ». « L’Alliance atlantique est aussi une alliance nucléaire » avait immédiatement répondu le ministre français des affaires étrangères d’alors, Jean-Yves Le Drian. D’autres menaces ont été proférées, ces deux dernières années, notamment par la Russie à chaque débat occidental sur le soutien au gouvernement de Kiev et à son armée de résistance à l’invasion. Le New York Times a même révélé, il y a quelques jours, que la Maison Blanche était restée en « en état d’alerte pendant plusieurs semaines » en octobre 2022. Les équipes de Joe Biden considéraient alors qu’il existait, pour la première fois depuis la crise des missiles de Cuba en 1962, une « menace tangible d’utilisation d’une arme nucléaire » par le Kremlin.
Appel à la sagesse
Plus récemment, Emmanuel Macron a provoqué la stupeur, en expliquant, dans un contexte de regain de tension sur le front ukrainien, mais aussi d’approche des élections européennes, que l’envoi de troupes françaises au sol en Ukraine n’était « pas exclu ». Une déclaration ensuite tempérée par son ministre des Armées Sébastien Lecornu, par plusieurs alliés de la France, par le chef de l’État lui-même, et même par le président ukrainien Volodymyr Zelensky : « Vos enfants ne vont pas mourir en Ukraine » a-t-il dit en français, lundi, dans un entretien au Monde et à BFMTV. Mais la sortie du président de la République a tout de même provoqué de l’émoi jusqu’au fenua. « Ça m’inquiète beaucoup plus d’autant que nous avons énormément de jeunes Polynésiens dans des unités non administratives de l’armée française, a rappelé Moetai Brotherson, et je ne voudrais pas voir des jeunes Polynésiens envoyés comme chair à canon en Ukraine. »
Visiblement le Kremlin non plus ne veut pas voir de troupes occidentales en Ukraine. En fin de semaine dernière, Vladimir Poutine s’est adressée à tous les pays européens, le 29 février, deux jours après les déclarations d’Emmanuel Macron, dans un discours à la nation russe. « Nous avons aussi des armes capables d’atteindre des cibles sur votre territoire » a-t-il précisé, agitant une fois de plus la menace nucléaire en cas d’implication trop directe de l’Otan dans le conflit. « Quand on représente une puissance nucléaire dotée, on n’a pas le droit d’être irresponsable et de jouer l’escalade », a commenté, en retour, le ministre des Armées Sébastien Lecornu. Moetai Brotherson, lui, dit espérer, que les dirigeants mondiaux se montreront « plus sages » que certains de leurs prédécesseurs quand il s’agira d’entrer en guerre. Ou d’utiliser ces armes testées en Polynésie et qui n’ont plus servi dans une guerre depuis 79 ans.