Radio1 Tahiti

Mesurer l’action gouvernementale : le casse-tête

©Louis Dessonnet/Radio1

Suite de notre série sur le rapport 2019 du président du Pays à l’Assemblée de Polynésie française avec l’étude du tome I de 362 pages relatif au rapport annuel de performance (RAP). Un document austère qui constitue une sorte de bilan gouvernemental « au regard des objectifs et des indicateurs de performance fixés ».

Lancé depuis 2016 dans une démarche de mesure de la performance des services et établissements territoriaux, sur le modèle de ce qui se fait en métropole, le gouvernement s’est évertué à fixer des indicateurs qui peuvent concerner plusieurs aspects de son action, de la formation professionnelle à l’inventaire des ressources minières, en passant par le nombre de centres artisanaux construits. Dans le maquis des indicateurs ainsi mis en place pour chacune des missions gouvernementales, certains paraissent moins évidents à calculer et à comprendre.

Des indicateurs plus quantitatifs que qualitatifs

Difficile parfois de mesurer la qualité de l’action rendue autrement que par des chiffres. L’utilisation de chiffres ou de taux peut cependant laisser perplexe le citoyen. Ainsi, la conservation du patrimoine polynésien ne passe pas par la qualité des fonds documentaires collectés (photos, archives, intérêt historique ….) mais s’apprécie par le « volume d’archives conservés en mètre linéaire ». La préservation de la mémoire polynésienne se calcule donc au mètre, elle aurait pu l’être au kilo.

Idem dans le domaine de la Santé avec la volonté du gouvernement d’ « adapter l’offre de soins aux besoins » en calculant pour ce faire le « nombre de lois du Pays rédigées ». La pertinence de leur contenu pour améliorer l’accès aux soins et le fait qu’elles soient au final adoptées ou non par l’assemblée territoriale importent peu ici.

Dans l’objectif de « développer l’offre de transports en commun afin de mieux répondre aux besoins de déplacement de la population », le Pays avait pris soin de définir un indicateur de ponctualité des services réguliers et scolaires. Ambitieuse initiative, ce taux n’a jamais été calculé depuis 2016, de même que celui de « mise en service de transports réguliers et scolaires ‘conformes’ [NDLR : entre guillemets dans le texte] ». Tout juste peut-on apprécier l’objectif en 2019 de mettre en circulation 90% de bus « conformes », à savoir respectant les prescriptions réglementaires en la matière. Des chiffres, non connus ou n’atteignant pas les 100%, qui ne sont pas de nature à rassurer les habitués du réseau de bus.

Bientôt un indice « collier de fleurs » ?

Si le mètre linéaire peut apparaître comme une unité incongrue dans le domaine du patrimoine, en matière de réalisation de travaux routiers, il peut y trouver de la pertinence. L’objectif de « modernisation du réseau routier de l’archipel de la Société » passe par le calcul du « pourcentage de chaussées en très bon état par rapport au linéaire total de réseau routier ». Les usagers de la route seront ainsi heureux et peut-être surpris d’apprendre que près de 85% des routes dans l’agglomération de Papeete sont en « très bon état » et 82% dans le reste de l’ile de Tahiti. Un taux qui devrait, en théorie mais pas en pratique, ne pas générer trop de marchés publics dans ce domaine.

L’objectif d’ « amélioration du service public dans les archipels » s’apprécie notamment par « la représentation du gouvernement aux cérémonies officielles » à partir d’un indicateur « calculé à partir de la confirmation orale de la participation du Tavana hau ou de son représentant à la cérémonie ».

Enfin, dans le domaine du logement social, où la politique inefficace et le fonctionnement déficient de l’OPH ont été récemment pointés du doigt par la chambre territoriale des comptes, le citoyen aurait pu légitimement imaginer un indicateur sur l’augmentation du nombre de logements sociaux réalisés ou encore sur la réduction du délai d’attente des demandeurs, d’autant que le rapport rappelle que « l’OPH possède de véritables atouts (…) pour accompagner à la fois les ambitions du gouvernement et la demande toujours criante en matière d’offre en logements ». Or, le Pays a préféré apprécier sa politique en matière d’habitat social en recensant le « nombre de cérémonies de remise de clés OPH et représentation du ministre en charge du logement  ». Un indicateur qui pourrait peut être s’affiner en calculant le nombre de colliers de fleurs reçus à ces occasions.