Chaque année au fenua, plus de 2000 mineurs sont suivis pour des carences de traitement ou des violences intrafamiliales. Un chiffre alarmant, en hausse de 150 % sur les 15 dernières années, et qui dépasse les moyennes relevées dans l’Hexagone. D’après l’Association polyvalente d’actions sociojudiciaires (Apaj), qui organise cette semaine une série de conférences et de formations destinées aux professionnels, l’enjeu est de pouvoir proposer aux victimes mineures mais aussi aux auteurs de ces violences un meilleur suivi. L’idée est aussi de mieux réprimer ces faits : le procureur général a annoncé la création d’un bureau des enquêtes spécifique aux violences sexuelles sur mineur.
« Violences et mineurs ». C’est la thématique retenue par l’Apaj qui réunit depuis ce matin les professionnels de la justice, les services sociaux et les personnels de santé locaux pour la quatrième édition des Assises de l’aide aux victimes et de la prévention de la délinquance. Un sujet qui a du sens puisque ces dernières années le nombre de mineurs suivis par les affaires sociales a considérablement augmenté, passant de 800 en 2007 à plus de 2000 aujourd’hui.
Pour en discuter, des experts métropolitains ont été invités. Parmi eux une magistrate de la cour d’assises de Tours, des représentants de la Ciivise(Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants); des spécialistes des centres des ressources pour intervenants auprès des auteurs de violences sexuelles… Tous sont au fenua pour partager leur expérience avec les professionnels locaux. L’objectif : s’inspirer des pratiques efficaces ailleurs tout en les adaptant à la réalité polynésienne.
Casser le cycle de la violence
Pour Cécile Moreau, directrice de l’APAJ, la hausse des cas signalés ne signifie pas forcément que les violences augmentent, mais qu’elles sont davantage révélées grâce à des efforts de sensibilisation qui permettent de faire connaitre, dans les établissements scolaires notamment, les mécanismes d’alerte. Les autorités en distinguent deux types : les signalements d’infractions pénales avérées, qui remonte directement vers le parquet, et les informations préoccupantes (IP), remontées par les enseignants, les éducateurs, infirmier ou tout autre encadrant en contact avec les mineurs, qui détectent des situations à risques nécessitant un suivi attentif.
« Il est difficile de dire s’il y a plus de violences ou simplement plus de révélations », confie la directrice qui, au delà des chiffres, insiste sur l’importance de briser la spirale de la violence. Selon elle, tout se joue dans la prise en charge : « 80 à 90 % des mineurs ne deviendront pas des auteurs s’ils bénéficient d’un accompagnement adapté : thérapie, soutien familial et environnement stable. Mais aujourd’hui, un des plus grands obstacles, c’est que les parents eux-mêmes ne soutiennent pas toujours leurs enfants victimes. »
Il faut dire que dans la vaste majorité des cas, ces violences sont intrafamiliales et proviennent des parents eux-mêmes ou d’adultes qui leur sont proches. Ce sur quoi insistent les spécialistes c’est que ces derniers n’ont « pas forcément conscience » de l’impact ou de la gravité de leurs actes. D’où la nécessité d’une double prise en charge : celle des victimes, mais aussi celle des auteurs. « Les mineurs cherchent souvent l’attention et l’affection de leurs parents, même lorsqu’ils sont victimes, reprend Cécile Moreau. En Polynésie, ce besoin d’appartenance à une famille est encore plus marqué. Les enfants veulent faire partie d’une famille pour se retrouver le dimanche… faire partie d’un tout. C’est très important, peut-être plus encore que dans un monde plus occidental comme en France métropolitaine, aux États-Unis ou en Europe . »
Un bureau des enquêtes spécifique aux violences sexuelles sur mineur
Raison de plus pour se rappeler que la construction de la personnalité d’un adulte dépend étroitement du milieu dans lequel il a grandi. Un contexte familial que l’enfant ne choisit pas, mais qui peut être déterminant dans son développement. Au-delà du suivi judiciaire et psychologique, l’APAJ insiste sur l’éducation, la sensibilisation et l’accompagnement global qui doivent passer par des thérapies adaptées, un soutien renforcé pour les familles et la formation des intervenants locaux.
Les experts métropolitains et locaux vont donc travailler pendant une semaine sur une meilleure prévention et une prise en charge « holistique », pour faire en sorte que les jeunes victimes ne deviennent, à leur tour, des auteurs de violence. À noter enfin que la majorité des cas impliquant les mineurs concernent des violences sexuelles. Le Procureur général auprès de la cour d’appel de Papeete, Frédéric Benet-Chambellan a d’ailleurs confié dans un discours prononcé à l’ouverture des assises qu’un bureau des enquêtes spécifiquement dédié au sujet sera mis en place.