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Moetai Brotherson fait la promotion du jeûne face caméra… et dans la loi

Le président du Pays fait partie des intervenants d’un documentaire sur le jeûne qui doit être diffusé sur une chaîne nationale. Une pratique occasionnelle et un axe récurrent de communication pour Moetai Brotherson, comme pour Oscar Temaru. Mais cet attachement au jeûne a aussi eu une traduction légale : depuis août dernier, le Schéma d’organisation sanitaire de la Polynésie le cite comme un outil de prévention au même titre que l’activité sportive. Côté médical, on rappelle que tout est question de priorité : mieux vaut apprendre à mieux manger que d’arrêter de le faire, même de façon intermittente. 

Ça tourne, pour Moetai Brotherson. Jeudi, dans les jardins de la présidence, le chef du gouvernement s’est prêté, face caméra, au jeu des questions-réponses pour la réalisatrice Sylvie Gilman. Avec Thierry de Lestrade elle est l’auteur d’un documentaire à succès diffusé sur Arte à partir de 2012 et plusieurs fois reprogrammé. Un film intitulé « Le jeûne, une nouvelle thérapie ? » que Sylvie Gilman a déjà exporté en librairie et auquel elle veut désormais offrir une suite, toujours pour la chaîne franco-allemande. L’idée est donc d’aller à la rencontre de médecins faisant la promotion des jeûnes thérapeutiques, de chercheurs menant des études sur le sujet… Et donc de Moetai Brotherson.

Le jeûne officiellement conseillé

Une sollicitation qui n’est pas seulement due à la pratique occasionnelle du jeûne par le président, qui expliquait par exemple, en début d’année, n’avoir pas mangé « depuis six jours » lors de la présentation de ses vœux à la presse. Pas seulement due, non plus, au fait qu’il soit un défenseur public de la pratique, comme d’ailleurs Oscar Temaru, qui ne manque pas une occasion d’appeler les Polynésiens à s’y essayer. Moetai Brotherson avait par exemple fait venir à la présidence, début décembre, en marge du colloque sur la médecine intégrative polynésienne, le docteur Jacques Rouillier, de « L’académie médicale du jeûne de France ». Une rencontre à laquelle était d’ailleurs aussi conviée le maire de Faa’a, le ministre de la Santé ainsi qu’une naturopathe, et qui avait été l’occasion d’appuyer sur « les effets de cette pratique sur les maladies de civilisation ». Mais si les documentaristes se sont intéressés à l’élu indépendantiste, c’est aussi parce qu’il a fait rentrer, avec son exécutif, le jeûne dans les textes officiels.

Depuis l’année dernière, en effet, le  Schéma d’organisation sanitaire de la Polynésie promeut le jeûne temporaire ou intermittent, comme un outil de prévention, « au même titre que l’activité sportive ». Et si le texte, paru au journal officiel le 8 août 2023, précise bien que la pratique « n’est pas considérée à ce jour comme un acte thérapeutique au sens médical », il lui attribue des bienfaits « notoires » sur le « système immunitaire, le poids, le renouvellement cellulaire ou le système nerveux ».

Des bienfaits, mais pas seulement

Un texte qui n’a, à ce jour, pas fait réagir dans la communauté médicale polynésienne. En métropole, pourtant, la mode des jeûnes, parfois extrêmes et vantés notamment par des pourfendeurs de la « médecine conventionnelle » ou des influenceurs sur les réseaux sociaux, a engendré beaucoup de débat chez les professionnels de santé. Bon nombre d’entre eux ont interpellé sur les dangers de la pratique si elle est mal encadrée. Le Schéma d’organisation sanitaire prend, de ce côté, quelques pincettes. Les « impératifs d’encadrements » du jeûne sont certes considérés comme « faibles » par le texte, mais seulement « lorsqu’il est pratiqué sérieusement, de manière éclairée, par une personne en bonne santé » et « à moins d’une réelle contre-indication par le médecin traitant ».

Des chroniques, tribunes et interventions médiatiques se sont aussi multipliés ces dernières années dans le corps médical national pour nuancer les bienfaits du jeûne, souvent exagérés par ses promoteurs. Des bienfaits, dans la prévention ou la lutte contre certaines pathologies, sont toutefois bien attestés par certaines études. Et comme le pointe la présidence « de nombreux autre essais cliniques sont en cours dans le monde ». Mais attention, il n’y a pas un jeûne mais des jeûnes : hydriques, secs, complet ou intermittents, les plus étudiés… Dans un article de synthèse parue l’année dernière la Revue du Praticien pointait que la documentation scientifique actuelle est contradictoire sur l’intérêt des jeûnes sur « l’amélioration des facteurs de risque cardiométaboliques ». Quant à leurs effets sur la perte de poids, ils sont avérés, pour certains types de jeunes et à court terme. Mais leurs résultats ne serait pas supérieurs au long terme, « à celle obtenue avec les régimes plus classiques de restriction calorique quotidienne ».

Question de priorité

Si la question ne soulève pas de grand débat aujourd’hui au fenua, certains médecins s’interrogent sur l’opportunité, vu l’état sanitaire général de la population Polynésienne, de mettre en avant cette pratique. « Réapprendre aux gens à manger correctement me parait plus important que de leur apprendre à ne pas manger, même de façon intermittente », résume le Dr Didier Bondoux. Le président du syndicat des médecins libéraux appelle de ses vœux davantage de sensibilisation sur les quantités et les portions de nourriture consommées au fenua.