ACTUS LOCALESJUSTICE Moorea : petits arrangements entre amis à la subdivision de l’Équipement Pascal Bastianaggi 2020-09-15 15 Sep 2020 Pascal Bastianaggi Mickaël Vana’a, ancien chef de la subdivision de l’Équipement à Moorea est poursuivi, ainsi que neuf autres prévenus, dans une affaire de favoritisme portant sur l’octroi de marchés publics, et pour avoir détourné 90 millions Fcfp de fonds publics entre 2013 et 2016. Il risque 4 ans de prison dont deux avec sursis, assortis d’un mandat de dépôt. Une représentante Tahoeraa à l’assemblée et le directeur du port autonome risquent des peines de sursis. Mickaël Vana’a, ancien chef de la subdivision l’Équipement de Moorea, avait mis au point un système d’avoirs : il émettait de faux bons de commande d’agrégats, qui donnaient lieu à de fausses factures rédigées par des entrepreneurs mis dans la combine. Cet argent versé par l’Équipement aux entrepreneurs constituait alors une sorte de trésor de guerre, de cagnotte, grâce à laquelle Mickael Vana’a arrondissait ses fins de mois. Une fois par semaine, il se faisait remettre par les entrepreneurs des enveloppes d’argent liquide, parfois du matériel et des matériaux pour des fins personnelles. Les entrepreneurs assurent qu’ils n’avaient pas le choix : ils marchaient dans la combine, ou ils ne bénéficieraient plus de marchés publics. En général, des sommes de 75 000 Fcfp par semaine, mais parfois beaucoup plus, jusqu’à 200 000 Fcfp. Afin que cette combine ne remonte pas jusqu’aux oreilles de la direction de l’Équipement à Tahiti, les bons de commande ne dépassait pas un million Fcfp, de façon à être traités en interne à la subdivision de l’Équipement à Moorea. Au-delà, les bons de commandes et les factures auraient dû être validés et contrôlés par la direction de l’Équipement, soit par Jean-Paul Le Caill. C’est d’ailleurs lui qui a signalé ces agissements en 2016. À noter qu’il est poursuivi pour négligence, les faits ayant perduré pendant trois ans, de 2013 à 2016, sous sa direction. Une cagnotte estimée à 90 millions Fcfp L’argent de la cagnotte, selon les gendarmes, se monterait à 90 millions, montant total des sommes détournées entre 2013 et 2016; et qui aurait été entreposées dans un coffre chez Moana Friedman dont la famille possède deux entreprises. Mis au courant que la gendarmerie envisageait une perquisition, la nièce de Moana Friedman, gérante de paille d’une des deux sociétés, appelle sa tante Vaiata Friedman, accessoirement représentante Tahoeraa à l’assemblée, pour avoir la combinaison du coffre. Celle-ci lui donne, lui dit de mettre l’argent dans un gros sac qu’elle devra remettre au voisin (qui n’est autre que le frère de Moana Friedman), et aussi de laisser un peu d’argent dans le coffre, histoire que les gendarmes trouvent quelque chose. Interrogée à la barre, Vaiata Friedman a nié être au courant du système mis au point par Mickaël Vana’a, expliquant que c’étaient les économies de toute une vie qui était dans le coffre et qu’elle ne voulait pas que les gendarmes les saisissent. Mais les écoutes révèlent qu’une conversation avec son oncle indique qu’elle était inquiète concernant des facturations d’agrégats. Sommée par le juge de s’expliquer, elle raconte : « comme toutes les entreprises de Moorea qui travaillent avec l’Équipement, à chaque fin d’année on donne une enveloppe afin de payer le repas de fin d’année aux employés de l’Équipement, et j’étais inquiète pour cela. » Le juge, petit sourire aux lèvres, lui rétorque « madame, si on était en Finlande je ne doute pas que les autorités judiciaires lancent une perquisition pour une enveloppe de 20 000 Fcfp, mais pas ici en Polynésie… » « On était obligé de se plier à ses magouilles » « On était obligé de se plier à ses magouilles car Mickaël Vana’a nous disait que l’on aurait plus de commandes publiques si on ne le faisait pas. » voilà en gros l’argument mis en avant par Moana Friedman pour justifier le fait que les quatre entreprises mises en cause ont fermé les yeux sur ses agissements. D’autres pratiques tout aussi discutables ont été révélées, comme celle qui consistait à stocker chez les entrepreneurs du gas-oil appartement à l’Equipement, stock dans lequel tout le monde pouvait aller se servir. À la barre, seul Moana Friedman a reconnu les faits, les autres préférant botter en touche et revenir sur leur déposition, déclarant ne pas être au courant des enveloppes, si ce n’est celle « traditionnelle » de fin d’année permettant aux employés de l’Équipement de se payer un « gueuleton ». La femme d’un des entrepreneurs, qui officiait comme comptable, a même précisé que « la seule enveloppe que je lui ai donnée, c’est quand son logement de fonction a brûlé, et comme je suis une chrétienne pratiquante je lui ai donné 200 000 Fcfp en espèces pour qu’il se rachète des affaires. » « Vous êtes l’Elliot Ness de l’Equipement » Pour Mickaël Vana’a, appelé à la barre, « il n’y a jamais eu de fausses factures », se gargarisant d’avoir fait stopper ces pratiques en vigueur avant son arrivée. Le témoignage de Moana Friedman : « il ment ». Les dépositions des autres personnes à la gendarmerie : « en garde à vue, les gendarmes mettent la pression, même moi parfois j’ai douté de ce que j’avais fait. » Sur le chantage aux marchés publics : « Ils mentent tous. » « Pour résumer, lui dit le juge, vous êtes l’Elliot Ness de l’Equipement. Vous étiez là pour mettre de l’ordre et les entrepreneurs vous en veulent, c’est cela ? » « Je ne sais pas, monsieur le juge. » S’il n’est pas l’Elliot Ness de l’Equipement, c’est un beau parleur qui pratique une langue de bois à faire pâlir d’envie les politiciens. Didactique quand il explique le fonctionnement de l’Équipement au juge, il le noie sous des détails techniques sans rapport direct avec les questions qui lui sont posées. Pour lui, ce qui lui vaut d’être à la barre, c’est la vengeance d’un supérieur qui à l’époque visait son poste à la subdivision de l’Équipement de Moorea, « mais c’est moi qui ai eu le poste. » « Tout le monde se sert » à l’Équipement Jean-Paul Le Caill, l’ancien directeur de l’Équipement et désormais directeur du Port autonome, explique qu’il a découvert les faits suite à des frais de déplacement sur Tahiti de quelques employés. Interrogés, ils avaient nié ces déplacements, preuve à l’appui, et les soupçons s’étaient alors portés sur Mickaël Vana’a. C’est en remontant ce fil d’Ariane qu’ont été mise à jour les pratiques douteuses du chef de l’Équipement de Moorea. Alors que Mickaël Vana’a justifiait les bons de commande d’agrégats par des travaux préparatoires à des appels d’offres, Jean-Paul Le Caill est catégorique, « ces commandes ne correspondent à rien. On ne fait pas de travaux préparatoires à des marchés publics. » Idem pour les stocks d’essence chez des entrepreneurs. Quant au libre-service dans les magasins de l’Équipement, que ce soit à Moorea ou ailleurs, Jean-Paul Le Caill reconnait : « tout le monde se sert en essence, matériel etc… Et comme tout le monde le fait, personne ne dénonce ces faits. » Et de rappeler qu’outre cette affaire, la seule à passer au tribunal, il en a dénoncé d’autres à ses supérieurs qui pour l’heure n’ont jamais fait l’objet de poursuites. Mickaël Vana’a n’a pas convaincu la procureure. Elle a requis 4 ans de prison dont deux avec sursis, avec mandat de dépôt. Contre Vaiata Friedman, deux ans de prison avec sursis et un an avec sursis contre Jean-Paul Le Caill. Le délibéré sera rendu le mardi 22 septembre. Cliquez pour partager sur Facebook(ouvre dans une nouvelle fenêtre)Cliquez pour partager sur Twitter(ouvre dans une nouvelle fenêtre)Cliquez pour partager sur LinkedIn(ouvre dans une nouvelle fenêtre)Cliquer pour imprimer(ouvre dans une nouvelle fenêtre)