La compagnie, qui après avoir visé la fin de l’année annonce désormais un décollage « début 2025 », a lancé un appel au financement participatif sur une nouvelle plateforme locale spécialisée. Il s’agit de lever auprès des Polynésiens 380 millions de francs, soit près de 80% du coût total de l’ATR 72-500 F Cargo qui servira à acheminer des produits frais dans les îles et des produits agricoles vers Tahiti. Des investissements que Motu Link Airline assure pouvoir rembourser sur 7 ans, avec des intérêts annuels d’environ 11%.
Un 72-500 blanc immaculé, sans sièges ni coffres à bagages, mais avec une grande porte « cargo », qui attend son heure dans les entrepôts d’ATR. Cet avion, ce pourrait être celui de Motu Link Airline, dont les dirigeants se sont d’ailleurs déplacés auprès du constructeur franco-italien ces derniers jours. Voilà trois ans qu’ils ont lancé ce projet de compagnie, d’abord en annonçant du low cost domestique, puis en se déportant l’année dernière, alors que la guerre Air Tahiti – Air Moana ne faisait que commencer, sur un secteur où tout est à explorer : le fret aérien interîles.
Le constat à l’origine du projet, c’est que ni les goélettes ni la soute des vols traditionnels ne répondent entièrement aux besoins des archipels. Les hôtels, pensions, magasins ou services locaux demandent depuis longtemps un meilleur approvisionnement en produits frigorifiés et en denrées fragiles ou périssables. Dans l’autre sens, les agriculteurs, pêcheurs ou artisans des îles sont intéressés par des expéditions plus rapides et plus sécurisées de leurs produits vers Tahiti. L’idée a reçu le soutien des autorités – notamment du président Moetai Brotherson qui a parlé d’un « modèle innovant » pour le développement des archipels et promis un « cadre intelligent » pour qu’il s’épanouisse – et trouvé quelques soutiens financiers. Notamment auprès des familles Salem et Lin, déjà investies dans le transport interîles au travers des Maris Stella. Mais Motu Link demande désormais aussi un soutien du public polynésien : ce premier ATR cargo, il s’agit de le « crowdfunder ».
Une opération à 737 millions qui reste à boucler
Sur les 480 millions de francs que coûte l’appareil, Motu Link veut en effet en lever, à partir du 20 novembre, 379 millions via une nouvelle plateforme locale de financement participatif, Fenua Financement (lire encadré). 80% du prix de l’appareil, donc. En ajoutant dans le calcul les frais de fonctionnement de l’avion et les frais financiers diverses, l’opération est chiffrée à 737 millions de francs, assumée pour un peu plus de la moitié par le « crowdfunding », à hauteur de 35% par les fonds propres injectés par les actionnaires (263 millions de francs) et à 13% par les emprunts bancaires (95 millions). Ces derniers ne sont visiblement pas finalisés, mais la jeune société promet « une augmentation de capital ou une injection en compte courant » d’associés pour compenser en cas « d’éventualité peu probable ou un accord ne serait pas trouvé ».
Mais les actionnaires de Motu Link promettent surtout à la compagnie un fond d’activité : « Avant même le lancement de son activité, 50% du CA prévisionnel de la première année d’exploitation est assuré via ces actionnaires armateurs, lit-on dans le dossier de financement. Cela correspond à l’équivalent de 500 tonnes par mois, et équivaut au point mort du business plan ». Un business plan qui table sur un chiffre d’affaires d’un milliard de francs la première année, et de 1,5 milliard deux ans plus tard.
Côté calendrier, la jeune société promettait un temps un décollage pour la fin d’année – et la saison des letchis, production qui aurait pu être la première à profiter du service d’un avion cargo de 8,5 tonnes de capacité. Elle parle désormais, plus raisonnablement, d’un lancement « début 2025 », avec un des trois avions qu’elle ambitionne d’acquérir « à horizon 2027 ».
Des intérêts et des risques
Le crowdfunding, ou financement participatif, n’est bien sûr pas une œuvre caritative, ni un coup rentable assuré. Les participants – petit ou gros puisque la mise de départ commence à 12 000 francs et n’a pas d’autres plafonds que celui du projet – se voient promettre un amortissement sur 90 mois (dont 6 mois de différé) avec un taux annuel d’intérêt de 11%. La dette est émise sous forme d’un emprunt obligataire, et plusieurs garanties sont apportées au projet : « une fiducie-sûreté sur les titres de la société détenant l’avion financé » et une « caution personnelle solidaire notariée » des responsables de la société, « à hauteur de 120% du capital emprunté ». Malgré tout, qui dit gain, dit risque : si Motu Link Airline ne parvient à prendre la place qu’elle souhaite sur le marché, et donc à honorer le remboursement de sa dette, les investisseurs pourraient perdre tout ou partie de leur mise.
Premier vol pour Fenua Financement Pour effectuer cette levée de fonds publics, Motu Link Airline a choisi un tout nouvel acteur du financement participatif en Polynésie, Fenua Financement. Ce tout jeune concurrent à Invest in Pacific a été lancé par Pierre Poher et Eric Fagon. Le premier avait ouvert en 2021 le cabinet le Fare de l’Epargne, avant de s’associé au second pour créer l’agence immobilière Immo The Club. Ces deux structures installées à Papeete, et qui avaient chacune identifié, chez leurs clients, des besoins de « solutions participatives », ont formé un partenariat avec une plateforme métropolitaine d’investissement en ligne, Les Entreprêteurs. Contrairement à Invest In Pacific qui est elle-même agréée auprès des autorités de contrôle nationales, Fenua Financement s’appuie sur l’agrément de cette société nationale, reconnue comme prestataire de services de financement participatif.Si Fenua Financement s’occupe de l’identification des projets locaux à faire financer, des « pré-qualifications » et de la préparation des dossiers, ce sont les Entreprêteurs qui mènent l’analyse financière, la structuration formelle du projet et qui mettent en place un comité crédit. La société prête aussi son interface et son « environnement dédié » dont elle assure la gestion opérationnelle à distance. Pas une première exportation pour Les Entreprêteurs, déjà présents via des partenariats à la Réunion ou en Guyane, et qui dit avoir déjà collecté plus de 14 milliards de francs, pour 73 projets « crowdfundés » depuis 2016. Comme Invest in Pacific, start-up polynésienne qui étendu son activité à la Calédonie et vise le reste de l’outre-mer, Fenua Financement veut cibler les projets innovants, les financements de PME mais aussi les projets immobiliers, de plus en plus fréquemment soumis au financement participatif. |