Neuf prévenus étaient entendus ce mardi au tribunal de Papeete dans le cadre d’une importation d’ice de six kilos en septembre 2019. A l’époque, c’était la plus grosse saisie d’ice jamais réalisée à Tahiti. Le procès met en lumière les méthodes des trafiquants, comme la complicité de personnels affectés à l’aéroport.
Les réseaux de trafiquants d’ice, c’est comme les pulls tricotés maison. Tout part d’un patron et ensuite ce n’est qu’un assemblage de mailles plus ou moins bien liées entre elles qui forment le pull. Il suffit que l’une d’entre elles lâche, et pour peu qu’on l’aide en tirant dessus, c’est tout le canevas patiemment monté qui se défait de toutes parts. C’est ce qui est arrivé le 14 septembre 2019, lorsque les services des douanes mettent la main sur 5,5 kilos d’ice en provenance de Los Angeles, transportés dans des sacs de boxe par Noël Krauser, 47 ans, dit « Bijou ».
Le point de départ d’une enquête qui permettra aux forces de l’ordre de démanteler un réseau de trafiquants d’ice, dont certains déjà dans le collimateur de la justice, mais aussi de révéler une autre importation d’ice, d’un kilo, datant de 2017. Une enquête dont les nombreuses surveillances, écoutes, et données relevées par les techniciens dans les smartphones ont permis d’éclairer les enquêteurs sur les méthodes employées par les narcotrafiquants pour sortir la marchandise de l’aéroport sans qu’elle soit interceptée, cela en bénéficiant de complicité intérieure à l’aéroport, en l’occurrence un pompier.
15 millions pour endosser le chapeau
Pour que le tableau soit complet, séquestration et passage à tabac viennent démontrer qu’en l’espace d’une dizaine d’années les trafiquants locaux se sont professionnalisés et endurcis. Pour exemple celui qui porte le chapeau à la place d’un autre se voit remettre, à lui ou à ses proches, une certaine somme d’argent. Dans cette affaire on parle de 15 millions promis à Krauser s’il se faisait attraper et gardait le silence. Les truands locaux, à force de fréquenter le Mexique depuis l’affaire Sarah Nui , adoptent les mêmes méthodes que les cartels, à un degré moindre certes, mais l’intention y est.
Deux mules qui s’ignorent dans le même avion
Le commanditaire de l’importation d’ice de septembre 2019, Raihere Tetuanui qui a reconnu les faits à la barre, avait pris soin de ne pas mettre ses œufs dans le même panier. À bord du même avion il y avait deux mules qui bossaient pour lui, sans que l’une ni l’autre ne soit au courant. Ainsi, si Krauser s’est fait arrêter à l’aéroport avec 5,5 kilos d’ice, l’autre mule, Karyl Frogier, a passé les douanes sans encombre, avec 600 grammes. Le même commanditaire avait lui-même pris l’avion quelques jours avant pour s’approvisionner en ice. Il aurait pris soin de livrer lui-même, incognito, la drogue conditionnée au motel où Krauser et Frogier étaient descendus. Il les faisait appeler par des complices restés à Tahiti, Guillaume Fleur et Herenui Ariioehau, chargés de récupérer les mules, qui leur donnaient par téléphone la consigne de s’enfermer dans la salle de bains pendant que la drogue était déposée dans leur chambre respective par Tetuanui. Celui-ci rentrait le même jour que les deux mules mais dans l’avion du matin, ni vu ni connu.
A l’arrivée, Karyl Frogier était bien récupéré par Guillaume Fleur, ainsi que la marchandise. Quant à Ariioehau dit Kimbo, il attendra en vain Krauser. Ce même Krauser avouera dans une de ses dépositions avoir déjà fait le voyage en 2017 et avoir ramené un kilo d’ice pour le compte de Médéric Tavaearii, d’où la présence de celui-ci dans le box des accusés ce mardi.
L’intérêt de Tetuanui en allant chercher lui-même l’ice est évidemment de ne pas dévoiler sa source d’approvisionnement à la concurrence. Source qui pourrait être la même qui fournissait le réseau Sarah Nui, Tetuanui étant mouillé aussi dans cette affaire pour laquelle il a écopé de trois ans de prison en octobre 2020.
Des mules bien choisies
Le premier à passer à la barre est Krauser. En le voyant on se dit qu’il a une bonne tête de mule. Le genre de gars avec qui vous pourriez faire un Paris-Papeete, aller-retour, assis côte à côte sans que vous soyez capable de le décrire. Une bonne tête de père de famille qui termine toutes ses phrases par « monsieur ». Un gars influençable, qui à la barre est tout penaud et semble ressasser les errements qui l’ont conduit là. Il a été recruté comme mule alors qu’il fréquentait assidûment des tripots clandestins et qu’il avait des dettes. L’autre mule, Frogier, est du genre qui sait pas dire « non », un suiveur. Devant le juge, il marmonne comme un gosse pris en faute, il bafouille, se fait répéter les questions et répond à coté. Il est totalement perdu. Comme Krauser, il a un casier vierge.
Où l’on reparle de Médéric Tavaearii
L’audition du pompier, pas partie prenante dans l’importation de 2019, mais dans une importation d’un kilo datant de 2017 pour le compte de Médéric Tavaearii, a sans aucun doute été la plus intéressante, la plus prenante. « J’ai rencontré Médéric en 2017, il savait que je travaillais à l’aéroport et il m’a demandé si je pouvais sortir un paquet. A l’époque j’étais consommateur et j’avais des crédits sur le dos, et j’ai accepté. » Le système était simple, la mule déposait la marchandise dans les toilettes de l’aéroport avant le passage sous douane et il se chargeait de la récupérer. « On est fouillé à l’entrée, mais pas à la sortie.»
Tant qu’il avait de quoi consommer, il ne se posait pas trop de questions mais il s’est tout de même rendu compte qu’il prenait beaucoup de risques pour pas grand-chose. Et un jour, alors qu’il avait réceptionné deux sachets d’ice, il décide d’en garder un pour lui. Médéric décide de monter une expédition punitive pour récupérer son dû. Ils débarquent à plusieurs, manches de pioche en main, mais tombent sur un os. L’homme n’était pas seul, plutôt bien accompagné, et l’affaire se règle plus ou moins à l’amiable. Le pompier rembourse deux millions, la somme investie par Fleur pour l’achat de l’ice. Une chose est sure, c’est cet incident et surtout la peur qui ont provoqué un cas de conscience chez lui. « Il fallait que je quitte Tahiti pour tout recommencer à zéro. » Il part s’installer aux Tuamotu où il poursuit une activité d’excursionniste et de skipper. A la barre c’est les larmes aux yeux qu’il explique. « Tout ce que je veux c’est réparer mes erreurs, quand vous consommez de l’ice, vous croyez tout contrôler. Mais vous ne contrôlez rien du tout. Vous fumez, vous fumez et vous n’avez plus de repères. C’est un vrai fléau et avec le recul tu prends conscience des vrais valeurs de la vie. »
La prison en fait tout de même réfléchir certains
Quant à Tetuanui, le commanditaire, il reconnaît être à l’origine de l’importation des 6 kilos d’ice. Après avoir travaillé pour le compte de Médéric comme mule et aussi avec Danielsson et Alfonsi, il décide de voler de ses propres ailes. « Médéric m’a fait rêver en me promettant un vrai travail dans son car wash, mais il me prenait pour un pion. » À noter que Tetuanui tout comme deux autres prévenus ont avoué que c’était leur passage par la case prison qui a déclenché leur prise de conscience. Du pain bénit pour le juge qui n’a pas manqué de le relever. « Vous êtes la troisième personne à nous dire cela aujourd’hui. C’est nouveau. D’habitude on nous critique quand on envoie les gens en prison. » L’audience reprend ce mercredi avec l’audition de Médéric Tavaearii concernant l’importation d’un kilo d’ice en 2017.