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Nouvelle-Calédonie : pour le FLNKS, c’est « la misère sociale qui est le terreau de ces émeutes »


Gilbert Tyuienon, vice-président de l’Union Calédonienne, pas question de lier le FLNKS aux violences qu’à connues le Caillou ces derniers jours. Oui, les émeutiers aspirent à l’indépendance, mais leur violence ne correspond pas aux appels à la « mobilisation politique » des CCAT, cellules que l’UC a elle-même créées. Le maire de Canala et porte-parole du gouvernement préfère pointer l’État, accusé d’avoir rompu, malgré les mises en garde, avec les grands principes du processus de paix entamé il y a 36 ans. Ou les Loyalistes accusés d’avoir construit pendant de longues années une société inégalitaire, génératrice de frustrations pour le jeune Kanak. « C’est ce qu’on se prend dans la figure aujourd’hui. »

Après trois nuits de violences d’une intensité que le Caillou n’avait pas connue depuis les années 80, la situation à Nouméa connait une relative accalmie, ces 36 dernières heures. Le vice-président de l’Union Calédonienne Gilbert Tyuienon y voit davantage « le résultat des appels à l’apaisement » que l’action des forces de l’ordre, des habitants de la zone urbaine mobilisés pour protéger leurs quartiers, ou même que la déclaration d’état d’urgence par Paris. Mais qu’importe le pourquoi, le responsable indépendantiste veut prévenir : « Il ne faut pas grand chose pour enflammer de nouveau la situation. »

Le mot d’ordre de la CCAT « était uniquement politique »

À entendre le  membre et porte-parole du gouvernement collégial calédonien, les « ingrédients » sont toujours sur la table pour une flambée de violence « que personne n’appelle de ses vœux ». Pas même la CCAT, cette Cellule de coordination des actions de terrain considérée comme une organisation « voyou », « mafieuse », voire « terroriste » par les autorités ? Non, répond le cadre de l’UC, parti qui a lui-même créé cette structure lors d’un congrès l’année passée, pour « permettre à tout le monde de faire sa part dans le combat » pour la décolonisation. Mais la CCAT – ou plutôt les CCAT, organisées par commune ou aire coutumière, et qui ne répondent pas hiérarchiquement au parti – a d’après lui seulement lancé un appel à la « mobilisation politique ». Un appel qui, après les « 10 jours pour Kanaky » – lancé le 4 mai, date anniversaire de la mort de Jean-Marie Tjibaou – a connu une apogée en début de semaine, alors que l’Assemblée nationale étudiait – et finissait par voter – le très contesté projet de loi constitutionnelle sur l’élargissement du corps électoral.

Cette mobilisation progressive, avec ses « phases » annoncées d’avance – dont la troisième impliquait, dans certaines zones, la « fermeture » de sites économiques et institutionnels, et une « demande de départ des entreprises françaises » – beaucoup y voient la planification même des émeutes de cette semaine. « Le mot d’ordre était uniquement politique, dément Gilbert Tyuienon. Ça a été bien suivi dans les communes rurales et des îles, mais par contre à Nouméa, compte tenu des difficultés sociales et économiques que nous traversons, nous avons eu à faire, malheureusement, à cette délinquance incontrôlée. Parce que Nouméa est entouré de squat, de bidonvilles. Aux gens qui habitent là, parce qu’ils viennent chercher du travail et tout ça, il ne faut pas leur dire deux fois pour aller casser la boulangerie d’à côté. »

À l’heure où, à Nouméa ou Paris, certains parlent de « tentative de coup d’État » soutenu par des « forces étrangères », Gilbert Tyuienon, lui, évoque une délinquance, certes grave, mais centrée sur les épiceries, supermarchés, commerces situés à proximité des quartiers populaires. « On voit bien qu’ils cherchent à manger », assure-t-il. Pas totalement en phase avec les constats du monde économique calédonien, qui compte 150 entreprises totalement ou partiellement détruites, représentant jusqu’à 2 000 emplois dans tous les secteurs, pour des dégâts chiffrés à 24 milliards de francs.

L’État a adopté « les mêmes mots, le même discours » que les loyalistes

Hors de question, quoiqu’il en soit, de faire endosser une part de responsabilité dans ces émeutes aux partis du FLNKS. Comme les autres responsables indépendantistes, rejoints sur ce point par la gauche française, le vice-président de l’UC pointe avant tout vers la responsabilité de l’État dans cette situation « prévisible ». Et vers les « nombreux passages en force » du gouvernement central et de son ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin, en charge des Outre-mer depuis 2022. La faute originelle, selon l’élu, remonte pourtant à 2021, avec le troisième référendum, dont l’organisation a été maintenue malgré les oppositions officielles – mais tardives – des partis indépendantistes et des coutumiers. Résultat : un scrutin boycotté, un cycle de consultation que les Pro-Kanaky considère comme inachevé – le FLNKS a même tenté de saisir la Cour de justice internationale sur ce sujet – et des négociations de sortie d’accord bloquées. « Ce qui apparait, c’est que les partis loyalistes de Nouvelle-Calédonie ont assuré à Macron que peu importe la date de la troisième consultation, les indépendantistes n’iront plus aux élections. Ce qui est bien sûr totalement faux, assure Gilbert Tyuienon. Nous, nous avons signé l’accord de Nouméa, il y avait trois consultations de prévues, on devait y aller. »

Nul doute que de Paris à Nouméa, beaucoup remettent en cause cette version de l’histoire. Mais pour l’Union Calédonienne, l’accroc de la troisième consultation n’est pas isolé. « On a vu, dans les mois qui ont suivi, l’État piétiner une des règles essentielles qui avaient permis la paix en 1988 : le principe d’impartialité de l’État », reprend Gilbert Tyuienon. C’est sur ce point que la responsabilité de Gérald Darmanin est particulièrement soulevée : « On l’a vu, parfois sans faire gaffe, utiliser les mêmes mots, les mêmes phrases, quasiment le même langage sinon le même discours que la droite de Nouvelle-Calédonie, que les Loyalistes », explique celui qui a lui-même participé à certains rounds de négociations pour le FLNKS. « Si vous avez des gens qui en cours de route revirent, changent les règles du jeu, à l’instar de ce que l’on a pu voir, cela amène ce que l’on connait aujourd’hui. On n’a pas cessé de dire ‘pas de décision sans consensus’. On n’a pas cessé de dire ‘pas touche au corps électoral’, c’est trop dangereux d’y toucher, c’est combat sacré du peuple Kanak ».

Gérald Darmanin accusé de mensonges répétés

Le deuxième « passage en force » de l’État, ce serait celui de ce projet de loi constitutionnel sur le dégel du corps provincial. Il doit permettre aux résidents calédoniens installés depuis au moins 10 ans sur le territoire d’élire leurs représentants de province et les élus du Congrès, ceux qui votent l’essentiel du cadre règlementaire, économique et surtout fiscal dans lequel ils vivent. Gérald Darmanin a plusieurs fois assuré les parlementaires qu’il avait reçu un accord de principe des indépendantistes. Faux, répond Gilbert Tyuienon. « Nous avons signé un document disant qu’on voulait bien examiner la question, pour qu’on nous donne les éléments, pour savoir de quoi on parle… Et nous avons dit : ‘nous prendrons notre décision à l’issue de ces travaux’. Cette phrase, M. Darmanin oublie complètement de la lire que ce soit au Sénat et à l’Assemblée nationale. On a donné notre accord pour des travaux, jamais pour les 10 ans. »

Le vice-président de l’UC n’en oublie de charger, aussi, les responsables Loyalistes pour la situation actuelle. Sonia Backès, chef de file des Loyalistes, présidente de la Province Sud et éphémère secrétaire d’État rattachée au ministère de Gérlad Darmanin, est accusée d’avoir voulu rompre au plus vite avec les mécanismes politiques des accords, jugés trop favorables aux Kanak, au Nord et aux Îles, en « oubliant » qu’ils étaient avant tout des accords de paix. Mais surtout Gilbert Tyuienon, membre du gouvernement collégial calédonien depuis plus de 13 ans, accuse les partisans de la Calédonie dans la France d’avoir construit pendant de longues années de gouvernance « une société totalement inégalitaire ». « Le terreau de ces émeutes a aussi été aussi la misère sociale, insiste-t-il. C’est une réalité qui nous éclate à la figure. » L’exécutif calédonien est pourtant, comme le Congrès, dominé par une courte majorité indépendantiste depuis bientôt trois ans. Pourquoi ne pas avoir changé les choses ? « Malheureusement, on met du temps à régler le problème parce que sous prétexte de matraquage fiscal, certaines personnes s’opposent à ce que l’on rétablisse davantage d’équité fiscale, de partage des richesses dans notre pays », assure-t-il.

« Il faut changer la méthode »

Dans un contexte de crise des finances publiques sur le Caillou et après les dégâts des émeutes, les indépendantistes, qui se disent partisans d’une plus grande autonomie financière du pays, vont-ils demander des aides massives de l’État pour reconstruire ? « Nous on a toujours dit aux Calédoniens qu’il fallait assumer notre part de responsabilité, mettre la main à la poche pour faire vivre notre pays, pour qu’il puisse s’occuper de ses propres responsabilités, répond-il. Mais en même temps, il ne faut pas que l’État se désengage de sa propre responsabilité. Parce que ceux qui ont mis le pays dans la situation dans laquelle nous sommes, ce sont les partisans de la France, et la France a laissé faire. »

Gilbert Tyuienon n’en dit pas beaucoup, en revanche, sur les discussions discrètement menées depuis plusieurs mois entre l’UC et certains partis loyalistes – l’UNI, autre bloc du FLNKS, les a quitté en février. Peuvent-elles aboutir à un accord avant la fin juin, date prévue par l’Elysée pour entériner définitivement la loi constitutionnelle ? Les émeutes de ces derniers jours vont-elles les accélérer ? « On va s’acharner, à partir de ce que l’on connaît, à ne pas couper le fil du dialogue. Mais c’est un dialogue qui va être difficile, répond le membre du gouvernement. C’est la raison pour laquelle le dernier congrès du FNLKS, il y a déjà plus de deux mois de ça, a demandé à la mise en place d’une mission de médiation. Nous avons écrit déjà à deux reprises au président Macron sur cette question – le 12 avril dernier et il y a une quinzaine de jours – et le FLNKS n’a jamais reçu de réponse. ».

Qu’importe les noms qui circulent déjà pour la mener – certains ont proposé Édouard Philippe pour la mener, d’autres verraient bien les présidents de l’Aseemblée nationale et du Sénat, Yaël Braun-Pivet et Gérard Larcher, des parlementaires, dont Tematai Le Gayic, sont prêts à y participer, Moetai Brotherson a proposé l’aide de son gouvernement… – l’essentiel est de changer d’interlocuteur. « Et quoiqu’il arrive, il faut changer la méthode, le logiciel. Parce que l’État français a eu, pour le coup, complètement faux. »

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