La rapporteure générale de l’Autorité polynésienne de la concurrence, Véronique Sélinsky, a été mise à pied à titre conservatoire par le président du Pays. Une décision liée à des accusations de harcèlement moral envers certains de ses collègues qu’elle conteste fermement. Son avocat dénonce une « cabale » orchestrée par la nouvelle présidente de l’institution, Johanne Peyre, accusée, elle, de manque de rigueur vis-à-vis des règles d’indépendance de l’APC.
L’Autorité polynésienne de la concurrence n’en est pas à ses premières tensions internes, et encore moins à ses premiers débats au palais de justice. Après la « démission d’office » de son président Jacques Mérot, en août 2020, c’est une nouvelle guerre de tranchées qui est apparue au grand jour devant le tribunal administratif, ce matin. Comme le relevait hier Pacific Pirates Media, la rapporteure générale de l’APC, Véronique Selinsky, a saisi le juge des référés pour contester sa mise à pied conservatoire, prononcée mi-mars par le président du Pays. Une décision justifiée par l’ouverture d’une enquête administrative à son encontre, sur des faits de harcèlement moral dénoncés par plusieurs agents travaillant sous son autorité. Des accusations qui auraient déjà fait l’objet d’un examen informel de la part l’administration, et qui sont désormais instruits par la DMRA.
« Un dossier monté de toute pièce »
Aucun doute pour Me Thibault Millet : le dossier de harcèlement « est monté de toutes pièces », dans le cadre d’une « cabale » à l’encontre de sa cliente, Véronique Sélinsky. Il pointe vers la présidente de l’APC, Johanne Peyre qui a attiré l’attention d’Édouard Fritch sur ces faits, au travers d’un rapport dédié. Les tensions ne datent pas d’hier : rapidement après sa prise de fonctions, en juillet dernier, la nouvelle présidente aurait, d’après l’avocat, tenté d’empiéter sur les prérogatives de sa rapporteure générale, qui doit normalement mener sans ingérence l’instruction des dossiers d’infractions aux règles de concurrence. Inacceptable pour Véronique Sélinsky, « très rigoureuse » sur ces questions d’étanchéité – l’épisode Jacques Mérot, pourrait y être pour quelque chose. De tendues, les relations entre les deux responsables seraient aujourd’hui dans une situation de « rupture totale ». « D’où cette « cabale » et cette « tentative d’éviction » basée sur des accusations « artificielles », conclut l’avocat :
Les faits précis qui valent à la rapporteure générale cette enquête administrative restent à ce jour peu clairs, en tout cas dans les documents versés au dossier avant l’audience de ce matin. Quelques éléments concrets sont bien cités dans le rapport de la présidente de l’APC, ou dans une lettre signée d’une psychologue, cheffe de la cellule santé au travail du Pays. Mais il serait « hallucinant » de les qualifier de harcèlement moral, appuie Me Millet qui cite notamment des mails de Véronique Sélinsky rappelant certains agents à l’ordre sur leur obligations. De « simples rapports hiérarchiques », dans le cadre d’un éventuel « relationnel dégradé », estime l’avocat, qui assure qu’une plainte pour dénonciation calomnieuse est d’ores et déjà à l’étude.
Une enquête « nécessaire » et aucune procédure disciplinaire pour l’instant
Mais pas question pour l’administration de débattre de ces accusations en audience. Et surtout pas de nommer les auteurs des plaintes – au moins deux des cinq rapporteurs de l’APC -, de peur de leur causer préjudice. « Ce sont des faits qui font l’objet d’une enquête administrative de la Polynésie française, et aucune procédure disciplinaire n’est encore ouverte » rappelle Hervé Raimana Lallemant, représentant de l’autorité indépendante en séance. Dans cette « phase d’attente », la mise à pied conservatoire serait une mesure de précaution « classique », précise le représentant du Pays qui estime qu’il est de la responsabilité de l’administration de préserver les conditions de travail de ses agents. Quant aux tensions récurrentes au sein de l’APC, « il serait préférable qu’elles n’existent pas, reprend le représentant de l’institution. Mais les problématiques de ressources humaines sont légion dans les organismes administratifs ». Et l’APC, malgré son indépendance, ne fait pas exception.
Quand la rapporteure interroge l’indépendance de sa présidente
C’est pourtant, justement, l’indépendance de l’APC, qui fait de cette affaire un dossier exceptionnel sur le plan du droit. Car outre « les problèmes d’étanchéité interne », la question de l’indépendance de l’autorité vis-à-vis des pouvoirs économiques et politiques est cruciale dans son fonctionnement. Aussi, l’avocat de Véronique Sélinsky estime que l’enquête administrative du Pays pose problème, en ce qu’elle aboutira « nécessairement » à la transmission d’informations sur l’instruction de certains dossiers. Qui d’autres pour assurer des sanctions disciplinaires quand elles sont nécessaires ? La question reste posée. Mais l’ancien président par intérim de l’APC et toujours doyen de son collège, Christian Montet, condamne lui aussi le principe d’une enquête confiée à l’administration du Pays.
La notion d’indépendance de l’APC est d’ailleurs, elle aussi, au centre des tensions entre la rapporteure générale et sa présidente. La première se serait ouvertement interrogée sur certaines pratiques de la seconde depuis son entrée en fonctions. Comme l’a fait Me Millet en séance : « Est ce que la présidente de l’autorité peut avoir une sorte de réunion mensuelle avec le ministre de l’Économie ? Pour quoi faire, pour se dire quoi ? Est-ce que le ministre donnerait des orientations ? questionne l’avocat. Est-ce qu’elle peut également rencontrer des acteurs économiques ? En tout cas, ça pose de réelles difficultés ».
Après une nouvelle audience de remise de conclusions mercredi prochain, les juges de référés – ils sont exceptionnellement trois pour ce dossier « délicat » – devraient rendre une décision jeudi 21 avril. Annulation de la mise à pied ou pas, le dossier ne manquera pas de revenir sur la table du tribunal administratif dans quelques mois, pour être jugé au fond.