Le député Tavini a déposé début mars une proposition de loi visant à « compléter la réparation des conséquences des essais nucléaires » par l’État. Le texte veut élargir considérablement les possibilités d’indemnisation, lancer les travaux pour un grand plan de dépollution… Des évolutions qui seront difficiles à faire accepter à Paris, d’autant qu’elles seront étudiées quelques jours avant la table ronde voulue par l’Élysée sur le sujet.
C’est une proposition attendue depuis longtemps, que Moetai Brotherson a détaillé, ce matin, depuis le siège du Tavini à Faa’a. En mars 2018, déjà, le député indépendantiste annonçait, dans un communiqué, l’introduction de deux propositions de loi visant à faire assumer à l’État son « entière responsabilité » quant aux conséquences des essais. Des textes ont finalement été « retravaillés » et complétés par des consultations des acteurs du dossier. Les grandes lignes du projet, qui tient désormais dans une proposition de loi unique déposée à l’Assemblée nationale le 9 mars dernier, ont toutefois été conservées.
Commission et plan sur le risque environnemental
Le texte propose d’abord la mise en place d’une commission nationale, composée de parlementaires et de personnalités qualifiées, pour travailler, un an durant, sur la dimension environnementale des essais nucléaires. Une dimension « qui n’existe absolument pas dans la loi Morin« rappelle Moetai Brotherson. La commission serait chargée de mettre sur pied un « grand programme de dépollution des sites qui ont subi les essais » et de « traitement des déchets » qui en sont issus. « C’est un travail qu’il faut mener d’urgence, insiste le parlementaire. Il est temps d’assumer ce qu’on a fait, il ne faut pas attendre que Moruroa s’effondre ».
Mais c’est bien sûr l’indemnisation des victimes qui concentre l’essentiel des dispositions de la proposition de loi. Le texte élargit considérablement les obligations de l’État, non pas en supprimant la loi Morin, comme certaines associations le demandent, mais en réécrivant certains articles clés. Le polémique amendement Tetuanui, introduit fin 2018 pour remplacer la notion de « risque négligeable » par une dose minimale de 1 millisievert, est tout simplement effacé. Si les critères de lieu, de date, et de maladie sont réunis, « l’intéressé bénéficie d’une présomption de causalité », tranche le texte, qui devrait aussi intégrer une levée des obligations de délais de dépôt de dossier.
Indemniser au-delà de la douleur
La proposition prévoit aussi la « prise en charge complète des frais médicaux liés à la maladie« . « Aujourd’hui, on se limite à indemniser la douleur de la victime, explique le député. Mais ces victimes ont une maladie qui implique des dépenses, parfois importantes, et pas toujours entièrement remboursées et qui continuent après l’indemnisation ». Des frais pour les malades, mais aussi, et surtout, pour la CPS qui estimait en 2019 à 77 milliards de francs les dépenses provoquées par les cancers potentiellement liés aux essais. La loi serait modifiée pour permettre à la caisse – ou à un autre organisme, dans le cas de l’Algérie – de se substituer à un ayant-droit et ainsi demander à être remboursée par le Civen. « Une mécanique qui permet d’engager indirectement la responsabilité de l’État, puisque c’est aujourd’hui impossible », reprend l’élu Tavini.
Dans le même esprit, ces victimes reconnues « ont aussi des familles qui continuent à vivre ». « Quand il y a un décès, ces familles sont touchées et il parait normal qu’elles puissent être aidées par l’État, qui est responsable », pointe Moetai Brotherson. Il propose un mécanisme de prise en charge « proche de celui des pupilles de la nation » et qui porte entre autres sur les frais d’éducation des enfants. Une des demandes récurrentes des associations de victimes, qui se féliciteront aussi d’un autre apport de la proposition de loi. Les descendants de victimes qui souffrent eux-mêmes d’une maladie radio-induite pourront accéder aux indemnisations, même s’ils ne répondent pas aux critères de lieu et de date. Cette reconnaissance de la maladie transgénérationnelle, qui manque encore de base scientifique, serait pour Moetai Brotherson « une extension du principe de précaution, appliqué à tant d’autres domaines ».
Une table ronde « opportuniste »
Le texte, aujourd’hui signé par les 16 députés du groupe Gauche démocrate et Républicaine, qui rassemble des communistes et des ultramarins, devra convaincre à l’Assemblée nationale puis au Sénat pour être applicable. Mission difficile : « l’État fera tout pour que cette proposition ne passe pas », estime Moetai Brotherson qui pense tout de même convaincre certains élus de « la nouvelle génération », qui n’ont pas des idées anciennes et arrêtées sur les choses ». En dehors du débat sur la légitimité de ces demandes, certains, à Paris, pourraient s’interroger sur leur coût, qui n’est pas estimé par la proposition. “Ça représente beaucoup d’argent », note seulement le député Tavini, doutant que « le seul budget de la Solidarité puisse assumer ». Lors de la première ébauche de ce texte, il y a trois ans, un mécanisme proposait de faire financer le coût des maladies radio-induites par un prélèvement fiscal sur le nucléaire civil, qui serait, d’après le Tavini « issu du développement de l’arme atomique ». L’idée n’est pas totalement abandonnée, mais, « très complexe à mettre en œuvre », elle est pour l’instant laissée de côté.
Pour avancer, le texte aura besoin de tout ou partie de la majorité présidentielle, le groupe La République en marche et Modem représentent à eux seuls 317 des 577 députés. Et là encore, ce sera difficile : après un passage en commission de la défense de l’Assemblée, la proposition de loi sera étudiée en séance plénière le 17 juin. Une date qui devrait être très proche de la « table ronde de haut niveau » sur le nucléaire organisé par l’Élysée fin juin. Coïncidence ? Oui, assure Moetai Brotherson. « Il s’agit d’un travail de fond, pas un travail opportuniste, comme cette table ronde », s’agace-t-il, rappelant que c’est la publication de l’enquête Toxique qui a abouti à cette proposition de réunion par Paris. L’élu « s’attend » à ce que l’approche de la table ronde soit un « prétexte » à ne pas débattre du fond à l’Assemblée. Peu d’illusion, donc, sur l’avenir du texte. Mais contrairement aux représentants de Moruroa e tatou qui s’interrogent encore sur leur participation, Moetai Brotherson sera bien présent à la table ronde fin juin… « si je suis invité », dit-il. Pas de carton officiel pour l’instant : c’est la présidence du Pays qui doit choisir les membres de la délégation polynésienne.