Ce vendredi 8 mars au Cesec, il a très peu été question des droits des femmes, et beaucoup question des droits des victimes des essais nucléaires. Les membres du Cesec ont notamment entendu les exposés des directeurs de la CPS et de l’Institut du cancer, et de la députée Mereana Reid-Arbelot, qui va mener une commission d’enquête parlementaire sur le sujet dans les six prochains mois, avec toujours l’objectif d’amender la loi Morin pour une meilleure indemnisation des victimes, et surtout le remboursement des frais engagés par la CPS.
Le Cesec avait choisi le 8 mars pour une séance plénière dédiée à la sensibilisation sur l’indemnisation des victimes des essais nucléaires. Un sujet éloigné des droits des femmes, mais en introduction la présidente du Cesec, Voltina Dauphin, a tout de même fait une proposition « simple, mais audacieuse » : « tout comme la présidence de notre institution est tournante entre les cinq collèges qui la composent, pourquoi ne pas faire tourner également la présidence entre un homme et une femme ? » Une idée sur laquelle elle laisse réfléchir les membres de l’institution, aujourd’hui composée à 45% de femmes.
La séance, à laquelle assistait Oscar Temaru, a ensuite abordé le sujet principal : l’indemnisation des victimes des essais nucléaires, avec à la tribune Vincent Dupont, le directeur adjoint de la CPS qui a présenté un bilan des prestations servies par la CPS aux victimes de maladies radio-induites (à retrouver en fin d’article), Patrick Galenon, président du conseil d’administration de la CPS, Teanini Tematahotoa, directrice de l’Institut du cancer qui a présenté les données du registre des cancers, la députée Mereani Arbelot, et Lena Normand, vice-présidente de l’Association 193, qui met depuis plusieurs années déjà l’accent sur les difficultés des femmes – elles représentent 64% des patients souffrant de maladies radio-induites, car le cancer du sein est de loin la pathologie la plus fréquente – dans ce processus.
Au moins 12 584 patients depuis 1985…
Les données médicales antérieures à 1985 sont encore entre les mains de l’armée, et pas informatisées. Les données postérieures à la création du système informatique de la CPS ne sont pas toutes exploitables non plus. L’imprécision crée le doute, qui conduit à une application a minima de la loi Morin pour l’indemnisation individuelle, et à l’impasse actuelle de l’indemnisation des dépenses socialisées, pour tenter de récupérer les frais de prise en charge engagés par la CPS depuis 1985 : 107 milliards de Francs pour 12 584 patients souffrant des 23 maladies de la liste du Civen – dont 51% sont aujourd’hui décédés. « Nous on ne considère pas le critère du 1 millisievert, précise Patrick Galenon, qui est un critère administratif déterminé pour la population française qui n’a pas été exposée à la bombe. » Un phénomène de sous-déclaration a sans doute été à l’œuvre également, ajoute-t-il.
… et une dépense d’au moins 95 milliards pour la CPS
89% de cette dépense ont été supportés par la protection sociale polynésienne, le reste, concernant des ressortissants de la Sécurité sociale française, étant remboursé à la CPS. Le coût moyen par patient pour la CPS est de 8,5 millions, le plus élevé étant celui des leucémies, jusqu’à 22 millions, et le plus faible celui du cancer de la peau, à 4,9 millions. Chaque année depuis 2018, les cancers potentiellement provoqués par les essais nucléaires représentent une dépense de plus de 7 milliards pour la protection sociale polynésienne. Un chiffre alourdi par l’augmentation du prix des « molécules onéreuses » des traitements anti-cancéreux, qui est passé de 700 millions en 2018 à 3,2 milliards en 2023. Patrick Galenon souhaite que le gouvernement fasse rapidement appel à la solidarité nationale sur ce point, et sur celui des évasans pour les victimes du cancer. « On est doublement victime, parce qu’on a subi la bombe atomique, et parce qu’on est obligé de payer notre propre maladie. »
Et ce n’est pas fini : entre 1995 et 2022, le nombre de patientes atteintes de cancer du sein progresse en moyenne de 5% par an, les cas de cancers du poumon aussi, les cancers de l’utérus progressent de 8% par an, et les cancers du côlon de 17%. Sur la seule année 2022, 657 nouveaux cas ont été diagnostiqués, c’est 5 fois plus qu’en 1991 – et si les progrès du dépistage et le vieillissement de la population expliquent en partie ces chiffres, ils dénotent incontestablement une incidence de cancers plus élevée qu’au niveau national, ainsi qu’un âge médian du diagnostic plus jeune en Polynésie : 62 ans pour les hommes contre 68 ans en métropole, et 54 ans pour les femmes contre 67 ans en métropole. « Ça interpelle quand même, dit Vincent Dupont, mais scientifiquement on n’arrive pas à déboucher sur des conclusions. » Car les maladies de la liste ouvrant droit à l’indemnisation peuvent aussi être déclenchées ou aggravées par d’autres facteurs, qui évoluent au fur et à mesure des progrès de la recherche, comme par exemple l’obésité qui semble jouer un rôle dans les cancers de l’utérus. Et les discussions avec l’État sur le chiffrage exact s’enlisent.
« De quoi on a l’air devant l’État français ? »
La représentante à l’assemblée Hinamoeura Morgant-Cross a apporté son témoignage. Diagnostiquée, heureusement à temps, d’une leucémie à l’âge de 24 ans, elle n’a pas fait de demande d’indemnisation. « Un blocage psychologique », dit-elle, à l’idée qu’un comité « va décider du prix de ma vie » Mais elle a fait les maths : elle estime le traitement qu’elle suit depuis maintenant 11 ans à environ 50 millions de Francs. Elle s’impatiente devant les débats incessants et « trop politisés » sur les causes et les coûts des cancers dont souffrent les Polynésiens.
Sensibiliser à Paris
Mereana Reid-Arbelot a entrepris depuis plusieurs mois, dans la continuité de son prédécesseur Moetai Brotherson, un travail d’information des parlementaires nationaux, avec des projections et des débats à l’Assemblée nationale et à la Délégation de la Polynésie française à Paris. Des parlementaires qui ont interpellé la nouvelle ministre du Travail, de la Santé et des Solidarités, Catherine Vautrin. Celle-ci a promis une nouvelle réunion du comité de suivi des essais nucléaires avant la fin du premier trimestre : « Il lui reste un mois », dit Mereana Reid-Arbelot. La députée souhaite aussi « inscrire dans les programmes d’histoire au plan national ce pan d’histoire de France qui après tout mérite d’être étudié et appris aux enfants. »
Une nouvelle commission d’enquête parlementaire annoncée ce vendredi
Mereana Reid-Arbelot a appris hier que l’Assemblée nationale a donné le feu vert – par tirage au sort parmi les propositions des groupes – à sa proposition de création d’une commission d’enquête au champ très large, « pour ne pas se fermer de portes, mais je n’ai que six mois et ce n’est pas beaucoup. »
La composition de cette commission doit être arrêtée dans les jours prochains. Son objectif : « apporter à la loi Morin les ajustements les plus appropriés, pour qu’on soit dans le juste, et pour mettre en lumière cette époque qui a beaucoup marqué la société polynésienne. Il faut se souvenir qu’à un moment il y a eu jusqu’à 18 000 personnes de plus en Polynésie pour faire marcher le CEP, alors qu’il n’y avait que 85 000 habitants en Polynésie en 1960. Ça a forcément chamboulé la société. » La députée veut aussi remettre en cause le seuil de 1 millisievert.
On peut comprendre le choix de la France de faire des essais en Polynésie pour des raisons de faible densité démographique, ajoute-t-elle, « mais si ce choix a été fait comme ça, aujourd’hui ils n’ont pas à faire le tri. Je pense que ce n’est pas tout à fait décent pour la population qui n’a pas choisi ça, de faire le tri avec ce fameux seuil. »
La présentation de la CPS :