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Nuihau Laurey : « Cette classe politique n’est plus capable de trouver des réponses »

Invité de la rédaction de Radio1, le tête de liste de A here ia Porinetia développe le plan de bataille de son parti pour les territoriales. Il décrit une campagne où les grands partis refusent le débat idéologique, et où l’argent public « est dépensé à des fins politiques ». Tout en assurant ne pas verser dans le populisme, l’ex-sénateur assume une volonté « radicale » de changement : de classe politique, de système institutionnel et de modèle socio-économique.

La décision a été prise vendredi par le conseil politique du parti : Nuihau Laurey mènera la liste A here ia Porinetia aux territoriales. La présidente du parti Nicole Sanquer était pourtant pressentie par beaucoup pour prendre les rênes de cette campagne. D’autant que le parti fondé en 2020 et qui, sous ses couleurs vertes, avait rassemblé 11 600 suffrages au premier tour des législatives (13,6% des votes exprimés), aurait pu marquer son envie de « changement » avec un leadership féminin, plus que rare aux territoriales polynésiennes.

« Elle aurait pu légitimement être notre tête de liste, de la même manière que Félix Tokoragi, qui est considéré comme un tavana dynamique, bilingue, qui connait bien la situation des îles » reconnait Nuihau Laurey, qui dit n’avoir pas présenté de candidature à ce poste, pas plus que les deux autres cofondateurs. Mais le « conseil politique » du jeune parti a choisi, à l’unanimité comme l’avait précisé Tahiti Infos, l’ancien vice-président et ministre des Finances, jugé le plus à même de traiter d’une question centrale : « la situation économique et financière du pays, et la nécessité de redresser rapidement les comptes publics ».

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En tant que tête de liste, Nuihau Laurey serait le candidat logique de A here ia Porinetia à la présidence du Pays. Mais le parti n’en est pas là : la barre de qualification pour le second tour, à 12,5% des suffrages, est haute – « excessive », même, « comme la prime majoritaire pour le gagnant » – et la compétition est rude. Pour l’ex sénateur Tapura, qui était aussi en charge du programme du mouvement, cette tête de liste est avant tout « une charge, beaucoup de pression », et une « responsabilité », que ce soit devant la loi en cas de défaut des comptes de campagne, et du point de vue politique en cas de défaite.

Passer le premier tour avant de parler d’alliances

Dans le même temps, la constitution de la liste du A Here ia Porinetia a bien avancée. « On est passé par un système de primaires, avec des candidatures examinées par un comité d’investiture de neuf personnes, chargé de constituer une liste représentative de la population dans chaque section » rappelle Nuihau Laurey. Un système jugé « plus démocratique que la désignation des candidats par le seul président du parti », pratiquée ailleurs. La liste, encore à l’affinage du côté des îles, sera présentée lors du congrès du parti le 25 février à l’hôtel Le Tahiti de Arue. On devrait y croiser beaucoup de « candidats de la société civile », « des fonctionnaires, des retraités, des jeunes et des moins jeunes », décrit Nuihau Laurey. « Des gens qui ont participé à une élection communale et donc connaissent bien leur commune ou leur quartier », et d’autres « qui n’ont aucune expérience politique mais ont une expérience professionnelle qui pourrait être intéressante pour l’assemblée ».

Peu de « prises » politiques en revanche. Le parti aurait-il du mal à convaincre les élus expérimentés ? « On n’était pas du tout dans une démarche de mercato, répond la tête de liste qui dit, malgré son propre pedigree politique et celui de la présidente du parti, ne pas avoir recherché d’élus en activité. L’élection législative a montré la demande de renouvellement de la classe politique. Elle est claire aujourd’hui. » Certains avaient, un temps, imaginé un rapprochement entre A Here ia Porinetia et Ia Ora te Nuna’a, le mouvement lancé par Teva Rohfritsch et Nicole Bouteau, eux aussi démissionnaires du Tapura. Mais malgré certaines « analyses convergentes », des discussions dans le cadre de l’assemblée, et du « respect » pour le choix des deux anciens ministres de quitter « une majorité bien installée » juste avant une élection, ce rapprochement ne s’est pas fait. « C’est toujours compliqué de fusionner deux équipes qui ne se connaissent pas », précise l’ancien vice-président. Le deux mouvements semblent toutefois entretenir une certaine courtoisie… en vue du deuxième tour ? Nuihau Laurey n’exclut rien. « Mais avant le deuxième tour, il faut passer la barre du premier, et on a un mode de scrutin qui écrase les petits mouvements politiques ».

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Au Tapura, les inaugurations plutôt que le débat

Dans sa tournée des communes engagée il y a plusieurs semaines, A Here ia Porinetia observe comme d’autres la transformation des ambiances de campagne. Moins de monde dans les rassemblements politiques, plus d’activités sur les réseaux sociaux… Nuihau Laurey, qui a vécu les territoriales de 2013 avec le Tahoera’a et celles de 2018 avec le Tapura, observe aussi le manque de « combat idéologique » entre les partis. Le Tavini, jugé divisé, sur le fond, entre les vieux partisans d’une indépendance immédiate et les jeunes qui souhaitent temporiser, serait poussé par la victoire des législatives à « ne pas affronter les autres forces en présence, en se disant au deuxième tour ça peut servir ». Quant au Tapura, il fuirait aussi le débat d’idées. « Mais il n’y a pas une inauguration qui leur manque : vous ouvrez un snack, le club house du golf ou un parking dans les îles, vous pouvez être sûr que vous aurez presque la totalité du gouvernement. Ça pose un vrai problème d’utilisation de l’argent public, mais malheureusement, c’est un parti qui a pris cette habitude-là ».  

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La campagne n’en est pas moins vive. Nuihau Laurey dénonce une « pratique assez malsaine du débat public » par le parti d’Édouard Fritch, avec notamment des « tentatives d’intimidation » de ses sympathisants et des coups bas sur les réseaux sociaux.

Populiste, A here ia Porinetia ?

Le ton est aussi monté d’un cran chez A Here ia Porinetia qui, plus que le changement, prône parfois sur Facebook, la « révolution », et parle d’une « classe politique sclérosée ». Après les rapprochements entre Nicole Sanquer et le mouvement antivax, ou l’appel « personnel » de l’ancien sénateur à voter pour Marine Le Pen à la présidentielle, le mouvement aurait-il, comme le dénoncent certains adversaires, une dimension populiste ? Nuihau Laurey s’en défend, expliquant son choix de la candidate d’extrême-droite par le manque d’action d’Emmanuel Macron (sur le nucléaire ou sur l’outre-mer, malgré le Livre bleu qu’il avait participé à rédiger en tant que parlementaire). Et assurant que Nicole Sanquer, si elle a voulu faire vivre le débat sur l’obligation vaccinale ou les effets secondaires du vaccin, n’a pas validé par sa présence dans certaines réunions « toutes les affirmations les plus fantaisistes » distillées par le mouvement covidosceptique.

En revanche, le tête de liste confirme sa « volonté de changer radicalement un système qui ne marche plus ». « Cette classe politique qui est en place depuis des décennies et des décennies n’est plus capable de trouver des réponses adaptées à des problématiques modernes, explique-t-il. C’est le fait de rester trop longtemps au pouvoir qui conduit à toutes les dérives et tous les abus qu’on constate chaque année ».

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Réforme institutionnelle et dégraissage de l’administration

D’où le premier grand axe du programme de A Here ia Porinetia : la réforme institutionnelle et politique de la Polynésie. Non-cumul des mandats, limitation de leur nombre, depuis les tavana jusqu’aux élus de l’assemblée, limitation du périmètre de l’assemblée, fin de la prime majoritaire qui « tue l’expression démocratique », « utilisation du référendum sur toutes les questions importantes », jusqu’aux questions fiscales… Des propositions déjà développées lors des législatives et qui sont nécessaires, d’après lui, pour « que les Polynésiens retrouvent leur lien avec la chose publique ». 

Deuxième grand axe, côté économique et social : faciliter l’entreprise privée, en finir avec un système « submergé par l’administration, les procédures, la fiscalité ». « Ce n’est pas en recrutant des fonctionnaires chaque année qu’on va développer notre pays », insiste l’ancien ministre qui avait mené un plan de départs volontaires dans l’administration et qui prescrit un autre dégraissage. Agriculture, formation, développement des ressources de la mer, optimisation de l’action publique… Le programme, « en voie de finalisation » après de longs mois de travail sera présenté sous la forme d’une liste de 50 mesures, qui sera elle aussi présentée le 25 février prochain lors du congrès.