Six mois après le congrès fondateur de A Here ia Porinetia, Nuihau Laurey l’assure : le jeune parti, qui prône la baisse des dépenses publiques et des impôts, le fin du « clientélisme » et de « l’assistanat » ou la limitation des mandats, sera prêt pour les territoriales de 2023. L’ancien vice-président égratigne les indépendantistes pour leur manque de « solutions », ou les démissionnaires du Tapura pour leur manque de programme, mais concentre le feu sur Édouard Fritch accusé de toutes les incohérences avant les élections.
C’était le 26 mars 2022 : Nicole Sanquer, Nuihau Laurey et Félix Tokoragi sautaient le pas de la création d’un parti lors du congrès fondateur de A Here ia Porinetia. Six mois et un scrutin législatif – aux résultats « presque inespérés » – plus tard, le parti affiche ses couleurs vertes tout autour du fenua en préparation des territoriales de 2023. Après les îles Sous-le-Vent la semaine dernière, direction les Tuamotu dès demain, puis les Australes en novembre et les Marquises « avant la fin de l’année », détaille Nuihau Laurey, qui était l’Invité de la rédaction de Radio1 ce mardi midi. Et à entendre le vice-président de la plateforme, les retours de terrain sont encourageants : des groupes de soutiens locaux « qui se multiplient » dans les communes de Tahiti comme dans les archipels, un programme « qui s’étoffe » dans les ateliers sur la fiscalité ou l’agriculture… Qu’importe si le jeune mouvement n’a pas beaucoup de nouvelles « prises » d’élus à mettre à son tableau de chasse – si ce n’est Sylviane Terooatea, qui après avoir intégré le groupe, s’intègre dans le parti -, l’ancien sénateur l’assure : A Here ia Porinetia sera prêt dans 7 mois, pour proposer une « alternative sur le plan politique social et économique ».
« Le statut est clair », Édouard Fritch « ne peut pas » faire un autre mandat
Une alternative au Tapura, que les trois membres fondateurs ont quitté entre 2019 et 2020, dénonçant depuis, pêle-mêle, sa logique « clientéliste », la « dictature molle » de son président, la gestion de la crise Covid ou celle de la relance économique… Le discours, depuis plus de deux ans, est clair : Édouard Fritch doit partir. Et qu’importe si Gaston Tong Sang, le 15 septembre dernier mettait en garde à Tarahoi contre les risques d’instabilité, dénonçait les divisions des autonomistes et les appelait à se ranger derrière le président actuel, « homme de la situation ». « Il nous fait presque la morale, alors que c’est l’un de ceux au Tapura qui n’a pas respecté l’obligation vaccinale qu’il a lui-même votée, et qu’il a été à son époque à l’origine de beaucoup d’instabilité politique, réagit Nuihau Laurey. Venir reprocher ça aujourd’hui à ceux qui s’élèvent contre cette manière de gouverner, c’est un peu fort de café ».
À « GTS », Nuihau Laurey reproche au passage de refuser d’éclaircir un sujet qui devrait l’être : la possibilité pour Édouard Fritch de faire un troisième mandat. Car, à part le président du Pays lui-même, celui de l’assemblée est celui qui peut officiellement saisir pour avis le Conseil d’État. L’un comme l’autre préfèrent aujourd’hui attendre les territoriales et, en cas de victoire, les recours des opposants contre une nouvelle élection, et répètent leur interprétation de la loi : le président, dont le premier mandat n’était pas complet, peut rempiler. « Le statut est clair, le maximum, ce sont deux mandat de 5 ans, soit 10 ans. Le président en a fait neuf, et pour lui il peut en faire 14. Ca n’est pas de l’analyse juridique, c’est de la politique, répond son ancien vice-président. Il est en difficulté parce qu’il l’a dit lui-même : s’il faut nommer quelqu’un, il n’a personne. Tout le monde est parti et ceux qui restent sont en voie de partir d’après ce qu’on entend ».
Bouteau et Rohfritsch : en attendant le programme
Le discours du président de l’assemblée était aussi destiné aux plus récents « transfuges » du Tapura, Putai Taae passé au Tavini, et surtout Nicole Bouteau et Teva Rohfritsch, désormais non-inscrits. Deux élus qui ont annoncé la création prochaine d’un nouveau mouvement politique. Pas de main tendue du côté de Nuihau Laurey, qui rappelle que les critiques exprimées par les deux démissionnaires contre Édouard Fritch, la gouvernance du Tapura ou le gouvernement, « nous les avons faites il y a deux ans », sans soutien de leur part. Il l’assure : avec eux comme avec d’autres, il n’est pas question – pour l’instant – de « discuter de places et de listes ». « Ils veulent travailler sur un programme, et c’est une bonne chose. Ça doit commencer par là. Sur notre programme, on a bien avancé depuis deux ans. Est-ce qu’il y aura des points communs entre leur vision de notre développement économique et la nôtre ? À ce stade je ne sais pas puisque nous n’avons pas connaissance de leur programme aujourd’hui ».
Édouard Fritch, Monsieur « ça va, ça va »
Pas question de se disperser : les critiques sont avant tout dirigées vers le gouvernement et vers Édouard Fritch qui brillerait par son « déni » de la réalité de la situation du Pays. « Ça va, ça va, c’est sa marque de fabrique », ironise Nuihau Laurey après le discours et les annonces du 15 septembre dernier. La reprise économique, dont les recettes fiscales en hausse seraient le témoin ? Le seul résultat de l’inflation que l’exécutif ne parvient pas à maîtriser, répond l’opposant. Les chèques énergies, le panier gelé ? « Pas une solution », pas plus que les PPC, le FRPH pour les carburants, des « mêmes systèmes qui existent depuis 20 ans et qui n’ont jamais marché ». La situation financière, moins épineuse que ce que les chocs du Covid laissaient craindre ? Catastrophique, pour Nuihau Laurey, qui pointe « la dette qui a explosé », les réserves qui ont été « épuisées »… « Ce gouvernement a fait le choix de laisser un héritage à ses successeurs », insiste-t-il, pointant aussi les « contradictions » d’Édouard Fritch sur la PSG. « Il y a trois mois à peine il nous disait que la PSG était en situation de faillite et qu’il fallait la sauver, d’où la nécessité de cette taxe sociale, et aujourd’hui on voit dans ces annonces l’augmentation du moni ru’au, du minimum vieillesse et finalement tout va bien ».
Pour l’ancien sénateur, c’est un virage libéral qu’il faut à la Polynésie : des baisses d’impôts, une baisse du coût du travail – les primes défiscalisées, proposées par le Medef et validées par l’exécutif sont de ce point de vue saluées -, et surtout des coupes franches dans les dépenses publiques. Nuihau Laurey vise toujours, de ce côté, les dépenses des institutions – et notamment de l’assemblée et du gouvernement, au travers des déplacements d’élus – pour dégager des économies. Et ce même si les services publics et les aides sociales pèsent bien plus lourd dans les finances du Pays. « Il ne faut pas revenir sur la redistribution, il faut qu’elle soit plus efficace » assure-t-il. Sur le terrain, A Here ia Porinetia parle de « dépolitiser les aides publiques » – « devoir montrer patte rouge pour avoir un fare OPH ou un emploi, ça bloque le développement du pays » – mais insiste avant tout sur la création d’emplois : « le pays ne décollera pas avec plus d’impôt, plus d’administration, de bureaucratie ».
Ni l’indépendance, ni « l’autonomie d’Édouard Fritch »
Volubile sur les questions économiques et sociales, Nuihau Laurey l’est moins sur sa vision de l’avenir statutaire du Pays. Et pourtant, avec les envies de chantier constitutionnel qui se font entendre à Paris, et les discussions qui doivent être lancées en Nouvelle-Calédonie, fort est à parier que la Polynésie doive se positionner sur l’avenir de ses institutions et de son lien à la France dans la prochaine mandature. Le succès du Tavini aux dernières législatives doit être pris en compte, explique l’ancien vice-président : « Il y a une vraie aspiration au changement du système institutionnel et je comprends cette aspiration parce que quand on voit le clientélisme, l’assistanat qui sont mis en place depuis quelques années, et qui sont encore plus fort après la gestion du Covid ». Mais pas question d’aller dans le sens des pro-Maohi Nui : sans vouloir « stigmatiser » les indépendantistes, Nuihau Laurey critique leur « absence de solution » pour régler les problèmes économiques ou assurer le financement de la couverture sociale. Et plus globalement l’absence de projet : « Le projet de l’indépendance, c’est l’indépendance par elle-même et c’est pas comme ça qu’on règle les problèmes, à la fin de la journée on a besoin d’avoir quelque chose sur la table ». Mais là encore, c’est vers le président du Pays que sont principalement orientées les attaques : « Le haut-commissaire l’a dit, ça n’est pas en demandant toujours plus d’argent à la France que ce pays va se développer. Et l’autonomie d’Édouard Fritch c’est de dire, on augmente les impôts et les taxes, on distribue un peu avant les élections, et comme il y a plus de sous, on va emprunter et demander à la France plus d’argent, ça n’est pas l’autonomie ça ». À l’entendre, « L’autonomie, c’est le chemin de la responsabilité. Quand Gaston Tong Sang nous dit : ‘il faut que les autonomistes soient réunis’, en fait on n’a pas la même vision de l’autonomie ». |