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Nuihau Laurey provoque Moetai Brotherson sur la prime majoritaire

Nuihau Laurey a agité un vieux serpent de mer à l’assemblée, en demandant une réforme du système électoral. Moetai Brotherson ne s’est pas privé de rappeler au vice-président de AHIP qu’il n’avait jamais fait de proposition en ce sens, du temps où il était sénateur. Le président du Pays s’est ensuite dit favorable à une telle réforme, à la seule condition que Nuihau Laurey soutienne à son tour « l’élection du président de Maohi Nui au suffrage universel direct ». Autant dire non tout de suite.

Il y a un an, les élections territoriales voyaient la liste conduite par le Tavini d’Oscar Temaru s’imposer avec 44,3% des suffrages au second tour. De quoi offrir une confortable majorité au parti indépendantiste, qui obtenait là 38 des 57 sièges de l’Assemblée, soit 66,6 % des représentants. Un écart plus que significatif entre les votes et les sièges obtenus, qui s’explique par la fameuse prime majoritaire, laquelle octroie 19 sièges au parti gagnant. Ce système mis en place par l’État en 2011, en même temps que l’instauration d’un seuil de franchissement fixé à 12,5% des votes pour accéder au second tour, était destiné à pallier l’instabilité politique du pays pendant les années 2000. Ce qui avait bien profité aux partis autonomistes lors des scrutins précédents, tout en étant constamment décrié par l’opposition pour son caractère jugé antidémocratique.

Le débat est revenu sur les bancs de l’assemblée ce jeudi matin, par la voix du représentant non-inscrit Nuihau Laurey, dont le parti A Here Ia Porinetia avait récolté 17,16% des voix en 2023, pour seulement 3 sièges, soit 5,2%, des représentants. « Notre système électoral est l’un des plus anti-démocratiques au monde. Il oblige à des unions contre-nature, il conduit à restreindre l’offre politique, il favorise l’abstention et il exclut du champ de l’expression publique une partie grandissante de nos concitoyens », liste-t-il en connaissance de cause. « Toutes les minorités sont pour le fait de changer le système électoral, le Tavini l’était. Lorsque les partis gagnent le pouvoir et bénéficient d’une telle prime, ils n’en voient plus les inconvénients. On voit bien que l’exercice du pouvoir conduit à se satisfaire de ce système électoral qui est complètement inique », ajoute l’élu, qui se mobilise « depuis trois ans » pour changer le système.

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« Un système complètement infantilisant »

« Oui , nous avons eu une période difficile entre 2004 et 2013, mais je parie sur la maturité, non seulement de nos élus, mais aussi de nos électeurs », pour sortir « de ce système complètement infantilisant », ajoute le représentant au moment d’évoquer le spectre de l’instabilité. Nuihau Laurey a donc apostrophé le président, lui demandant s’il était prêt à soutenir une réforme du code électoral, après avoir précisé qu’il allait bientôt déposer une résolution en ce sens. « Le fait de permettre à chaque expression politique de se retrouver à l’assemblée, c’est le cas en Calédonie, ça oblige à discuter et ça permet d’éviter ce que l’on vit aujourd’hui : une majorité qui ne sait pas où elle va », vitupère-t-il.

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« Vous allez avoir du mal à trouver des soutiens de votre côté »

La réponse du président ne s’est pas fait attendre. Désormais bénéficiaire du mode de scrutin, Moetai Brotherson s’est d’abord interrogé sur les motivations du représentant : « j’espère que ce n’est pas issu d’une conjecture opportuniste ou de la frustration d’être minoritaire », glisse-t-il. S’il a estimé que son opposant a « réellement cette conviction », le président a aussi rappelé le mandat de sénateur de Nuihau Laurey et celui de députée de la présidente d’AHIP Nicole Sanquer, durant lesquels « je n’ai vu aucune proposition de loi visant à modifier le code électoral ». Reprenant point par point l’argumentaire de l’élu d’opposition, « vous nous parlez d’alliance contre nature qui résulterait de l’actuel code électoral. Mais, enchaîne-t-il, je vois une alliance contre-nature, une énième plateforme autonomiste vouée à l’échec, au sein de laquelle vous avez le micro-parti du père de la prime majoritaire, M. Flosse, et le Tapura, qui a toujours été opposé à sa modification. Vous allez donc avoir du mal à trouver des soutiens de votre côté. »

Moetai Brotherson ne s’est finalement pas montré hostile à une réforme, mais il a posé ses conditions, non sans ironie. « J’ai un peu de mémoire ! Gardons-nous de replonger la Polynésie dans cette période d’instabilité où les caprices d’un ou deux, pour obtenir une salle de sport, un quai ou un poste pour leur fils, faisaient basculer la majorité. Gardons-nous de ce genre de fausse bonne idée. Revisiter le corps électoral, pourquoi pas, mais à condition que vous défendiez une élection du président de Maohi Nui au suffrage universel direct », lance-t-il, ressortant là l’une des modifications que le Tavini souhaite faire à la loi organique, sous les acclamations de sa majorité.

« Venant d’un président dont le parti politique a choisi un président élu à vie, souffle Nuihau Laurey, je pense qu’il devrait d’abord faire le ménage dans son propre parti. Mais sa réponse est évasive. Il ne va pas soutenir une mesure allant dans ce sens, il ne peut pas y avoir une élection du président du Pays au suffrage universel direct, il sait très bien que c’est la seule prérogative du président de la République, il a été parlementaire. Donc finalement c’est une manière de ne pas acter… Comme je l’ai dit dans mon exposé, tous les partis au pouvoir se satisfont de ce système. »