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Pauvreté en Polynésie : le Cesec plaide pour la refondation de la politique sociale

Le Cesec examinera mercredi prochain le rapport de l’autosaisine sur la pauvreté en Polynésie. Titré « Une société polynésienne fracturée : quelles perspectives pour une société plus équitable ?» il rassemble en un seul document de nombreuses recommandations, loin d’être toutes originales. Éducation, travail, logement, fiscalité, tout doit être revu à la lumière de l’indispensable action sociale, dit le Cesec. Comment passer des vœux pieux à l’action concrète, ce sera la question qui sera posée non seulement au gouvernement, mais aussi à toute la société polynésienne qui se satisfait d’intentions affichées et d’actions disparates.

Le constat ne date pas d’hier, rappellent les auteures du rapport, Maiana Bambridge et Patricia Teriiteraahaumea. Mais « la lutte contre la pauvreté et la réduction des inégalités sont des questions qui semblent ne pas avoir trouvé la place qui leur est due dans le débat public en Polynésie française et ne se matérialisent pas dans une politique volontariste en tant que telle », écrivent-elles aussi en préambule.

Le rapport fait d’abord des rappels de contexte, sur l’immensité du territoire, les bouleversements économiques, sociaux et démographiques des dernières décennies, la concentration humaine et économique dans la zone urbaine de Tahiti. Il pose les indicateurs économiques qui montrent un creusement continu des inégalités, des transferts sociaux faibles – ils « comptent pour moins de 10% des revenus des plus pauvres » contres 35% en métropole, tandis que « 77% de aides et allocations sont absorbés par des ménages non pauvres ».

La pauvreté monétaire n’est que la partie émergée de l’iceberg, poursuit le rapport du Cesec. Elle se manifeste aussi par d’autres indicateurs : « problèmes de nutrition, de santé, d’accès à l’éducation, de délinquance, de logement, voire même les effets du changement climatique et la dégradation de l’environnement, sont les vecteurs conjoints du phénomène de pauvreté et des inégalités. » Et seuls 11,4% des ménages les plus pauvres s’attendent à une amélioration de leur situation.

L’éducation, levier primordial pour lutter contre la pauvreté 

L’éducation patine et « montre ses limites » : 55% des élèves polynésiens sont boursiers, mais « les résultats des élèves se dégradent dès la classe de CE1 » et « les difficultés scolaires concernent environ 40% des élèves en Polynésie française » et les élèves issus de milieux forment l’essentiel des « 31% qui sortent du système éducatif sans diplôme ». Seuls 66% d’une classe d’âge atteint le niveau du bac, et« la proportion de personnes ayant obtenu un diplôme de l’enseignement supérieur stagne d’une génération à l’autre depuis 30 ans. »

Le Cesec plaide pour une concentration des efforts sur la maîtrise des apprentissages fondamentaux en primaire, et une « adaptation de la formation et des programmes aux réalités socio-culturelles des élèves, notamment dans les archipels éloignés. » Plus tard dans la scolarité, le Cesec recommande encore des mesures déjà préconisées ou annoncées : faire le bilan par filière de l’océanisation des cadres, adapter la carte des formations aux besoins de l’économie, en y associant les acteurs économiques, étendre le dispositif des campus des qualifications, favoriser les stages en entreprise et l’alternance… Bref, il faut « insuffler un nouveau souffle au système éducatif et au partenariat avec l’État ».

Parmi les autres recommandations : lutter contre le décrochage, y compris par « la suspension des allocations », un plan de rénovation et de modernisation des internats, l’amélioration des transports scolaires, la généralisation des dispositifs de télé-éducation, l’amélioration de la prise en charge de la restauration scolaire, et davantage de mixité sociale dans les établissements, renforcée par le port de l’uniforme. Sans oublier de motiver les parents d’élèves.

L’accompagnement, la clé de l’emploi et du logement

Côté emploi, le rapport du Cesec demande la mise en application ou la réactivation de dispositifs d’insertion, davantage de soutien pour les structures associatives et pour le RSMA, un meilleur accès aux transports, des aides à la création d’entreprise, des actions spécifiques pour les personnes en situation de handicap.

Le Cesec souhaite aussi une action vigoureuse sur le mal-logement : le rapport demande la production de davantage de logements, bien sûr, des incitations pour remettre sur le marché des logements vacants, la mise en place des outils juridiques et financiers pour construire sur les terres en indivision, et davantage d’accompagnement et de simplicité dans l’accès au logement, ainsi que l’extension au domaine privé et surtout aux familles monoparentales de l’aide familiale au logement.

Lutte contre la vie chère

Là aussi, une impression de déjà vu dans les recommandations : améliorer la transparence sur la formation des prix et des marges, et sur les freins à la concurrence, explorer les pistes d‘approvisionnement dans la zone Pacifique, modifier le dispositif des PPN pour qu’il bénéficie avant tout aux plus démunis, trouver des « accords de modération » avec les commerçants, encourager le développement des exploitations agricoles et des jardins communautaires, favoriser les dons pour limiter les gaspillages, limiter l’utilisation des bons alimentaires à l’obtention de produits sains.

La fiscalité, à revoir en profondeur

Le Cesec voudrait que la fiscalité soit un meilleur outil de redistribution, et donne des pistes de réformes, déjà connues elles aussi : favoriser l’économie sociale et solidaire, mettre en place une TVA récupérable sur les biens immobiliers, baisser les droits de mutation, davantage de fiscalité directe et moins de fiscalité indirecte, de la fiscalité comportementale, par exemple sur les produits sucrés, réformer la TDL, le tout sans décourager les entrepreneurs.

Refondation de la politique sociale

Le Cesec regrette des mesures disparates, pas toutes mises en œuvre, et demande un « cadre général définissant les orientations stratégiques d’une politique sociale » pour plus de cohérence et de pertinence dans la lutte contre la pauvreté, tout en remettant, selon la formule consacrée, « la famille au cœur de l’action sociale », en développant l’information, la communication et les outils numériques, en améliorant les soins de santé primaire, y compris en psychiatrie, en introduisant la notion de quotient familial pour que les aides sociales aillent à ceux qui en ont le plus besoin, en réorganisant la DSFE et en doublant le nombre de travailleurs sociaux, sans oublier d’écrire un code de la santé et de l’action sociale et un schéma directeur des établissement médico-sociaux et socio-éducatifs.

Il sera intéressant pour le Cesec de demander aux dirigeants actuels et passés pourquoi un grand nombre des pistes de ce catalogue ont déjà été évoquées et abandonnées. Manque de vision et de réalisme ? Manque de volonté politique face à l’ordre établi ? Manque de moyens humains et financiers ? Sans doute un peu de tout ça. Les rapporteures appellent au sérieux en écrivant : « les politiques les mieux intentionnées et les mieux conçues peuvent n’avoir aucun effet si elles ne sont pas mises en œuvre correctement ». Elles déclarent vouloir surtout « favoriser une prise de conscience générale. »

Projet de rapport – société…