UN PEU D’HISTOIRE – Des députés socialistes proposent de les indexer sur les revenus. Une proposition qui fait débat en France.
Moduler les allocations familiales en fonction des revenus comme le souhaitent des députés socialistes ? Mesure de bon sens pour certains, hérésie pour d’autres, le sujet fait débat car il touche à la sacro-sainte notion d’universalité. Bien qu’elle trouve sa première origine dans le christianisme, c’est au XVIIIe siècle que la notion s’épanouie dans la pensée des philosophes des Lumières, puis lors de la Révolution française, avant de faire son chemin jusqu’au XXe siècle. Retour sur une histoire française avec le point de vue de Luc Ferry, philosophe, écrivain et ancien ministre de la Jeunesse et de l’éducation.
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Le contexte particulier de la Libération. Au lendemain de la Libération, la France doit panser ses plaies. À côté d’une minorité de Français qui a pu s’enrichir dans la collaboration avec l’occupant nazi, l’immense majorité de la population vit dans une grande précarité. C’est donc pour soulager les Français dans leur quotidien que la Sécurité Sociale est créée en 1945.
Rattraper « 600.000 morts ». Mais la grande préoccupation du gouvernement provisoire mené par le général De Gaulle est la relance des naissances. Il s’agit de « rattraper » les 600.000 morts, soldats ou déportés, mais aussi tous les enfants non nés de 1939 à 1945 à cause des bouleversements de la guerre. La branche famille de la Sécurité Sociale fait ainsi son apparition en 1946.
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22 août 1946, date fondatrice. Dans un contexte de grande précarité où faire une différence entre riches et pauvres n’aurait eu guère de sens, les allocations familiales sont donc conçues comme universelle. La loi du 22 août 1946 les étend en effet à tous les parents. Son montant est alors important : l’équivalent d’un salaire ouvrier de l’époque. Les allocations familiales ne sont cependant pas une nouveauté, elles avaient été créées en 1932 mais ne concernaient alors que les ouvriers et les employés de commerce.
La Constitution de la IVe République datée du 27 octobre 1946 ne mentionne pas l’universalité mais c’est tout comme en garantissant « à tous la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs ».
« Tous dans le même bateau ». Pour Luc Ferry, contacté par Europe 1, l’universalité des allocations familiales est vraiment liée à ce contexte particulier de l’après-guerre : « Elles avaient alors un véritable sens. Le message politique fort et compréhensible par tous, c’était ‘on est tous dans le même bateau’. Le gouvernement ne voulait pas donner le sentiment à la population qu’il y avait des vaches à lait et des assistés ». L’idée étant aussi de renforcer l’union des Français après plusieurs années de divisions.
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Universalité à géométrie variable. Si l’universalité des allocations familiales est défendue bec et ongles par certains, ce n’est pas le cas de nombreuses autres aides. Les aides au logement, la prime de naissance, les bourses étudiantes… prennent en compte les revenus des parents. Et là réside l’absurde selon Luc Ferry : « L’impôt aussi est progressif. Pourquoi les allocations ne le seraient-elles pas ? ». « Crise économique ou pas, il est logique que tout soit progressif afin de réserver les aides aux plus pauvres », ajoute-il. Et de faire un parallèle avec les droits d’inscription à l’université : « Ils sont les mêmes pour tous, ça ne tient pas la route qu’un fils d’ouvrier paye comme un enfant de classe aisée ».
Equité VS égalité ? Ceux qui sont attachés à l’universalité sont-ils aveuglés par la notion d’égalité ? Luc Ferry est formel : « Oui, tout à fait. C’est comme l’égalité à l’école, ça fonctionne mal, on le voit bien ». Et le philosophe de plaider plutôt pour « l’équité » plutôt que pour « l’égalité ». Un message qui pourrait séduire la majorité des Français. Selon un sondage ViaVoice/Les Echos, 68% des Français sont favorables à un plafonnement de ressources pour l’accès aux allocations. De là à voir graver sur le fronton de nos mairies « Liberté, équité, fraternité » …
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